Ecologie

Les sols, plus grands réservoirs terrestres de carbone, peuvent contribuer à la lutte contre le changement climatique

© Getty Images

Par Adeline Louvigny via

Peu médiatisé, souvent oublié dans les luttes contre le changement climatique, le sol est pourtant un des plus grand réservoir de carbone de notre planète, bien plus que la végétation terrestre et l'atmosphère combinés. Son importance dans le captage du CO2, et donc la limitation du réchauffement climatique, est donc potentiellement très élevée. Mais, tout comme la biodiversité, notre sol est "menacé", dans le sens qu'il est globalement en mauvaise santé, et ne remplit donc pas complètement son rôle de capteur de carbone (ainsi que d'autres services écosystémiques indispensables).

D'où vient le carbone du sol, et où va-t-il ?

Le sol est un endroit où matières minérales et organiques coexistent, où vivent de nombreuses espèces (champignons, micro-organismes, insectes,…), et qui nourrit les végétaux, ancrés via leur système racinaire. Ces mêmes végétaux vont absorber le CO2 lors de leur photosynthèse, afin de produire l'énergie nécessaire à leur développement. Une partie du carbone de ces plantes va se retrouver dans le sol : par la croissance, et la mort de la matière végétale, par les exsudats racinaires, des composés carbonés émis par les racines, ou encore par transfert vers des organismes en symbiose (comme la mycorhize, cette association entre une plante et un champignon).

Via les végétaux, il y a donc un apport actif de carbone depuis l'atmosphère vers les sols. Mais l'inverse est vrai aussi : via la décomposition des matières organiques (ou minéralisation), et la respiration microbiennes, le sol rejette du CO2 dans l'atmosphère.

Tous les sols ne se valent pas

Mais tous les sols ne sont pas logés à la même enseigne dans leur rôle de réservoir de carbone. "Les deux facteurs les plus importants qui vont déterminer la capacité de stockage de carbone sont le type de sol, et l’occupation du sol, explique Jeroen Meersmans, chercheur dans le domaine des sciences du sol à Gembloux Agro-Bio Tech - ULiège.

"Ce sont par exemple les forêts et les prairies qui vont stocker le plus de carbone dans le sol. En termes de type de sol, on a encore deux autres paramètres : la texture du sol, et le drainage. Les sols humides stockent plus que les sols secs. Et plus fine est la texture, meilleure sera la protection physique du sol, donc une meilleure capacité de stockage du carbone, car cette protection physique empêche la matière organique de se dégrader. Le carbone peut être soit retenu à la surface des particules de limon ou d'argile, soit encapsulé dans des agrégat, qui sont des sortes de poches dont la taille varie de quelques micromètres à quelques millimètres. En théorie, un sol argileux va donc mieux stocker de carbone, qu’un sol sableux."

Les vallées flamandes et l'Hesbaye, points critiques en Belgique

En Belgique, ce sont les Ardennes qui ont vu leur capacité de stockage des sols évoluer le plus favorablement durant ces dernières décennies, selon une étude menée en 2010 par Jeroen Meersmans, notre spécialiste en dynamique du carbone dans les sols. "Il faut savoir qu’avant les années 1960, il y avait pas mal de cultures dans cette région. Après, elles ont été converties en prairies et pâturages. Donc, cet effet d’augmentation de carbone est en fait un héritage du changement d’occupation des sols, de la culture vers l’élevage. Aujourd’hui on se pose la question si la capacité de stockage continue à augmenter, et on pense que non."

C'est plutôt du côté des sols limoneux du centre du pays, et des vallées, qu'il faut s'inquiéter : le développement de l'agriculture intensive dans ces régions a eu un impact plutôt négatif sur les sols. "Les deux points critiques sont vraiment la région limoneuse, avec ses grandes surfaces de culture, ainsi que les vallées, surtout en Flandre."

Dans certains endroits, on n’est pas loin du seuil critique de 1% de carbone organique

"On peut voir une perte de carbone assez importante dans les vallées, qui est probablement liée au drainage intensif de ces sols, afin de pouvoir les cultiver. On observe aussi une perte assez remarquable dans le centre du pays, qui correspond aux grandes régions de cultures d’Hesbaye. C’est un plateau large de sols limoneux, très fertiles. Depuis les années 60, on a appliqué une gestion agricole très intensive afin de maximiser les rendements des cultures qui poussent sur ces sols. Ces pratiques ont fait qu’on a perdu une partie du carbone de ces sols, et dans certains endroits, on n’est pas loin du seuil critique de 1% de carbone organique. Passé ce seuil, les sols peuvent devenir plus instables, avec des processus comme la dégradation des agrégats, résultant d'une perte de structure de sol, et avec un risque d’érosion plus élevé . Ça indique l’importance du stockage de carbone dans le sol pas seulement pour la régulation du climat, mais aussi pour d’autres services écosystémiques, notamment la protection contre l’érosion."

L'état actuel de nos sols est donc défini par les pratiques agricoles passé, comme le drainage, le labourage, l'épandage… Et dans le futur, le changement climatique aura aussi un impact important sur le stockage du carbone dans les sols. "Dans une étude que j’ai réalisée pour la France, on voit que l’on peut perdre jusqu’à un quart du carbone stocké dans les sols d’ici 100 ans, en considérant un scénario “business as usual”.

Actuellement, en Belgique, des projets comme Carbiosol et Requasud réalisent respectivement des recherches pour estimer au mieux la santé des sols, via certains indicateurs, et des analyses en continu afin d'avoir un suivi temporel de l'évolution de nos sols.

De meilleures pratiques agricoles

Mais à côté de cette vision plutôt pessimiste, il existe des solutions, déjà en partie mises en place dans le monde agricole : ne pas laisser les sols nus, une meilleure gestion des prairies, développer l'agroforesterie, ainsi que les cultures intermédiaires et la rotation des cultures. "Ce qui est important dans ces solutions, c’est de toujours les placer dans un contexte économique, mais aussi d’évaluation de cycle de vie (ACV)", une approche qui va estimer les émissions de CO2 directes et indirectes.

L'INRA, l'institut français de recherche agronomique, a publié un rapport en juillet 2019, estimant les coûts de ces pratiques, en euros/tonnes d'équivalent CO2. L'agroforesterie, si elle a un grand potentiel de stockage de carbone, est malheureusement très coûteuse. Par contre, les cultures intermédiaires se révèlent être moins coûteuses, et vraiment efficaces pour stocker le carbone. "Elles sont de plus en plus utilisées en Belgique. Le but initial de cette pratique n’était pas forcément lié au stockage du carbone, mais plutôt pour éviter le lessivage des nitrates vers les nappes phréatiques si on laisse le sol nu, ont protégeant la qualité de l’eau potable. Donc, on voit qu’une seule mesure peut être efficace pour plusieurs services écosystémiques ."

La communauté scientifique s'attèle aussi à développer de nouvelles solutions, comme l'ajout de basalte dans le sol, qui va capter le CO2 atmosphérique, ou encore le Biochar, le fait de brûler la matière organique à une certaine température qui va éliminer le carbone labile et garder le carbone stable, celui qui va rester longtemps dans le sol. Une technique qui semble prometteuse, "mais il y a encore quelques réserves scientifiques, du a un manque de connaissances sur les effets négatifs potentiels à long terme." De plus, il est également nécessaire d'estimer les émissions de CO2 liées à ces techniques nouvelles, d'où l'utilité de l'approche par analyse de cycle de vie (ACV).

De plus en plus, la communauté scientifique prend conscience de l'importance des sols dans de nombreux services écosystémiques, et de leur rôle dans la lutte contre le changement climatique. Les recherches à ce sujet se font de plus en plus nombreuses, et permettent d'avoir une compréhension de plus en plus fine de ce milieu riche et complexe.

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