Monde Moyen-Orient

Les Gardiens de la Révolution d’Iran : un empire commercial tentaculaire

Des soldats des forces terrestres des Gardiens de la Révolution Islamique iranienne en entraînement au nord-ouest du pays.

© BELGA

Le Parlement européen a demandé que l’Union européenne inscrive le groupe paramilitaire des Gardiens de la Révolution d’Iran sur sa liste des organisations terroristes. Bien que cette décision ait déjà été prise par les Etats-Unis en 2019, la demande du parlement est restée lettre morte. Josep Borrel, chef de la diplomatie européenne, a préféré ne pas prendre de décisions hâtives à ce sujet, estimant que cela ne pouvait "être décidé sans un tribunal. Une décision de justice est nécessaire".

L’Iran traverse depuis septembre une crise politique encore jamais vue depuis 1979. Des millions de manifestants descendent dans la rue pour demander la fin du régime autoritaire. Le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (CGRI), une force militaire en concurrence avec l’armée iranienne, est au cœur d’une terrible répression qui a déjà fait au moins 481 morts. Arrestations arbitraires, enlèvements, tortures mais aussi copinage avec la Russie, voilà ce qui a décidé les parlementaires européens à vouloir inscrire les Gardiens, aussi appelés "Pasdaran", sur la liste noire. Toutefois, les Pasdaran sont bien plus qu’une potentielle organisation terroriste. C’est aussi un empire commercial et politique contrôlant une partie colossale de l’économie iranienne. S’en prendre aux gardiens, c’est s’en prendre au régime et à l’économie iranienne dans son ensemble.

Une armée idéologique en concurrence avec l’armée régulière

L’Iran a deux bras armés, et l’un de ces bras est beaucoup plus long que l’autre. "À côté de l’armée nationale, les gardiens de la révolution, c’est l’armée idéologique du régime sur laquelle s’appuie la République islamique. La mission même des Gardiens de la Révolution – environ 190.000 hommes en 2021-, c’est de défendre le régime et ses acquis", explique le maître de conférences de l’Université Libre de Bruxelles et spécialiste de l’Iran, Thierry Kellner. "Ce sont eux qui ont les meilleurs équipements et le meilleur financement." Car avoir leur propre financement garantit leur fonctionnement et leur légitimité – et par extension – la légitimité du régime.

Pour comprendre l’enjeu que représente l’autonomie financière du CGRI, il faut faire un peu d’histoire. Les Gardiens de la Révolution ont été créés par Rouhollah Khomeiny, celui qui allait devenir le guide suprême de la République islamique en 1979, après la révolution qui mit fin au régime du Shah. Khomeiny n’a pas confiance en l’armée, et il veut évincer et massacrer si besoin ses opposants politiques pour imposer son pouvoir et sa doctrine religieuse. Recrutées parmi de jeunes volontaires, les milices des Pasdaran représentent un corps de soldats inexpérimentés. Elles sont toutefois entièrement acquises à Khomeiny et à la République islamique, le régime politique qui perdure jusqu’à aujourd’hui.

Ces milices s’illustrent au combat pendant la guerre contre l’Irak, en repoussant les troupes de Saddam Hussein qui essayaient d’envahir l’Iran. Les Gardiens deviennent alors très organisés et très populaires. Après la victoire, en 1988, et la mort de Khomeiny un an plus tard, ils sont toutefois un peu désœuvrés. Leur légitimité est mise en doute et certains parlent même de les démobiliser. Pour survivre, les Pasdaran vont devoir se rendre incontournables. L’un des moyens d’y arriver, ce sera d’investir en masse dans l’économie du pays.

Plus d’un tiers du PIB Iranien

Les Gardiens, sous la coupe du nouveau – et actuel – guide suprême Ali Khamenei, vont participer à la reconstruction du pays et se constituer un colossal empire commercial. Ils prennent des parts directes ou indirectes dans les secteurs des transports, les secteurs pétroliers, miniers, agroalimentaires, pharmaceutiques, mais aussi dans la finance, la construction, le tourisme et les télécommunications. Ils possèdent aussi une bonne partie des aéroports et des ports. Très actif dans la contrebande et l’économie noire, et souvent enregistré sous une multitude de noms différents au sein des entreprises, le poids du CGRI dans l’économie Iranienne est difficile à estimer. Des experts occidentaux l’évaluent entre un et deux tiers du PIB du pays. Dans les faits, pour investir en Iran, il est inconcevable de ne pas avoir à faire aux Pasdaran.

Cette omniprésence permet au régime d’exercer un contrôle sur la population bien plus efficace que le simple endoctrinement religieux. Et ainsi d’asseoir leur influence politique. Pour Thierry Kellner, ils développent un système clientéliste : "Si vous pouvez fournir de l’emploi, si vous pouvez fournir des bénéfices à un certain nombre de personnes, vous les liez à vous, et par extension au régime. C’est une façon pour les Pasdaran de pouvoir trouver de meilleurs appuis tout en vous enrichissant personnellement, et tout en cultivant un réseau de personnes qui vous seront fidèles".

Des offres que personne ne peut refuser

Récemment, les sanctions américaines sur l’Iran ont considérablement appauvri la population iranienne. Les Gardiens, eux, se frottent les mains. Le fait que les entreprises étrangères puissent difficilement investir sur le sol iranien balaie une bonne partie de la concurrence. Mais même avant les sanctions, les Gardiens savent faire subtilement pression sur de potentiels concurrents. Ils sont une organisation militaire, et les armes sont un bon moyen de remporter des appels d’offres. "Il y a des intérêts commerciaux purs appuyés par le réseau des Pasdaran. Mais s’il le faut, ils peuvent utiliser la menace, l’intimidation, la coercition voire la force pour faire plier un concurrent ou finalement l’obliger à coopérer avec eux sur le territoire iranien". Un mode opératoire qui a des airs de mafia.

Les Gardiens participent bel et bien à des activités qui s’apparentent au "terrorisme" : assassinats d’opposants politiques et soutiens de milices armées à l’étranger, organisation d’attentats voire prises d’otage. On pense immédiatement à notre compatriote Olivier Vandecasteele, détenu arbitrairement par l’Iran depuis plus de 10 mois. Mais le groupe armé est si profondément lié aux hauts responsables du régime, et à l’économie iranienne, que les mettre sur liste noire mettrait KO un dialogue déjà chancelant avec l’Union européenne. Notamment sur un sujet aussi brûlant que le nucléaire, comme tient à le rappeler Thierry Kellner.

La meilleure solution que semble avoir trouvée l’Union Européenne au sujet de la répression des manifestations en Iran, c’est la bonne vieille méthode des sanctions économiques, élargie à certains corps des Pasdaran et à des cadres du régime. Des mesures auxquelles l’Iran a répondu immédiatement en annonçant à son tour un train de sanctions contre 25 individus et entités de l’Union.

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