Le 13 décembre 2002, il y a donc 19 ans aujourd’hui l’Europe mettait le cap à l’est : lors du sommet de Copenhague, elle décidait d’accueillir 10 nouveaux membres issus pour l’essentiel de l’ancien bloc soviétique, passant ainsi de 15 à 25. C’est-à-dire le plus grand élargissement qu’ait jamais connu la construction européenne.
Car la maison Europe s’est constituée progressivement : au départ, dans les années 50, 6 membres fondateurs : France, Allemagne, Italie et les trois pays du Benelux puis en 1973 un premier élargissement vers le nord avec le Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni.
Dans les années 80, c’est cap au sud avec d’abord la Grèce puis l’Espagne et le Portugal ; puis en 1995 on parle de l’Europe des 15 avec l’accueil de l’Autriche, de la Suède et de la Finlande. Le quatrième élargissement décidé le 13 décembre 2002 est spectaculaire : il prend effet le 1er mai 2004 avec l’accueil de 8 pays de l’est et de deux îles méditerranéennes, Chypre et Malte.
Trois ans plus tard, avec l’entrée de la Roumanie et la Bulgarie ce sera l’Europe des 27. 27 c’est toujours le chiffre d’aujourd’hui avec une dernière arrivée, celle de la Croatie, mais aussi un premier départ : celui du Royaume-Uni.
Le Brexit puise peut-être bien son origine dans l’élargissement européen décidé en 2002
Ce n’est sans doute pas le seul facteur, on sait combien les Britanniques n’ont jamais été des Européens comme les autres. Mais rappelez-vous de la campagne du Brexit et d’un de ses arguments phares : l’absence de contrôle migratoire en raison d’un des principes phares de l’union européenne : la libre circulation aux frontières.
Or, au moment de l’élargissement, le niveau de vie des Européens de l’est était très généralement beaucoup plus bas que ceux des Européens de l’ouest. Pour éviter d’attirer trop de travailleurs de l’Est, les Etats membres avaient le droit de restreindre leur arrivée durant une période transitoire de 7 ans. Mais la Grande-Bretagne fut quasi la seule à ne pas en imposer, devenant ainsi un véritable aimant pour les travailleurs de l’est.
Ainsi, en 2001 moins de 60.000 Polonais vivaient en Grande-Bretagne ; 10 ans plus tard ils étaient 675.000, onze fois plus nombreux ! Ce qui contribua à créer un sentiment de rejet, teinté de racisme qui servit de carburant au Brexit, particulièrement auprès des classes populaires. Ailleurs qu’en Grande-Bretagne, l’arrivée importante des travailleurs de l’est créa aussi de réelles tensions sur le marché du travail : on n’avait clairement pas prévu l’ampleur du phénomène et ses conséquences.
Un élargissement mal préparé ?
C’est une question délicate. Il y eut sans doute un peu trop d’optimisme, voire d’euphorie avec l’idée que le temps allait arranger les choses et que petit à petit le niveau de vie des habitants des pays de l’est serait tiré vers le haut au contact de leurs nouveaux concitoyens. Un élément aurait pourtant dû mettre les dirigeants européens en garde : les difficultés de la puissance économique numéro 1 du continent, l’Allemagne, à digérer sa réunification.
Au fil des années, l’écart de développement entre Allemands de l’est et allemands de l’ouest persiste ; en somme l’Europe avec son élargissement a vécu des difficultés comparables à ce que l’Allemagne a vécu avec sa réunification.
Et même si l’intégration européenne a permis de réelles améliorations, elles sont, pour beaucoup d’Européens loin de leurs attentes. Bref, à l’est comme à l’ouest, l’Europe ne fait plus rêver et ce désenchantement a nourri des sirènes nationalistes.
Malgré les difficultés, le niveau de vie est généralement meilleur à l’intérieur de l’union européenne qu’à l’extérieur. Raison pour laquelle des pays comme la Serbie, le Monténégro ou l’Albanie pour ne citer qu’eux sont toujours candidats à l’adhésion.
Et puis n’oublions pas que le premier but de l’élargissement était politique : empêcher que ces pays qui sortaient d’une dictature communiste ne sombrent dans des conflits de nationalités ou dans des régimes autoritaires. L’exemple de la guerre en Yougoslavie des années 90 servait clairement de repoussoir.
Donc oui il fallait donner des perspectives, garantir un avenir et importer à l’est les principes de l’Union : l’économie de marché, des élections libres et le respect de l’Etat de droit. Sur ce dernier point, les exemples hongrois et polonais montrent qu’aujourd’hui encore, tout n’est pas gagné mais s’il n’y avait pas eu élargissement de l’union européenne, peut-on raisonnablement penser que l’Europe aurait été plus stable et plus prospère ?
Poser la question c’est y répondre ; en permettant la réunification d’un continent si longtemps ravagé par des guerres meurtrières, les dirigeants européens n’ont donc pas commis une bourde le 13 décembre 2002. Trop sûrs d’eux, ils ont juste péché par optimisme oubliant que la seule certitude en histoire, c’est précisément l’incertitude…