Belgique

Les mamans solos et surendettées demandent du changement

Amina et Lila sont toutes deux à la tête d’associations de soutien aux mères seules.

© Julien Warnotte

Être maman solo, c’est être la seule capitaine à bord. Alors quand le surendettement s’ajoute à la liste interminable des préoccupations, c’est la noyade. Nous avons rencontré Amina et Lila, toutes deux à la tête d’associations de soutien aux mères seules. Malgré leurs nombreuses initiatives citoyennes, elles demandent des changements politiques. Ce qu’elles dénoncent : "la dureté, l’inégalité et la durée du règlement collectif de dettes". On vous explique.

"Il faut briser le tabou de la monoparentalité"

Amina Nsenga Lutumba Ndoy est maman solo et présidente de l’ASBL "Mamans Soloeotop". Nous l'avons rencontrée à Anderlecht, pour un évènement particulier : un citoyen anderlechtois, touché par la situation des mères solos et surendettées, a organisé un couscous solidaire pour elles. Le but ? Sensibiliser, lever des fonds, mais aussi permettre à ces femmes de partager leur vécu, briser le tabou qui entoure la monoparentalité.

Amina Nsenga Lutumba Ndoy  - présidente de l’ASBL « Mamans Soloeotop»
Amina Nsenga Lutumba Ndoy - présidente de l’ASBL « Mamans Soloeotop» © Julien Warnotte

C’est justement pour briser ce tabou qu’Amina a pris le temps de nous parler. Elle a quatre enfants et est seule capitaine à bord depuis de nombreuses années. "C’est important pour moi de parler de la réalité de ces femmes stigmatisées par les diktats de la société et pour lesquelles les difficultés se cumulent", dit-elle. "La maman solo, c’est une personne en qui on n’a généralement pas confiance. On se dit qu’on ne va pas l’engager pour un travail car elle devra souvent s’occuper de ses enfants malades. On refuse de lui louer un appartement car elle n’a pas deux salaires. On estime qu’elle n’est pas fiable et on l’infantilise alors que c’est une super-héroïne."

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Surendettée : la double peine

Rapidement, Lila rejoint Amina. C’est la présidente de l’association "Relais pour les mamans solos". Si elle veut prendre la parole aujourd’hui, c’est pour parler de la situation dramatique vécue par de nombreuses mamans solos : le surendettement, et plus particulièrement le règlement collectif de dettes.

Amina et Lila sont toutes deux à la tête d’associations de soutien aux mères seules.
Amina et Lila sont toutes deux à la tête d’associations de soutien aux mères seules. © Julien Warnotte

Le règlement collectif de dettes, c’est une procédure judiciaire censée venir en aide aux personnes surendettées. Comment ça fonctionne ? Généralement d’une durée de sept ans, le règlement collectif de dettes permet de geler les dettes et d’empêcher les huissiers de venir vous saisir. Un médiateur prend en charge vos finances et vous verse une somme chaque mois pour couvrir vos dépenses courantes. Une fois que le règlement collectif de dettes est terminé, les dettes sont effacées. Le but ? Permettre de repartir à zéro.

Si cette procédure est mise en place pour aider les personnes à sortir du surendettement, elle n’en reste pas moins difficile à vivre. Il faut vivre avec peu, sans contrôle sur ses finances, tout est calculé, tout est à négocier.

"Pendant 7 ans, on vit en apnée"

Justement, à quoi ressemble le quotidien d’une mère solo et en règlement collectif de dettes ? "Pendant sept ans, vous vivez en apnée et vos enfants en sont victimes", dénonce Amina. "Vous n’avez pas accès à votre plan financier. Vous êtes infantilisée et on vous verse un barème qui est très bas et qui ne laisse pas de place au 'superflu' comme acheter des chaussures neuves à son enfant alors que les siennes sont trouées. Tout est calculé au centime près. Vous avez un montant défini pour l’électricité, pour le gaz. Et si vous n’avez pas assez, on vous coupe l’électricité, il faudra attendre le mois prochain. Quand les dettes sont trop hautes, il arrive même que les enfants soient placés."

Ce que dénoncent aussi ces deux mamans solos, c’est l’inégalité entre les pères et les mères face au règlement collectif de dettes. "Les dettes sont engendrées à deux, puis quand la séparation a lieu, l’homme fuit, se met en insolvabilité (c’est-à-dire qu’il ne laisse pas de traces officielles de revenus), ce qui a pour conséquences que les mères se retrouvent seules à devoir assumer l’entièreté des dettes. On est littéralement sur un fil, on devient funambule. La mère et les enfants sont victimes, le papa déserte et personne ne va le chercher pour qu’il assume", explique Lila

"Les violences économiques sont des violences conjugales"

Les deux associations demandent de réformer urgemment la loi sur le règlement collectif de dettes. "Nous demandons de réduire la durée du règlement collectif de dettes de sept ans à cinq ans. Cela enlèverait deux ans de souffrance aux enfants. Car sept ans, c’est très long pour un enfant. Sept ans de privations, de traumas, d’une vie ponctuée de manques. La privation au niveau des activités extrascolaires. Les vacances, ça n’existe pas et on ne parle même pas de luxes comme le coiffeur ou un restaurant de temps en temps. Il y a urgence. Plus ils tardent, plus les dégâts seront importants dans la vie de ces enfants. Ces enfants qui n’ont pas choisi de vivre cette précarité imposée par un père démissionnaire. C’est pour nos enfants qu’on est là. C’est pour eux qu’on se bat. C’est pour leur restituer leurs droits", dit Lila. "Les violences économiques sont des violences conjugales. Même s’il n’y a pas de bleus, de coups, il y a aussi des conséquences sur la santé mentale des mères et des enfants."

© Julien Warnotte

Autre demande : qu’un contrôle soit mis en place pour obliger les pères qui se mettent en insolvabilité à rembourser également leurs dettes, afin que ce fardeau ne repose pas uniquement sur la maman et ses enfants.

Une proposition de loi bientôt discutée à La Chambre

Alors qu’un texte dormait depuis des mois, il sera bientôt présenté en priorité en commission Justice de La Chambre.

Nous avons contacté le cabinet du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne. Il nous affirme qu’une proposition de loi modifiant le Code judiciaire visant à favoriser le recours au règlement collectif de dettes a été déposée en mai 2022. Elle propose notamment de raccourcir la durée de la procédure pour qu’elle soit moins pénible. Le but est aussi de "veiller à ce que la personne en médiation de dettes puisse vivre conformément à la dignité humaine."

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