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"Les mots du contre-pouvoir" : un dico collaboratif entre humour et militantisme

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Appropriation culturelle, cancel culture, charge mentale, déconstruction : ce sont tous des mots ou expressions qui font désormais partie de la langue, mais qui n’apparaissent pas forcément dans les dictionnaires classiques. Et pourtant, ces mots ont du pouvoir, c’est pourquoi plusieurs associations se sont alliées pour en faire la liste et les définir afin de créer un dico féministe, antiraciste et militant mais aussi et surtout ludique et joyeux. Les mots du contre-pouvoir propose “une promenade dans la langue comme champ de bataille”.

Sortie en juin 2021, en prolongement du festival Féministe toi-même !, la première édition de Les mots du contre-pouvoir est le fruit d’une collaboration entre plusieurs associations. L’envie de définir ces nouveaux mots qui ne cessent d’apparaître dans les milieux militants est née suite à une réflexion sur leur pouvoir et ce qu’ils provoquent dans notre imaginaire, mais tout en s’éloignant du schéma classique et encyclopédique des dictionnaires. Souvent mal compris, mal définis ou repris à de mauvaises fins, ces mots suscitent de nombreux débats.

Et c’est une polémique autour de l’utilisation d’un de ces fameux mots qui a fait percoler cette réflexion. “Non-mixité”, cette expression en a déjà fait bondir plus d’un et le collectif Imazi. reine en a fait les frais. Après avoir annoncé un atelier fermé aux personnes blanches et hommes cis-hétéro, dans le cadre d’un évènement organisé par le Centre Librex, la Maison du Livre et PointCulture, une rafale de critiques est apparue sur les réseaux sociaux.

En réalité, il ne s’agit que d’une réunion entre personnes qui se comprennent et qui sont concernées par les mêmes oppressions, et ces réunions existent depuis bien longtemps. Pourtant, comme le souligne July Robert, membre de l’asbl La Maison du Livre et du noyau rédactionnel du dictionnaire, ces personnes offusquées par ce terme ne sont pas celles qui participent aux évènements parce qu’à la base, ça ne les intéresse pas spécialement. Il ne s’agit que d’une mauvaise compréhension des mots employés qui entraîne une frustration.

Le dictionnaire ironise d’ailleurs dans un encadré, sous la définition de l’expression "non-mixité choisie" : “Si vous cherchez le succès public d’un événement militant, interdisez-en l’entrée aux catégories de personnes non concernées, dont une bonne partie de celles et ceux qui vont crier sont à la source du problème. Buzz garanti."

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La définition précise qu’il est beaucoup plus facile de parler sereinement de certains sujets avec des personnes qui vivent la même réalité, qu’il s’agit d’un outil d’émancipation. Mais lorsque cette notion n’est pas connue, elle engendre de la colère chez certains, et c’est là qu’il est important de savoir définir les concepts. “En tant qu’association d’éducation permanente, nous nous sommes demandé : qu’est-ce que nous pouvons faire de ça ?”, ajoute July Robert. La création d’un dictionnaire comme outil de sensibilisation et de compréhension est donc apparue comme une bonne réaction face à cette polémique.

Se décentrer au service d’un projet commun

Un livre écrit à plusieurs, et qui plus est un dictionnaire, voilà qui demande de l’organisation. Après avoir dressé la liste des mots qui semblaient importants d’y figurer, et sondé quelques associations, arrivait la partie définition qui a été répartie au sein du noyau rédactionnel en fonction des compétences de chacun et chacune. Et si certaines définitions ont facilement mis tout le monde d’accord, d’autres ont suscité le débat. "On a beaucoup discuté, les avis divergeaient, les débats ont parfois été un peu tendus. Chacun.e a dû écouter l’autre et surtout, se poser la question de savoir à qui on destinait notre dico. Tout le long, nous avons eu le souci de nous dire que nous étions là au nom d’un projet commun, pas pour nous servir nous-même", explique July Robert.

Ancrer et incarner les définitions

Un des grands objectifs du dictionnaire est d’inscrire les mots dans un contexte afin de comprendre pourquoi ils ont été créés. Certains mots qui y sont définis le sont déjà dans des dictionnaires classiques, mais pas de la même manière. Récemment, le terme "wokisme" est apparu dans le Larousse : "L’idéologie d’inspiration woke, centrée sur les questions d’égalité, de justice et de défense des minorités, parfois perçue comme attentatoire à l’universalisme républicain". Cette définition ne contient pas la mention péjorative du terme.

C’est une des raisons pour lesquelles Les mots du contre-pouvoir est émaillé de citations : pour le contextualiser et l’ancrer dans une réalité de terrain plutôt que d’en faire quelque chose de désincarné comme les dictionnaires traditionnels. On ne revendique pas la neutralité, bien au contraire”, insiste July Robert. C’est notamment une idée qu’on retrouve sur la préface du livre, signée Laurence Rosier, professeure de linguistique française, qui met en avant les dictionnaires humoristiques, politiques, ou philosophiques : "Un dictionnaire peut être engagé, critique, joyeux et non exhaustif… Comme notre dico."

Une édition 3.0 ?

Légèrement revue et augmentée, la seconde édition est apparue en mars 2022 après que le collectif se soit tourné vers une maison d’édition pour permettre une plus large distribution. L’objectif est de distribuer le dictionnaire aux bibliothèques de la Fédération Wallonie-Bruxelles et aux écoles, afin de toucher un grand public, au-delà du cercle militant pour comprendre ces mots, les utiliser au quotidien et déconstruire certaines idées.

Pour aller plus loin dans les définitions, le collectif qui avait fait appel à plusieurs associations de terrain pour la première édition a décidé de se tourner vers des personnes directement concernées. Cela a permis d’étayer certaines définitions mais d’en ajouter aussi.

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On le sait, la langue n’est pas figée. De nouveaux mots apparaissent constamment, là est toute la difficulté de tous les rassembler et de les définir. Une troisième édition devrait donc voir le jour pour Les mots du contre-pouvoir, mais il s’agira d’une "édition 3.0" qui est réfléchie en ce moment par les associations participatives.

L’idée serait de créer une plateforme collaborative, avec un groupe de travail qui analyserait régulièrement les propositions et les intégreraient. Au-delà de l’aspect participatif, il s’agit d’une initiative qui vise à plus de diversité au sein de la coordination de l’ouvrage.

Cet article a été écrit lors d’un stage au sein de la rédaction des Grenades.

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be.

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

 

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