L’impôt sur la fortune divise la Vivaldi. L’approche du premier mai socialiste et les nouveaux besoins budgétaires relancent la discussion. Véritable serpent de mer, l’impôt sur la fortune pose de multiples problèmes, politiques et économiques. On peut pointer quatre infortunes de l’impôt sur la fortune, quatre infortunes qui expliquent que depuis 30 ans, il reste dans les tiroirs.
L’Etat fainéant
La première infortune est limpide : l’Etat est fainéant. C’est une règle universelle : l’Etat taxe d’abord ce qui est facile à taxer, et la fortune n’est pas facile à taxer. Ainsi lorsque la gauche, en particulier le PTB dit qu’on ne taxe pas la richesse parce qu’on protège les riches, la gauche sous-estime constamment cette réalité moins romantique, l’Etat est fainéant.
Ainsi dans l’histoire de la fiscalité les Romains taxaient la richesse sur base du nombre de portes et de colonnes des habitations. Les Français ont fait la même chose avec le nombre de fenêtres durant la révolution. Résultats, des fenêtres en trompe-l’œil, des fenêtres qui donnent sur des arrière-cours, et des habitations avec moins de fenêtres. La richesse a toujours été difficile à taxer, et c’est encore plus vrai aujourd’hui où le capital est plus mobile, et c’est encore plus vrai dans un petit pays. Au-delà des résistances idéologiques qui sont fortes, il y a d’abord une résistance pratique.
Qu’est-ce que la fortune ?
La deuxième infortune est dans le périmètre de la fortune. Qui est riche ? C’est pour cette raison que durant les élections le bureau du plan avait refusé de calculer cette proposition qui figurait dans le programme de trois partis, Ecolo, PS, PTB car puisqu’il n’existait pas de cadastre des fortunes, il était impossible de calculer le rendement d’un tel impôt. Habitation, capital des sociétés, seconde résidence transactions financières, plus-values, actifs financiers, il faudrait idéalement tout prendre en compte, avoir un cadastre des patrimoines, avant de se mettre d’accord.
Au sein de la famille socialiste, Vooruit préférerait taxer les surprofits des sociétés, le PS les actifs supérieurs à 1 million d’euros, Ecolo est dans une version similaire. Ce qui toucherait entre 5 et 10% de la population selon l’économiste Jean Hindriks. Le CD&V vise surtout les entreprises qui ne versent presque pas d’impôt. Enfin, les libéraux eux n’en veulent pas. Au nom de l’accord de gouvernement qui est très clair : Aucune taxe nouvelle ne sera introduite. Mais le passage suivant annule la phrase “sauf dans le cadre des discussions budgétaires”.
La fortune déjà (mal) taxée
La troisième infortune c’est qu’il existe déjà un impôt sur la fortune en Belgique. Ce n’est pas comme si on ne taxait déjà pas le capital, les bénéfices, l’épargne, les sociétés. Ce qui est vrai c’est qu’on les taxe très mal. Prenez par exemple les droits de succession, la législation prévoit une série d’échappatoires qui permettent aujourd’hui via des donations, via des fondations, via des sociétés à des patrimoines, surtout les plus grands patrimoines d’échapper à presque toute taxation. Cette très mauvaise taxation des patrimoines est la source majeure de la reproduction des inégalités. Même chose pour l’impôt des sociétés, en baisse constante depuis la fin des années 80. Il permet à des groupes comme Colruyt qui a réalisé un bénéfice de 43,17 millions d’euros en 2020 de payer 9,12 millions d’euros d’impôts. C’est assez étonnant qu’on ne bouche pas tous ces trous dans le gruyère de la taxation des patrimoines ou des sociétés avant d’évoquer un impôt sur la fortune.
Une question de justice ?
Tout ça ne concerne que l’aspect pratique, l’efficience de l’impôt, l’aspect technique qui a largement bloqué l’impôt sur la fortune. Mais l’autre pilier de la fiscalité c’est l’aspect redistributif, donc politique et il n’en est pas moins bloquant.
C’est la quatrième infortune. Ici l’impôt sur la fortune est défendu au nom de l’équité, de la justice comme égalité, là il est combattu au nom de l’équité et de la justice comme liberté ce qui nous vaut depuis 30 ans un blocage persistant sur le sujet.
Finalement ce qui risque de faire sauter ces facteurs bloquants ce sera la réalité. Financer le réarmement massif poussé par la guerre, faire face au trou béant laissé par le covid, les besoins colossaux d’investissement climat dans un contexte de rareté des ressources. Ces mêmes éléments risquent aussi de pousser les Etats endettés comme la Belgique à diminuer leurs dépenses dans d’autres domaines, les aides aux entreprises, la redistribution sociale, les services publics…
Ça veut dire qu’il va falloir choisir, poussé par la nécessité. Machiavel disait qu’en politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal. Avec l’impôt sur la fortune, on en est là.