Les produits sans lactose : un régime pour les riches ?

Sur les étiquettes, en tout cas, la différence ne saute pas aux yeux. Matière grasse, glucides, protéines alimentaires, calcium… Les valeurs nutritionnelles sont tout à fait comparables. Par contre, les laits sans lactose bon marché ont un goût plus sucré que ceux à trois euros.

Nous avons contacté les quatre producteurs actuels de lait sans lactose en Belgique pour comprendre cette différence : Campina, Walhorn, Inex et Dilea. Aucun n’a donné suite à notre demande d’interview. La direction générale de Dilea nous a tout de même répondu qu’un procédé de fabrication protégé permettait de fournir un lait sans lactose dont le goût se rapproche davantage d’un lait normal. Un procédé qui justifie un prix presque trois fois plus élevé ?

C’est dans un laboratoire universitaire, à Gembloux Agro Bio Tech, que nous sommes allés chercher la réponse à notre question. "Pour fabriquer un lait sans lactose, l’industrie imite notre système digestif ", explique Christophe Blecker, ingénieur chimiste spécialisé dans l’alimentation. " Pour digérer une molécule de lactose, nous avons besoin d’une enzyme qui agit comme une paire de ciseaux, la lactase. Elle coupe la molécule de lactose en deux, ce qui donne d’un côté du glucose et de l’autre du galactose. "

L’industrie, en quelque sorte, prédigère le lait.

L'ingénieur développe: "En Europe, environ 10% de la population adulte ne produit plus ou plus assez cette enzyme, ce qui entraîne des difficultés de digestion du lactose. Pour fabriquer du lait sans lactose, on ajoute de la lactase dans le processus de fabrication. L’industrie, en quelque sorte, prédigère le lait."

Mais les deux molécules séparées (glucose et galactose) ont un pouvoir sucrant deux fois plus élevé que le lactose. Le taux de glucides n’augmente pas, mais le goût du lait est plus sucré.

"Il existe des techniques de filtration du lactose", explique Christophe Blecker. "On peut imaginer que certains procédés industriels consistent à retirer le lactose du lait, à le digérer séparément, et à ne réintroduire qu’une partie du glucose et du galactose pour limiter la sensation sucrée."

Cette étape supplémentaire expliquerait en partie le coût plus élevé de certains laits sans lactose.

Une autre explication possible, c’est le transport du lait entre l’usine et les rayons de nos magasins. Le lait sans lactose le plus cher du marché, la marque Dilea, est fabriqué en Espagne, à Urnieta, à 1200 kilomètres de Bruxelles. Au prix du carburant et des péages autoroutiers, on comprend que cela pèse sur le prix final du produit.

Mais pourquoi aller chercher du lait si loin alors que la Belgique produit plus de 4 milliards de litres chaque année, que nous exportons une partie de notre production à l’étranger et que plusieurs laiteries belges maîtrisent la technique de fabrication du lait sans lactose ?

Notre lait sans lactose conserve sa couleur blanche quand vous le faites bouillir.

"C’est dans cette laiterie d’Urnieta que nous avons trouvé le meilleur procédé pour conserver un goût très proche du lait", argumente Free Vroome, la directrice générale de Vache bleue (Dilea). "Mais aussi pour ses propriétés en cuisine. Notre lait sans lactose conserve sa couleur blanche quand vous le faites bouillir. Ce n’est pas le cas de tous les laits sans lactose."

Il ne faut pas non plus négliger l’impact du marketing sur le prix des produits sans lactose. Il y a quelques années, Dilea était pratiquement la seule marque à commercialiser des produits sans lactose en Belgique. Et en économie, le monopole se traduit toujours par des prix très élevés. L’arrivée d’autres marques sur le marché devrait contribuer à faire baisser les prix.

Pour le docteur Catherine Reenaers, gastro-entérologue au CHU de Liège, c’est une bonne chose. "Les produits laitiers ont tout de même des propriétés nutritives très intéressantes, notamment la vitamine D et le calcium, qui sont conservés dans les produits sans lactose. Cela dit, il faut effectivement se méfier du marketing. Certains yaourts présentés comme "sans lactose" sont vendus deux ou trois fois plus chers. Or les yaourts contiennent un ferment lactique qui permet leur digestion pour autant qu'il n'y ait pas d'ajout de poudre de lait. Ils peuvent être consommés sans problème chez les intolérants au lactose."

Comme les fromages à pâtes dures, d’ailleurs.

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