Cette capacité des robots à décider de manière autonome d’ouvrir le feu sur une cible fait entrer l’art de la guerre dans une nouvelle dimension. "Imaginez une situation où les robots décident eux-mêmes d’entrer en conflit, s’inquiète Stan Brabant, des robots de deux camps qui s’affronteraient entre eux, vous auriez des conflits incontrôlables. On n’a pas idée à quoi cela pourrait aboutir. Dans les conflits actuels, l’existence de victimes militaires et civiles provoque une certaine retenue. Même des États les plus totalitaires de la planète sont prudents par rapport à l’usage de la force armée. Si vous abaissez le seuil d’utilisation de cette force, où ce sont les robots qui décident du déclenchement des hostilités ou des frappes, vous êtes dans une situation dangereuse dont on perdrait le contrôle."
L’équilibre est rompu
Une intelligence artificielle aurait-elle un comportement plus rationnel qu’un humain face à une menace potentielle ? Pour Stan Brabant, elle aurait surtout moins de retenue : "A partir du moment où vous n’avez plus la capacité qu’a le militaire de faire la balance entre l’intérêt militaire et l’impact humanitaire, l’équilibre est rompu. Certains militaires eux-mêmes le disent. L’arme et son logiciel sont développés des années avant d’être utilisés. Il est illusoire d’imaginer qu’elle va respecter le droit et avoir le souci de protéger les civils."
Les robots tueurs posent en effet la question de la responsabilité, par exemple en cas de bavure ou de crime de guerre. Qui faut-il incriminer : le fabriquant de l’arme, le programmateur de l’algorithme, le militaire qui a envoyé le robot ou l’échelon politique qui a permis son utilisation ?
Depuis six ans, on tourne en rond. En attendant, les fabricants ont les mains libres pour faire ce qu’ils veulent
"Depuis 2014, les États en débattent à la CCW, la Convention sur les armes conventionnelles, explique le chercheur du Grip. La Belgique va d’ailleurs en assurer la présidence en 2021. Depuis six ans, on tourne en rond, et la technologie a déjà progressé. En attendant, les fabricants ont les mains libres pour faire ce qu’ils veulent. Il est temps de lancer un autre processus, comme on a eu pour obtenir l’interdiction des mines antipersonnel et les armes à sous-munition. La Belgique avait d’ailleurs joué un rôle moteur en ce sens. Il faut espérer qu’un processus similaire puisse se constituer sur ce sujet."
78 États ont déjà plaidé pour une interdiction totale de ces armes, et une coalition de 170 ONG a lancé une campagne contre les robots tueurs. L’accord de gouvernement belge de septembre 2020 prévoit que "notre pays prendra l’initiative en vue d’arriver à un cadre réglementaire sur les systèmes des armes entièrement autonomes, en vue d’une interdiction internationale". Mais pour Stan Brabant, la Belgique qui a joué un rôle moteur par le passé "est aujourd’hui un peu à la traîne sur ces questions. Elle reste très attachée à la CCW et se cache derrière d’autres États comme la France et les Etats-Unis. Elle pourrait jouer un rôle plus proactif."