La passion selon...

Les larmes de Saint-Pierre, le chant du cygne de Roland de Lassus, l’Orphée belge

Saint-Pierre en larmes, par Guido Reni

© Vincenzo Fontana – Corbis via Getty Images

Céline Scheen vous emmène en Toscane, éponger les larmes de Saint-Pierre. Elle nous parle du recueil de 21 madrigaux de Roland de Lassus.

La figure de Saint-Pierre en larmes traverse les âges. Elle apparaît dans les toiles de Greco, Velasquez, Murillo ou Tournier, chez le Caravage, dans la musique de Marc-Antoine Charpentier, ou encore au XIXe siècle dans Les fleurs du mal de Charles Baudelaire.

C’est cependant la sublime musique du compositeur Roland de Lassus, né sur nos terres franco flamandes, qui nous baignera de ses pleurs pour la chronique La passion selon de Céline Scheen.

La musique sacrée de Roland de Lassus

Les Lagrime di San Pietro est une œuvre si particulière qui ne ressemble à aucune autre, que Roland de Lassus composera durant la dernière année de sa vie. Cette œuvre sera donc le chant du cygne du plus célèbre compositeur de son temps, d’ailleurs surnommé par les musiciens l’Orphée belge, ou le Prince de la musique.

Il mourra à Munich en 1594 à l’âge de 62 ans, 3 semaines seulement après l’achèvement de cette œuvre émouvante. Il ne l’entendra malheureusement jamais.

Toute sa vie, Roland de Lassus a écrit des madrigaux, des motets, des messes, des magnificats, des litanies, des hymnes, des passions… Ces œuvres appartiennent en majorité au répertoire qu’il est convenu d’appeler "la musique sacrée", conçue pour exprimer le sentiment religieux et illustrer des textes bibliques.

C’est d’ailleurs à l’église que le jeune Roland a appris à chanter, lui qui était enfant de chœur dans sa ville natale de Mons. Enfant, il chante divinement. Plus tard, il parfera son éducation musicale à Palerme, Florence, Milan, Naples et Rome, avant d’être nommé maître de chapelle à Munich.

Saint-Pierre en larme, de Domenico El Greco
Saint-Pierre en larmes, c. 1655. Bartolom Estebn Murillo

Le lagrime di San Pierto, madrigaux spirituels

En 1594, Roland de Lassus est souffrant et il sait que l’œuvre qu’il est en train de composer sera sa dernière. L’imminence de sa mort a probablement contribué à charger sa musique d’émotions et de sens.

Le texte, à la beauté indéniable, nous vient du poète toscan du trecento, Luigi TansilloLe texte est exalté, philosophique même. Il sublime le ton de la lyrique amoureuse, la structure des strophes, le vocabulaire, les métaphores, mais transforme l’amour humain en adoration christique.

L’écriture musicale de Lassus est, elle aussi, similaire à celle du Madrigal profane. Cette dernière œuvre de sa vie sera néanmoins classée dans les madrigaux spirituels.

Les madrigalismes (moments où la musique souligne et dessine de façon très claire le sens d’un mot) les plus usuels sont largement employés. La musique de Lassus suit le texte vers après vers. Chacun est doté d’un motif musical propre, mis en relief de manière toujours renouvelée par la polyphonie. La musique est étroitement liée au sens du mot.

Sandro Botticelli, Lamentation sur le Christ mort
Sandro Botticelli, Lamentation sur le Christ mort © PHAS – Universal Images Group via Getty Images

La symbolique des chiffres

Autre particularité, la symbolique des chiffres, qui prend tout son sens dans les codes de la religion catholique et des évangiles.

Cette composition compte 21 madrigaux, dont les modes sont ordonnés. Il s’agit là d’une unité musicale, tel un cycle, et pas juste une juxtaposition de pièces. Le chiffre 7, symbole de l’accomplissement divin dans la Bible, est présent à la fois dans le nombre de voix (sept chanteurs) et dans la structure en trois fois sept madrigaux.

Les trois parties sont construites autour de trois thèmes : Le regard du Christ ; Les larmes de Pierre ; Le refus de l’attachement à la vie terrestre.

Les larmes de Pierre, un thème cher aux artistes de la contre-réforme

Le thème des larmes de Pierre est cher aux artistes de la contre-réforme.

Chacun des quatre évangiles rapporte qu’après l’arrestation de Jésus, l’apôtre Pierre, par peur d’être crucifié lui aussi, nie trois fois avoir eu aucune relation avec lui. A la question "connaissez-vous cet homme", Pierre assure qu’il ne l’a jamais rencontré ni côtoyé. La question lui sera soumise à trois reprises.

Les Larmes de Saint Pierre

Lorsqu’il entend le coq chanter pour la seconde fois, Pierre pleure amèrement, au souvenir des mots de son ami Jésus, qui lui avait prédit cette lâcheté. "Avant que le coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois".

La personnalité de Pierre est particulièrement attachante dans les histoires rapportées dans les Évangiles, ce qui rend ce passage encore plus fort. Pierre est entier. Authentique. Fidèle. Passionné. Pierre serait celui qui marche sur l’eau, et celui qui coule. Il n’est pas celui qui se contente de nager.

Le chemin de croix intérieur de Pierre

Lassus utilise la polyphonie de manière à faire ressortir certains mots. Il modifie les textures, le nombre de voix, les tessitures…

Il nous donne à entendre de façon très claire et émouvante, grâce à ses métaphores, les larmes, la faute, la douleur, la fuite, la perdition, la source du salut, la négation de la vie, la crainte de la mort

La 21e pièce est étonnante. Ce n’est plus Pierre qui s’exprime, mais le Christ. Ses mots lui reprochent sa trahison, exprime sa douleur physique et morale, ils enfoncent encore davantage Pierre dans son repentir.

Les mots du poète Luigi Tansillo embrassent la musique de Roland de Lassus. Ou est-ce la musique de Lassus qui sublime les mots du poète ?

Ensemble, ils forment une sorte de psychodrame, évoquant un chemin de croix qu’endurerait intérieurement l’apôtre Pierre.

A la surface, tout nous parle du disciple et de ses remords éternels, lui qui a renié Jésus avant sa crucifixion, par trop d’attachement à la vie terrestre, qui sera pour lui source de perdition.

Mais dans ses profondeurs, cette œuvre remue en nous des thèmes bien plus universels : la vieillesse, la perte des choses et des êtres chers, l’expérience de la honte, du regret, du pardon, de l’orgueil et l’humilité.

Nous touchons aux chutes et aux élans de l’humanité, à nos consécrations, nos écueils et nos faiblesses.

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