Les maquettes d’étudiants en architecture : la récup' plutôt que la poubelle

© Photo Thibault Benghozi

"Rien ne se jette, tout se transforme", cette maxime bien dans l’air du temps, des étudiants en architecture l’ont prise au mot, ils ont créé ce qu’on appelle une "récupérathèque". Comme son nom le laisse deviner, le but est de collecter les nombreuses maquettes conçues lors de leurs études et d’en récupérer les matériaux, parfois onéreux, pour permettre à d’autres d’en profiter à prix réduit.

C’est le principe d’économie circulaire appliqué aux travaux d’étudiants. L’initiative est née au sein de la Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale et d’urbanisme de l’UCLouvain à Saint-Gilles mais elle pourrait inspirer d’autres écoles. Il existe même une Fédération des récupérathèques. A qui le tour ?

Pourquoi acheter des matériaux chers alors que les containers en sont pleins ?

"A la fin des jurys d’examens, il y a des tas de maquettes qui traînaient partout et qui finissaient à la poubelle, c’est dommage." Michaël N’Guyen est ingénieur architecte depuis 26 ans et il anime des ateliers à la Faculté d’architecture ULB de La Cambre-Horta. "C’est triste, les matériaux utilisés pour les maquettes coûtent relativement cher et les voir remplir des containers faisait mal au cœur. Mais c’est heureusement du passé, aujourd’hui on essaye de recycler un maximum, tant par souci écologique qu’économique, c’est bénéfique pour tout le monde. 

A l’ULB, c’est Kiran Katara, professeur d’architecture et de dessin qui a lancé le mouvement : "Le projet est né il y a 4 ou 5 ans. Il partait d’un triple constat. Il y avait d’abord cette montagne de déchets générés chaque année. Rien qu’en première année, nous avons 500 étudiants qui réalisent plusieurs maquettes par an, sans compter les nombreux projets intermédiaires, on se retrouvait donc avec des milliers de réalisations à éliminer, ce qui remplissait plusieurs containers. D’autre part, les matériaux utilisés pour les maquettes représentent un coût important, qu’il s’agisse de carton professionnel, de plexiglas, de tissus ou même de petits arbres, personnages ou véhicules miniatures. De nombreux étudiants rencontraient des difficultés à financer ces fournitures. Et enfin, les achats nécessitaient des déplacements répétés, ils débouchaient régulièrement sur des erreurs et les quantités achetées étaient souvent disproportionnées par rapport aux besoins. Cela nous a poussés à promouvoir le réemploi et à imaginer un système de recyclage. On a trouvé un local, on a formé des étudiants et c’est ainsi qu’est née 'La Fourmilière'. Mais attention, le réemploi de matériaux ne peut en aucun cas justifier une baisse de qualité ou d’exigence par rapport à du neuf, les maquettes fabriquées à partir de matières recyclées doivent rester innovantes et qualitatives, on ne doit pas percevoir de différence."

La lutte contre le gaspillage, une passion partagée et contagieuse

On a aussi été sensible au problème à la Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale et d’urbanisme de l’UCLouvain à Saint-Gilles. Interpellés par le gaspillage et la surconsommation de matériaux, une quinzaine d’étudiants encadrés par deux enseignantes ont planché sur un système de récupération. C’est ainsi que des bacs ont été disposés aux 4 coins de l’école pour que les étudiants puissent déposer ou récupérer les projets de maquette ou les chutes de matériaux. Mais c’était un peu court, ça ressemblait un peu au coin récup' des Brico ou même d’IKEA où des clients peuvent récupérer des chutes de bois ou de panneaux. Le coup de pouce pour se structurer est venu de la Fédération des récupérathèques, une association née en France et dont le but est "d’essaimer le modèle de récupérathèque dans toutes les écoles de création d’Europe." Ce plaidoyer passe par la sensibilisation au réemploi via des campagnes menées dans les écoles et sur les réseaux sociaux et par un accompagnement des initiatives naissantes. Pour aider à la construction de nouveaux projets et pour les pérenniser, la Fédération "met à la disposition des outils clés en main permettant de faciliter la mise en place logistique d’une récupérathèque, comme un site web, une valise de lancement, une application mobile et même un accompagnement personnalisé".

A Saint-Gilles, cela a abouti à la création d’un local baptisé "Le Rucher" entièrement aménagé et meublé à partir d’éléments de récupération. Il est situé au sein de la Faculté d’architecture mais il a pignon sur rue puisque l’objectif a très vite été d’étendre la démarche au quartier. Les habitants peuvent donc déposer et récupérer des matériaux au même titre que les étudiants mais pas question bien sûr de servir d’alternative aux déchetteries, on ne peut pas y apporter sa vieille baignoire ni ses débris de construction.

On recycle mais ce n’est pas gratuit, on paie en monnaie locale

"La Fourmilière" à l’ULB, "Le Rucher" à l’UCLouvain, ce ne sont pas les seules récupérathèques de Belgique. L’ERG a créé "La Boîte à gants", L’ESA de Liège "Recycl’art" et l’ESA Saint-Luc de Bruxelles le "CAB", pour caverne d’Ali Baba ! Toutes ces initiatives font partie de la Fédération des récupérathèques.

Mais certaines ont été plus loin encore en créant leur propre monnaie. C’est le cas à l’ULB La Cambre Horta, comme l’explique Kiran Katara : "Le réemploi ne signifie pas la gratuité totale, les matériaux ont une valeur, il était normal de rémunérer ceux qui les déposent et de responsabiliser ceux qui en prennent, mais nous voulions éviter les transferts d’argent, nous avons donc créé les Myrmés qui servent de monnaie d’échange. Les matériaux sont pesés, l’étudiant qui en apporte reçoit une quantité de Myrmés proportionnelle au poids déposé et cela lui permettra d’en racheter une prochaine fois. Si un étudiant manque de Myrmés, il peut en gagner en offrant des heures de service, par exemple en glanant des matériaux dans les locaux ou en assurant une permanence à la boutique. C’est un projet circulaire et collaboratif. Nous aurions voulu que le projet s’étende à toute l’université mais c’est plus lourd qu’il n’y paraît, et donc chaque chose en son temps."

Même démarche au site saint-gillois de l’UCLouvain où "Le Rucher" a adopté une monnaie virtuelle, le LOCI. Là aussi, l’ambition, c’est d’inspirer d’autres sites de l’université à Tournai et à Louvain-La-Neuve. En parlant de finance, la plupart de ces récupérathèques ont pu compter sur un subside de l’ARES, la fédération des établissements d’enseignement supérieur de Wallonie et de Bruxelles. Seul souci, la crise du Covid a bouleversé leur organisation. Certaines sont fermées, d’autres en hibernation depuis que leurs étudiants sont privés d’exercices pratiques mais il ne faut pas désespérer, les architectes le savent, c’est comme dans la construction, tout prend du temps mais la patience est souvent récompensée.

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