Investigation

Les oubliés du certificat PEB : les locataires sociaux voient leur loyer augmenter même s’ils vivent dans des passoires énergétiques

Viviane Meys, locataire sociale

© RTBF

Dans ce deuxième volet de l'enquête intitulée "PEB : la performance embarrassante des bâtiments", l'équipe d'#Investigation se penche sur des effets inattendus d'une toute nouvelle législation. C’était la grande mesure annoncée en octobre par les Régions wallonne et bruxelloise. Depuis le 1er novembre 2022, le certificat PEB fixe l’indexation des loyers. Les propriétaires de label F ou G ne peuvent plus indexer leurs locataires. L’indexation est limitée à 50% pour les labels E. Et à 75% pour les labels D (uniquement en Wallonie). Cette mesure est valable pendant un an. Les gouvernements respectifs jugeront de l’opportunité de la prolonger au-delà de fin 2023.

Nawal Ben Hamou, la secrétaire d’État bruxelloise au Logement et à l’Égalité des chances se réjouissait de cette nouvelle mesure dans un communiqué de presse : " Nous évitons ainsi que les locataires de passoires énergétiques ne subissent une double peine : une augmentation importante de leur loyer combinée à des factures énergétiques bien plus importantes puisque leur logement est mal isolé ".

Pourtant, cette disposition ne touche pas un public particulièrement fragilisé, à savoir les locataires sociaux. Les loyers des logements sociaux sont uniquement calculés sur base des revenus des occupants. Si leurs revenus augmentent, le loyer augmentera également (en restant plafonné à un maximum de 24% des revenus) et ce même si les locataires sociaux occupent une passoire énergétique. Un mauvais label PEB ne bloquera donc pas l’augmentation du loyer social. Même si les locataires sociaux bénéficient du tarif social, leurs factures énergétiques seront plus élevées si leur habitation n’est pas bien isolée.

Le Logis-Floréal, une cité passoire

Le Logis-Floréal à Watermael-Boitsfort.
Le Logis-Floréal à Watermael-Boitsfort. © RTBF

Nous avons trouvé un cas étonnant à Watermael-Boitsfort. Plus précisément au Logis-Floréal. C’est un ensemble de plus de 1000 maisons témoins d’une époque. Celle des logements bon marché qui ont vu le jour il y a un siècle. Les façades sont identiques et pour la plupart, les châssis sont du simple vitrage.

Ces cités-jardins sont classées depuis 2001. Les habitants ne peuvent plus toucher à l’aspect extérieur de leurs maisons. Ce qui veut dire qu’il est impossible de remplacer des châssis simple vitrage par du double, d’isoler les façades par l’extérieur ou de placer des panneaux photovoltaïques. Bref, la plupart de ces maisons sont des passoires énergétiques. 774 sont des logements sociaux et 285 appartiennent à des propriétaires privés.

Désolé, on est obligés de polluer 

Aux fenêtres, on peut lire parfois des écriteaux : " Désolé, on est obligés de polluer ". Nous rencontrons Vincent Baufay. Ce propriétaire est excédé par cette dépréciation énergétique du quartier. " Considérer que ces façades sont similaires à des façades Horta, je trouve ça aberrant. Je chauffe les nuages. Et donc maintenant, on se trouve avec des factures énergétiques de 1000€ ".

Le Logis-Floréal, la société publique en charge des logements sociaux de la cité a lancé un programme de rénovation. Mais, il est obligé de restaurer à l’identique et de respecter scrupuleusement le plan de gestion patrimoniale. Ce qui mène parfois à des aberrations énergétiques. Vincent Baufay veut nous montrer ce qu’il considère comme le summum de l’aberration. Il nous emmène chez Viviane Meys.

Des châssis simple vitrage payés avec de l’argent public.

Ils ont arraché mes châssis double vitrage

Cette locataire sociale sort d’un chantier de rénovation de son logement pour le moins surréaliste. Avant le classement des maisons en 2001, le règlement urbanistique autorisait le placement de châssis double vitrage. Certains logements en sont pourvus. Mais, aujourd’hui, le double vitrage est totalement interdit. Chez Viviane Meys, il y en avait mais ils viennent d’être remplacés par du simple. "Ils ont arraché mes châssis double vitrage et les ont foutus à la poubelle. Le matin, il y a de la buée partout et ça fait des flaques en dessous de toutes les vitres. Cette nuit, j’avais 10 degrés dans ma chambre ", nous explique

Au premier janvier, son loyer vient d’augmenter d’environ 70€ alors qu’elle vit dans un logement très énergivore. Le certificat PEB n’a aucun impact sur le loyer des logements sociaux. Cette habitante le vit bel et bien comme une double peine : " Pourquoi n’est-ce pas valable justement pour les plus démunis, pour les locataires sociaux comme moi ? "

Nous avons fait remonter ce problème au cabinet de Nawal Ben Hamou. La secrétaire d’État au logement et à l’Égalité des chances vient de mettre en place une prime énergie pour les locataires des logements sociaux les plus énergivores. Elle s’élèvera à 300€ par an. " Notre volonté est de soutenir le pouvoir d’achat de ces locataires sociaux en période d’inflation et de hausse des prix de l’Énergie ", souligne la responsable politique socialiste.

Le cabinet tient à préciser : " La particularité des logements sociaux du logis Floréal, c’est qu’ils sont classés, ce qui nécessite de nombreuses démarches et autorisations en cas de rénovation […] Toute intervention doit respecter le " plan de gestion patrimoniale " de la Direction patrimoine culturel d’Urban Brussels ; Ce qui signifie que le Logis-Floréal ne peut pas faire ni choisir ce qu’il veut ".

Il ajoute que le simple vitrage posé chez Viviane Meys " a la même performance qu’un double vitrage de 9 mm ".

Je vais consommer trois fois plus

Un argument difficile à entendre pour la locataire sociale dont la toiture n’est même pas isolée : " Je sais que ça chauffe toute la journée au lieu de chauffer deux heures par jour ici au premier étage depuis qu’il n’y a plus mes doubles vitrages. Je vais consommer certainement trois fois plus. Ce ne sont pas des travaux. Pour moi, c’est de la démolition. "

La toiture du logement social de Viviane Meys n’est pas isolée
La toiture du logement social de Viviane Meys n’est pas isolée © RTBF

On résume. On enlève des châssis double vitrage pour mettre du simple. Ces châssis sont payés en grande partie avec de l’argent public. La locataire sociale se retrouve dans une maison qui consomme plus d’énergie qu’avant. Ses factures énergétiques grimpent. Parallèlement, son loyer augmente d’environ 70 € par mois car le certificat PEB ne bloque pas les loyers des logements sociaux labellisés F ou G. Et pour compenser, on lui octroie une prime annuelle de 300€ payée de nouveau avec de l’argent public. Ça ressemble à un pansement sur une jambe de bois. La prime ne pourra jamais compenser le manque à gagner de cette locataire sociale.

Vers une piste de solution ?

Le Logis-Floréal à Watermael- Boitsfort.
Une maison inoccupée du Logis-Floréal
Le travail de rénovation de la façade extérieure est purement décoratif. Le mélange de ciment et de mortier n’isole pas l’enveloppe du bâtiment.

La Directrice générale du Logis-Floréal, Daphné Godfirnon, est consciente de l’enjeu de la rénovation énergétique des cités-jardins. Cette société immobilière de service publique (SISP) se trouve dans une impasse et ne peut pas s’écarter des obligations patrimoniales.

Néanmoins, elle souhaite trouver des solutions : Nous sommes en train de mener des tests sur des habitations vides. Une première phase de tests vise à étudier les différentes possibilités d’amélioration de vitrage à placer sur nos bâtiments classés. Une seconde étude viendra la compléter en étendant la réflexion au reste de l’enveloppe de 2 maisons classées (façades, toitures, châssis). […] L’objectif de ces tests est d’améliorer substantiellement les performances thermiques des maisons classées et d’étudier les possibilités d’adaptation du Plan de Gestion Patrimoniale. "

Le Logis-Floréal finance ces tests sur fonds propres et les mène en totale infraction avec les prescriptions imposées actuellement : " Dans cette réflexion, nous devons aussi tenir compte des aspects économiques et financiers des solutions car l’objectif est de pouvoir les transposer à l’échelle de la cité. Or les coûts que représentent les travaux sont très importants. Le but n’est pas de dénaturer le site mais d’adapter des logements vieux d’un siècle à leur époque et aux enjeux actuels qu’ils soient climatiques, énergétiques, environnementaux ou économiques ".

Ça devient inacceptable

Le sort de ces cités-jardins se trouve au centre de plusieurs politiques qui ne vont pas toujours dans le même sens : le Patrimoine, le Logement et l’Énergie.

Nous avons exposé ce cas à un autre membre du gouvernement régional. Le Ministre Bruxellois de l’Energie, Alain Maron reconnaît que ce genre de situation ne devrait plus exister en 2023 : " Est-ce que c’est problématique ? Oui. On doit pouvoir mettre du double vitrage. Maintenant, il y a un nouvel impératif. Les gens qui habitent là, ça ne va pas qu’ils soient confrontés à des factures énergétiques exorbitantes et qu’on ne trouve pas une solution leur permettant d’isoler leur bien. Ça devient inacceptable ".

La présentation des résultats de la première étude du Logis Floréal est prévue pour le 15 février prochain en présence des autorités compétentes. Le Logis-Floréal espère convaincre la Direction du Patrimoine culturel. Car, sans validation des solutions proposées, pas de financement et de subsides pour restaurer le patrimoine classé. Dans les cités-jardins, plus d’une centaine de maisons sont inoccupées. Certaines sombrent déjà dans l’insalubrité. À terme, le patrimoine aussi est menacé.

Sur le même sujet : Extrait Investigation (08/02/2023)

Le certificat PEB ne colle pas à la réalité

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PEB, la performance embarrassante des bâtiments

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