Santé & Bien-être

Les "puffs", ces cigarettes électroniques jetables, sont-elles un moyen de contourner l’interdiction des cigarettes mentholées ?

© Getty Images

Elles nous donnaient la (fausse) impression de ne pas vraiment fumer… On entendait quelqu’un, dans la rue ou verre en main lors d’une soirée nous assurer que "ce ne sont pas des vraies cigarettes" ou qu’elles "sont moins pires que les vraies". Pourtant, les cigarettes mentholées étaient plus dangereuses pour notre santé que les cigarettes sans arômes.

Si l’arôme mentholé n’irritait pas la gorge, masquait l’odeur et l’acidité d’une cigarette, il était bien vecteur d’autres problèmes. Notamment une tendance à tirer plus fort à chaque fois, avec pour effet d’inhaler plus de fumée et de la garder plus longtemps dans les poumons. Il pouvait séduire tous types de publics, dont les plus jeunes. Ces cigarettes mentholées sont interdites en Belgique et dans toute l’Union Européenne depuis le 20 mai 2020.

Aujourd’hui, les cigarettes électroniques "puffs" sont partout ou presque. Les "puffs", littéralement "bouffée" en anglais, sont des cigarettes électroniques jetables non rechargeables. Elles peuvent contenir jusqu’à 2% de nicotine selon le modèle. Certains modèles n’en contiennent pas. Leur prix varie entre 5€ et 12€ et elles garantissent 250 bouffées et jusqu’à 800 "taf" en fonction de la marque. "C’est un produit qui vaporise un liquide au même titre qu’une cigarette électronique classique", précise Mathieu Capouet, expert tabac devenu inspecteur de santé publique auprès du SPF Santé Publique.

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Avec une différence tout de même au niveau technique. "D’un côté, on recharge avec un flacon de recharge et un liquide interchangeable. Alors que la puff, une fois que le liquide a été vaporisé entièrement, tout le reste, donc toute la partie électronique et de chauffage va à la poubelle. Il y a une vraie problématique de déchets", ajoute l’expert.

Les puffs disposent d’une batterie en lithium et ne sont pas recyclées comme l’explique le producteur Hexa sur son site : "Nous ne recyclons actuellement pas nos dosettes. En effet, les dépôts de recyclage sont considérés comme des incitations promotionnelles en vertu de la loi TPD différemment mise en œuvre dans les pays de l’UE. Comme nous nous développons à l’international, cela va changer dans un proche avenir".

En fonction du modèle de l’e-cigarette jetable, cela peut correspondre à 1 ou 2 paquets de cigarettes classiques selon le nombre de "bouffées" possibles. On les retrouve dans les magasins de nuit ou les librairies. Elles se glissent dans la poche des plus jeunes, narguant l’interdiction de s’en procurer en dessous de 18 ans, ou leur santé. Un véritable phénomène.

Un jeune sur 4 consomme une e-cigarette jetable

Sur Tik Tok, certains se filment en train de fumer et il existe de nombreuses vidéos de classement des meilleurs goûts. Deux Californiens sont aux manettes de ce concept en 2019. Très vite, la puff connaît un succès fulgurant et planétaire sur Tik Tok. De quoi donner des idées aux plus jeunes, s’emparant eux aussi rapidement de ces e-cigarettes.

Un prix attractif pour les jeunes

Si elles sont interdites aux moins de 18 ans, elles ont pourtant l’air inoffensives, à l’image d’une simple friandise. Car leurs parfums sont infinis : menthe bien sûr, mais aussi fraise, melon, raisin glacé, ananas, mangue, Ice-Cream Cookie, pomme, banane etc. "La grande problématique, c’est la manière dont elles sont commercialisées. Elles sont clairement axées vers les jeunes, avec les étiquetages attractifs pour les jeunes, des arômes attractifs pour les jeunes et un prix attractif pour les jeunes qui les rend plus accessibles financièrement par rapport aux e-cigarettes rechargeables", raconte Mathieu Capouet.

C’est là tout le piège pour les jeunes consommateurs et l’aubaine pour les fabricants dont ils sont clairement la cible. Les cigarettes électroniques ont à la base été développées pour les fumeurs aguerris souhaitant diminuer ou arrêter de fumer. Or, on imagine mal un adolescent de 14 ans obligé de passer par la case "cigarettes électroniques" pour arrêter de fumer… C’est même tout l’inverse, une première étape pour commencer la cigarette classique.

Une porte d’entrée vers d’autres produits qui se fument

Pour le SPF Santé Publique, ce type de cigarettes est ouvertement commercialisé pour attirer ce nouveau public jeune. "C’est ce qu’on remarque sur le terrain, c’est une porte d’entrée pour les jeunes dans le monde de la cigarette électronique puis dans le tabagisme plus classique ou vers d’autres produits qui se fument". Et tout le marketing autour y est dédié. "Il suffit d’en avoir en main pour se rendre compte que les couleurs, les dessins, les images, tout est attractif pour les jeunes. On n’est clairement pas ici dans des produits destinés à l’aide, à l’arrêt tabagique pour des fumeurs plus âgés".

Force est de constater que ce côté récréatif est séduisant. D’après un sondage du FARES, le Fonds des Affections Respiratoires, le seul existant sur la consommation des puffs par les jeunes, 1 jeune sur 4 connaissant cette fameuse puff, en consomme. La plus populaire semble être le modèle contenant 700 bouffées. Ces jeunes déclarent avoir vu ces e-cigarettes d’abord dans un espace public (rue, école) puis dans les magasins et enfin sur Tik Tok, pour clôturer ce top 3.

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Cigarettes électroniques ou cigarettes classiques : lesquelles sont les plus nocives ?

Nous avons posé la question à Mathieu Capouet. "De manière générale, les cigarettes électroniques et donc les cigarettes électroniques jetables sont une problématique de santé publique puisqu’elles peuvent entraîner des problèmes de santé", assure d’emblée l’inspecteur auprès du SPF Santé Publique. "Il y a un accord relativement large au sein des experts de santé publique pour dire que la cigarette électronique est moins nocive que la cigarette classique", ajoute-t-il.

Quelqu’un qui fume 2 paquets par jour peut se retrouver satisfait

Cela dépend aussi de multiples facteurs, par exemple de la consommation et du pourcentage de nicotine contenue dans la puff. Aux Etats-Unis par exemple, cela peut monter jusqu’à 5% contre 2% chez nous. "Mais comparé à aucune consommation, la cigarette électronique reste un problème. Les gens en faveur des cigarettes électroniques disent que cela peut être un outil d’aide à l’arrêt. Et effectivement, si on passe de la cigarette classique à la cigarette électronique puis à l’arrêt, ça peut être un processus positif. Mais dans le sens inverse, c’est un problème". Le SPF Santé Publique y voit donc un problème… de santé publique. "Le fait que des jeunes trouvent une porte d’entrée, avec ces puffs, vers des produits qu’ils ne consommaient pas avant est un problème de santé publique assez évident".

Une directive européenne fixe le taux maximum de nicotine dans ces cigarettes électroniques jetables à 20 mg/ml. "Ce sont des taux qui sont très largement suffisants pour aider de très gros fumeurs à arrêter de fumer. Quelqu’un qui fume 2 paquets par jour peut se retrouver satisfait et retrouver une dose de nicotine suffisante dans un processus de sevrage avec des liquides qui ont 20 mg/ml, ce sont des niveaux qui permettent quand même de satisfaire une dépendance élevée à la nicotine".

Les puffs bientôt interdites en Belgique ?

Les produits sont nombreux sur le marché belge. La liste (kilométrique) des produits qui peuvent être autorisés sur le territoire belge se trouve dans un document de 839 pages, régulièrement mis à jour. On y retrouve des puffs, mais aussi des vapoteuses ou les produits de chauffage du liquide par exemple. "Il y a une obligation de notifier ces produits. Donc les fabricants ou importateurs doivent envoyer au SPF Santé Publique toute une série d’informations, notamment la composition des e-liquides", détaille l’inspecteur. Une condition nécessaire pour être légalement sur le marché en Belgique. "Le fait que cette liste est très longue montre à quel point ce marché est hyperactif", observe Mathieu Capouet.

Un marché hyperactif peut-être aussi parce que les jeunes se procurent des puffs aisément. "Au niveau de la vente aux mineurs, on trouve des taux d’infraction trois fois plus élevés pour les cigarettes jetables par rapport aux cigarettes rechargeables", remarque l’inspecteur. "On constate beaucoup plus d’infractions sur les cigarettes électroniques jetables. Par exemple, au niveau de l’étiquetage. Depuis septembre, quand on fait des contrôles avec des cigarettes électroniques jetables avec nicotine, on trouve 70% de commerces avec des produits non conformes. Alors que pour les cigarettes rechargeables, on ne trouve presque plus d’infractions".

Il y a une volonté politique claire d’interdire les e-cigarettes jetables

Alors, le SPF Santé Publique ambitionne l’interdiction de points de vente en Belgique. Le service public avait déjà tenté d’interdire les cigarettes électroniques jetables, remettant une proposition de modification d’arrêté royal. La Commission européenne l’avait à l’époque retoqué, intimant la Belgique de justifier que ces cigarettes sont un problème spécifique pour le pays.
 

Car une directive européenne autorise ces produits sur le marché européen. "Pour déroger à cette directive, on doit pouvoir justifier d’une problématique spécifique à la Belgique. Et c’est en cours, un dossier a été envoyé à la Commission". En règle générale, la Commission doit donner sa réponse 6 mois plus tard. Comme le dossier a été envoyé en décembre, on pourrait peut-être bientôt être fixé. Mais la Commission peut demander un justificatif supplémentaire si besoin, de quoi retarder la procédure de, parfois, plusieurs mois.

On est confiant sur le fait de pouvoir convaincre la Commission

Dans tous les cas, Mathieu Capouet l’affirme, "il y a une volonté politique claire d’interdire les e-cigarettes jetables, une volonté inscrite dans la nouvelle stratégie interfédérale 2022-2028 pour une Génération Sans Tabac". Une stratégie adoptée fin de l’année 2022. "Dans cette stratégie, on prévoit une interdiction des cigarettes électroniques jetables le 31 décembre 2025. Mais il faut en premier lieu obtenir l’accord de la Commission européenne. Si on a envoyé un dossier, c’est qu’on pense qu’il y a une vraie problématique de santé publique en Belgique, on est confiant sur le fait de pouvoir convaincre la Commission sur le bien-fondé de notre demande ", poursuit-il.

Vapebel, la fédération des détaillants et distributeurs de vape en Belgique également inquiète par les puffs

Vapebel, la Fédération des détaillants et distributeurs de vape en Belgique, fait aussi le gros dos aux cigarettes électroniques jetables. Félix Rijkers, son président, s’inquiète de l’essor de ces produits chez les adolescents. "C’est un produit qui n’est pas cher et donc accessible aux plus jeunes. Le danger est de commencer à fumer avec ce genre de cigarettes. On se détourne de l’objectif principal d’aider un fumeur à arrêter de fumer avec des cigarettes électroniques. Nous avions prédit la situation que l’on connaît aujourd’hui il y a un an".

Sur son site, la position de Vapebel est claire : "Vapebel demande des mesures plus rapides et plus strictes pour rendre les e-cigarettes moins attractives pour les jeunes".

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