Week-end Première

Les poils d’Emmanuel Macron sont-ils politiques ?

© Arkhé

Par RTBF La Première via

Emmanuel Macron, pour séduire tous azimuts afin de remporter la présidentielle, a-t-il utilisé aussi le langage des poils ? En tout cas, il nous en a beaucoup montrés : barbe de trois jours façon Zelensky, chemise ouverte découvrant un torse velu… Depuis l’Antiquité, les dirigeants politiques masculins se sont beaucoup préoccupés de leurs poils et de leurs cheveux. Et chaque époque a eu ses symboles : une barbe fournie pour montrer sa puissance du côté des Vikings, des joues rasées de près pour montrer sa rigueur du côté des empereurs romains. Décryptage avec l’historien et auteur Bertrand Lançon.


Dans Poil et pouvoir – L’autorité au fil du rasoir (Ed. Arkhé), Bertrand Lançon s’intéresse aux rapports entre les dirigeants et leurs toisons. Il dédie notamment un chapitre à Emmanuel Macron : non pas jupitérien mais augustéen, si l’on en croit sa coupe de cheveux…


 

Une lutte de masculinité ?

Bertrand Lançon a observé que les poils d’Emmanuel Macron sont arrivés pendant la guerre d’Ukraine, à un moment où les médias ont diffusé beaucoup de rétrospectives sur la vie et la carrière de Vladimir Poutine. Et on a pu voir certaines images de Poutine torse nu, dont la poitrine était absolument glabre.

"Ce que je verrais volontiers, c’est qu’Emmanuel Macron, ou, en tout cas, ses communicants ont voulu le recharger en virilité et en masculinité, en affichant une barbe de trois jours comme celle des empereurs romains militaires du 3e siècle ou comme celle de Volodymyr Zelenski aujourd’hui. Une sorte de surenchère de virilité, par rapport à un Poutine dont la poitrine est lisse.

Je verrais assez volontiers - c’est une hypothèse - Emmanuel Macron dans une lutte de masculinité face à Poutine, qui, par ailleurs, est partiellement chauve et glabre de visage. Alors que Macron, avec une barbe de trois jours ou des poils qui dépassent de la chemise, apparaît comme un homme d’action."

Un Macron augustéen

Bertrand Lançon souligne que les poils ne sont pas seulement un signe de virilité, mais aussi une manière de montrer son appartenance à certaines familles politiques, ou lignées d’empereurs chez les Romains. Emmanuel Macron, selon lui, ne serait pas jupitérien mais augustéen, si l’on en croit sa coupe de cheveux et sa barbe…

"L’adjectif jupitérien a été accolé à Emmanuel Macron du fait de sa façon d’exercer le pouvoir, un pouvoir plutôt olympien, vertical. Alors que si l’on s’en tient à l’aspect physique, il est dans la droite ligne de l’empereur Auguste, fondateur de l’empire romain, c’est-à-dire le cheveu court et les joues glabres. Il se fait aussi Bonaparte, dont les bustes, notamment ceux de Canova, ont été faits à l’imitation d’Auguste.

D’une certaine façon, c’est la quintessence du républicain princier, du républicain monarque. La barbe, chez Macron, est déléguée à certains de ses ministres."

La pilosité pour affirmer son individualité

Depuis l’Antiquité, on commente abondamment la coiffure, la barbe ou la tonsure de nos dirigeants, comme le montrent les nombreux textes repris par Bertrand Lançon dans son livre. Pourquoi ?

"Je pense que tout ce qui concerne le cheveu et le poil, c’est le jardinage intime de soi qui s’expose au public. En tout cas, la majeure partie de notre pilosité, ou une partie - ça dépend de ce qu’on couvre-, est visible devant tous. C’est une certaine façon d’affirmer son individualité, soit dans le grégarisme, soit dans l’originalité. Si vous regardez les footballeurs professionnels, c’est un festival de créations capillaires, chacun essayant de trouver les choses les plus originales possibles. C’est à l’inverse du politique bien sûr, où la démarche est beaucoup plus discrète."

Pour ce qui est de Macron, Bertrand Lançon note une petite différence avec Auguste. A côté de l’oreille, il y a le début d’un petit favori, qui était plutôt mal vu à l’époque romaine.

Romains vs Barbares

Au cours de l’histoire, les dirigeants politiques font vraiment passer des messages à travers leurs cheveux et leurs barbes. On pense notamment à la différence entre le Romain et le Barbare, qu’on retrouve encore sur la colonne Trajane à Rome.

La civilisation romaine, qui est partiellement issue de la grecque, est une civilisation du poil domestiqué, du cheveu court et de la joue glabre, explique Bertrand Lançon. La barbe, c’est celle du philosophe qui se met un peu en marge de la société. C’est aussi, exceptionnellement, quelque chose que l’on laisse pousser au moment des deuils.

"Ce qui est cheveux longs et barbe foisonnante, c’est la définition même de la pilosité barbare. Ce qui est hirsute, mal coiffé, c’est le Barbare. Alors que le Romain est quelqu’un de plutôt bien peigné."

Se démarquer des conventions

Dans Poil et pouvoir – L’autorité au fil du rasoir, il est bien sûr aussi question de calvitie. Bertrand Lançon évoque Jules César obsédé par sa calvitie ou le philosophe Synésios de Cyrène, chauve lui-même, qui, en l’an 400, publie une apologie de la calvitie. Selon lui, le chauve est l’être le plus divin sur terre, parce que les idées poussent dans les crânes lisses.

Cela témoigne de l’importance du sujet : la coiffure et la barbe préoccupent aussi les philosophes ! Dans l’Antiquité romaine, ils sont caractérisés par une chevelure longue et souvent rassemblée en chignon ou dans une résille derrière la tête, et par une barbe longue. C’est une façon de se démarquer des conventions de la cité.

Synésios de Cyrène écrit en réalité une pochade qui répond à un éloge de la chevelure écrit 200 ans plus tôt. Il s’agit pour lui de justifier, par la valorisation de la calvitie, qu’un philosophe puisse aussi ne pas être hirsute.

On apprend aussi dans ce livre savoureux que le Christ n’a pas toujours été barbu. Il est question aussi d’épilations masculines et de bien d’autres choses !

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