Les partis politiques se transforment-ils en investisseurs immobiliers?

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En 2015, la N-VA a acheté le bâtiment situé rue Royale 47 à Bruxelles pour une valeur de 19 millions d’euros. Objectif? Y garder son siège politique et mettre les autres étages en location. Depuis, le parti flamand déclare des revenus du patrimoine immobilier qui dépassent les 700.000 euros par an. Comment les autres partis gèrent-ils leur patrimoine immobilier?

"J'achète!" Cette phrase, vous l'avez souvent entendue quand vous jouiez au Monopoly. Mais, oubliez la Rue Neuve ou le Meir à Anvers, la N-VA a jeté son dévolu sur la Rue Royale. Fort de sa victoire lors des élections un an plus tôt, le parti de Bart De Wever pouvait compter sur des rentrées stables pendant les cinq années suivantes. Ce qui lui a donné l'idée de racheter le bâtiment où la N-VA louait ses bureaux. Le parti nationaliste a alors déboursé plus de 19 millions d'euros.

Un prêt en huit ans

"Nous louons 4 étages et des places de parking correspondantes dans l'immeuble de bureaux de la Rue Royale. La N-VA occupe quant à elle les 5 derniers étages", explique Piet De Zaeger, directeur général de la N-VA. Cet investissement a rapporté près de 777.000 euros en 2020, ce qui représente 6% des revenus totaux du parti.

Et le parti a opté pour un remboursement d'emprunts agressif : le prêt auprès d'ING s'étend sur 8 ans et sera donc remboursé au printemps 2024 Piet De Zaeger précise : "Nous avons délibérément choisi une période qui nous permettrait de rembourser le prêt avant les élections législatives de 2024. Les élections sont volatiles et les dotations, basées sur les résultats électoraux, constituent la principale source de financement des partis politiques. C'est pour cela que cette solution nous semblait présenter le moins de risques. La N-VA entamera donc la campagne électorale de 2024 sans aucune dette.


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Ce n'est pas le seul bâtiment que possède la N-VA: deux asbl du parti ont des parts dans la sprl Vlaams-Nationale Gebouwen - Oostende, propriétaire d'une maison à Ostende qui sert de bureau et d'espace de réunion à un certain nombre d'associations. Cette maison à Ostende a été achetée il y a plusieurs décennies grâce aux contributions des membres et des sympathisants de la Volkunie à l'époque.

Une grande majorité de ces actions sont tombées dans l’escarcelle des deux associations de la Volksunie (et depuis 2001, de la N-VA). "Ces membres ne voulaient pas que la maison tombe (en partie) aux mains de l'extrême droite en raison d'éventuels transfuges du Vlaams Blok/Belang. La N-VA est désormais l'actionnaire majoritaire de cette sprl, mais elle n'est pas le propriétaire direct de la maison", nuance Piet De Zaeger.

La N-VA possède donc (indirectement) deux bâtiments: un à Bruxelles et l'autre à Ostende. Dans les autres cas, le parti loue des locaux. Cela peut paraître peu pour le premier parti du pays. "C'est une réponse sans doute peu spectaculaire, mais en tant que parti indépendant (sans lien avec les mutualités, les organisations d'employeurs ou de salariés), la N-VA ne dispose pas, par exemple, d'une "Maison du Peuple" dans chaque commune par le biais de l'Action commune socialiste ou d'un réseau d'asbl", commente le directeur de la N-VA. 

Nous avons contacté les autres partis pour savoir quels bâtiments ils possédaient et voici un aperçu de leur réponse en carte:

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Zones d'ombre

Cette carte ne représente toutefois pas l'ensemble réel des propriétés des partis. Pour bien comprendre, reprenons les bilans financiers des partis. Dans l'introduction, chaque parti répertorie la liste des entités qui en dépendent: fédérations régionales, groupes parlementaires...


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Le hic, c'est que les partis ne sont pas obligés de répertorier leurs sections locales. Même si, dans la plupart des cas, il s'agit d'associations de fait (et ces locales ne peuvent donc juridiquement pas être propriétaire de biens), il manque des données. Il n'y a par exemple aucun relevé des bâtiments occupés par le parti qui sont la propriété d'organisations (in)directement liées aux partis comme les syndicats, mutualités, ou autres organisations de la société civile.  

"La commission de contrôle des dépenses électorales et de la comptabilité des partis devrait se pencher sur ce dossier. La manière dont les partis déclarent leur patrimoine immobilier n’est pas claire. Il reste encore de nombreuses zones d'ombre", déplore le politicologue Bart Maddens.

Bâtiments achetés par des coopératives

Mais ce n'est pas tout, certains partis passent par des structures tierces pour occuper leurs bureaux. Depuis 2017, le PTB a par exemple un nouveau siège à Anvers près de la gare centrale d’une valeur de 1,25 million d’euros. Alors que les journaux titraient “le PTB achète un nouveau siège”, ce n'est pas tout à fait vrai: ce n’est pas le PTB en tant que tel qui en est le propriétaire mais la coopérative De Toekomstbouwers, constituée de huit actionnaires militants du PTB (300.000 euros) et d’une fondation. Le reste provient de dons de sympathisants ou militants. 


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À l'époque, le professeur Bart Maddens y voyait là une éventuelle manière de contourner la limitation des dons imposée aux partis. Ivo Flachet, porte-parole du PTB, se défend: "Nous payons un loyer mensuel de 7.400 euros à De Toekomstbouwers. Bart Maddens ne le savait pas. Il écrivait que si la PTB ne payait pas le loyer, l'utilisation du bâtiment devrait être considérée comme un don, c'est vrai. Mais le PTB paie un loyer conforme aux prix du marché."

Le PTB n'est par ailleurs pas le seul à passer par des coopératives pour occuper des bâtiments. "Ecolo n'est pas directement propriétaire de son siège fédéral à Namur et à Bruxelles. Deux sociétés coopératives ont été créées et Ecolo dispose de parts sociales (reprises dans les immobilisations financières)", précise Julien Hordies, administrateur général du parti écologiste. 

Terrains/constructions

Comme nous l'avons vu, il est très difficile de répertorier l'ensemble des propriétés des partis politiques. Néanmoins, la catégorie "terrains et constructions" dans la section "actif" peut donner une certaine indication de l’appétit d’un parti pour le secteur immobilier. Cette appellation comprend les terrains bâtis et non bâtis, les constructions que le parti détient en propriété et affectés durablement par lui à son exploitation.

Attention : les valeurs affichées ne représentent pas la valeur réelle des biens acquis : il faudrait y ajouter les amortissements payés dans le passé et prendre en compte l’évolution du bâtiment et du quartier.

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Après les 15 millions de la N-VA, on retrouve le MR avec 8 millions. Entre 2016 et 2019, le parti libéral a investi pour une valeur de 4,7 millions d’euros en terrains et constructions. Dans quels bâtiments? Salma Haouach, porte-parole du MR, répond: “Nous avons acheté de nouveaux locaux à Namur et à Charleroi que nous avons rénovés. En outre, nous avons réalisé de lourds  travaux de rénovation et d’isolation (2,7 millions)  dans notre siège à l’avenue de la Toison d’Or. L’objectif recherché de ces investissements est la réalisation d’économie d’énergie sur le long terme.

Le patrimoine immobilier: signe de santé financière 

En l'état actuel des choses, il est donc quasi impossible d'établir une liste exhaustive des biens immobiliers des partis politiques. Cependant, les réponses envoyées par les partis et les bilans comptables nous permettent de lever un peu le voile sur leur santé financière.


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Après des défaites électorales (et donc une réduction des dotations publiques), certains partis se séparent de leurs propriétés. Le SP.A (appelé désormais Vooruit) a par exemple mis en vente son siège Rue du Marché Aux Herbes à Bruxelles en mai 2021. Il en a profité pour rejoindre ses homologues du PS au Boulevard de l'Empereur, où les deux partis se sont déjà côtoyés par le passé : "Ce déménagement s'inscrit dans le cadre du nouvel élan instauré par le président Conner Rousseau. Il est également le résultat de plusieurs mauvaises élections pour sp.a, ce qui nous oblige à faire avec 30% de ressources et de personnel en moins. En vendant les bureaux du Marché aux Herbes et en louant deux étages sur le boulevard de l'Empereur, nous disposons de plus de ressources pour le fonctionnement du mouvement et du personnel", justifie Niels Pattyn, porte-parole de Vooruit.

Mais, l'exemple le plus emblématique est celui du cdH. En février 2020, le parti humaniste a mis en vente son siège historique de la rue des Deux Eglises à Bruxelles pour ensuite déménager dans un immeuble de la rue du Commerce.

Un an plus tard, le parti a trouvé acquéreur mais reste discret: "En ce qui concerne le prix, il a été demandé par l’acheteur de tenir le montant confidentiel actuellement", explique John Lewis, administrateur délégué du cdH." Étant donné que la transaction s'est effectuée en 2021, il faudra attendre l'année prochaine pour espérer retrouver la valeur de la vente dans les comptes financiers...


Dans le cadre de la semaine de la démocratie du 4 au 8 octobre, la RTBF a lancé sa page spéciale "Bye-Bye, la démocratie ?". Vous y retrouverez toute une série d’articles consacrés aux enjeux de la démocratie, dont le financement des partis politiques.

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