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Les femmes et l’Europe : quoi de neuf au Parlement européen ?

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Par Claudia de Castro Caldeirinha, une chronique pour Les Grenades

Un moment sans précédent dans l’histoire de l’Union européenne (UE) s’est produit en janvier dernier, lorsque trois femmes se sont présentées comme candidates au poste le plus élevé du Parlement européen (PE) : Alice Bah Kuhnke (Les Verts), Roberta Metsola (Parti Populaire/PPE) and Sira Rego (Gauche), toutes vêtues de blanc comme symbole de sororité et de solidarité entre les femmes.

Avec des agendas politiques et des points de vue idéologiques très différents, les trois femmes se sont disputé la majorité des suffrages valables. Le scrutin secret s’est déroulé lors d’une session plénière à Strasbourg, chargée d’émotions liées au décès soudain de l’ancien président, David Sassoli.

Metsola l’a remporté avec 458 voix, Kuhnke a reçu 101 voix, tandis que Rego a obtenu 57 voix. Metsola, membre du plus grand bloc parlementaire (le Parti populaire européen/PPE), était pressentie comme la favorite pour remplacer le chef du parlement italien de centre-gauche Sassoli dans le cadre d’un accord de partage du pouvoir conclu par les principaux groupes politiques (PPE, S&D et Renew).

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L’élection de Roberta Metsola est donc la conséquence d’une tradition d’alternance entre gauche et droite à la présidence, qui a pratiquement toujours été respectée lors des élections de la mi-législature au Parlement.

La jeune maltaise est devenue ainsi la troisième femme présidente (parmi 30 présidents depuis la création du Parlement européen en 1952) et elle est également la première femme de ces 20 dernières années à diriger la Maison de la démocratie, après les françaises Nicole Fontaine et l’incroyable Simone Veil.

Metsola a 43 ans – la "génération Erasmus" – et est donc la plus jeune présidente du PE de tous les temps. Diplômée du Collège d’Europe de Bruges avant de travailler pour le gouvernement maltais à Bruxelles, puis pour la Commission européenne, elle a développé une campagne dans laquelle elle s’est présentée comme une femme leader, jeune mais expérimentée, capable d’inspirer et de créer un consensus à travers les divisions politiques de l’Europe. L’élection d’une citoyenne de Malte, le plus petit pays de l’UE, aurait aussi été impensable il y a quelques années. Les présidents du PE sont en effet traditionnellement issus de grands pays de l’UE comme l’Allemagne ou la France, ou d’un membre fondateur comme les Pays-Bas ou l’Italie.

Elle est généralement considérée comme une femme politique de la droite modérée malgré l’importante controverse sur sa position anti-avortement. Son parti, le PPE, l’a présentée comme le visage d’un Parlement moderne, fort et plus visible. Elle n’est pas étrangère aux couloirs byzantins du pouvoir de l’UE après avoir été la première vice-présidente de la chambre de Sassoli, particulièrement active car le défunt président devait régulièrement s’absenter pour des raisons de santé.

Vous n’êtes plus une eurodéputée d’un groupe politique mais la présidente de la maison

Avec l’élection de Metsola au PE, pour la première fois dans l’histoire européenne, trois femmes dirigent en même temps des institutions centrales de l’UE. Avec Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne et Christine Lagarde à la présidence de la Banque centrale européenne, la triade féminine dresse un tableau remarquable de l’UE.

Controverse

Mais évidemment il ne suffit pas d’être une femme pour être féministe.

Alors que l’annonce de l’arrivée d’une femme à la présidence du PE après 20 ans de présidents masculins est généralement bien accueillie, il subsiste cependant d’importants sujets de controverse.

Malte est le seul pays de l’UE où l’avortement reste illégal dans tous les cas, et Metsola a systématiquement voté contre les résolutions parlementaires qui défendent le droit à l’avortement. Sa position contraste fortement avec la majorité au sein de l’hémicycle, qui prône des points de vue pro-choix (par exemple, en 2021, le Parlement a adopté une résolution déclarant l’accès sécurisé à l’avortement comme un droit humain).

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Plusieurs membres du Parlement européen (MPE) ont fait valoir que Metsola était ambivalente quant à sa position sur l’avortement et ont déploré que sa victoire soit le résultat d’un accord en coulisse entre les grands partis.

L’eurodéputée espagnole Iratxe Garcia, leader du S&D, a appelé Metsola à être une représentante neutre du pouvoir : "Vous n’êtes plus une eurodéputée d’un groupe politique mais la présidente de la maison". Evelyn Regner, eurodéputée autrichienne (qui vient d’être nommée vice-présidente du PE), a déclaré : "Alors que plusieurs États membres de l’UE remettent actuellement en question nos valeurs fondamentales, tout candidat à la présidence du Parlement ne doit pas laisser de place au doute lorsqu’il s’agit de sa position sur les droits des femmes et les droits humains. Le bilan des votes de Metsola sur l’avortement et la santé des femmes est allé à l’encontre de la nette majorité des députés de cette Assemblée. Cela ne peut pas être le cas pour la présidente", a-t-elle soutenu : "La position de la direction du Parlement européen doit rester claire : refuser l’accès aux soins de santé, dont les avortements font partie, est une violation des droits humains".

Les Verts se sont également fait entendre, d’autant plus qu’ils ont été exclus de l’accord des grands partis. L’eurodéputé belge Philippe Lamberts (coprésident du groupe écologiste au Parlement européen) a salué la "stature" et le pragmatisme de Metsola, mais a souligné que "le processus qui a conduit à (sa) victoire n’est pas un processus très glorieux pour le Parlement européen. […] La démocratie ne peut pas être celle de la majorité régnant sans partage."

Renew Europe, le troisième plus grand groupe au Parlement européen, qui comprend les eurodéputés de Macron, a participé à l’élection de Metsola, même si de nombreux eurodéputés libéraux ont exprimé des inquiétudes quant à ses positions conservatrices.

Peut-être pour compenser leur vote de la veille, le président Emmanuel Macron a plaidé le 19 janvier devant le Parlement européen l’inscription du droit à l’avortement dans la Charte des Droits Fondamentaux. Dans une Europe désunie sur la question de l’avortement, cette actualisation signifierait l’obligation pour tous les États de l’Union Européenne d’autoriser l’avortement et d’accompagner les femmes souhaitant y avoir recours.

Dissiper les doutes

Face aux nombreuses critiques, Metsola s’est engagée à respecter l’opinion majoritaire de l’hémicycle en faveur de l’avortement. "Je continue à répéter et à m’engager sur la position du Parlement. Le Parlement est sans ambiguïté sur la santé et les droits sexuels et reproductifs, et je serai sans ambiguïté". En tant que vice-présidente du parlement, elle a récemment publié une résolution condamnant la loi anti-avortement polonaise. "Je l’ai promue et je l’ai présentée… C’est exactement ce que je ferai avec toutes les positions qui ont été prises dans ce domaine dans tous les États membres", a-t-elle expliqué.

Pour dissiper d’autres doutes, la présidente a aussi promis de cesser complètement de voter – quelques soient les questions politiques en jeu – et de toujours suivre la position prise par l’hémicycle.

En tant que présidente du Parlement européen, Roberta Metsola présidera les débats et les activités de l’institution pendant deux ans et demi, elle représentera le Parlement au sein de l’Union européenne (UE) et au niveau international et signera la plupart des lois européennes et le budget de l’UE.

Le Parlement est sans ambiguïté sur la santé et les droits sexuels et reproductifs, et je serai sans ambiguïté

Dans son discours d’investiture, elle a déclaré : "Au cours des prochaines années, les citoyen.nes de toute l’Europe se tourneront vers nos institutions pour le leadership et la direction à suivre, tandis que d’autres continueront à tester les limites de nos valeurs démocratiques et de nos principes européens. […] Nous devons lutter contre le discours anti-UE qui s’installe si facilement et si rapidement. […] A ceux qui cherchent à détruire l’Europe : sachez que cette maison se dresse contre vous.

Son mandat ne sera pas facile. Même si elle est propulsée à la présidence par le grand bloc conservateur, elle se trouve face à des groupes socialistes et de centre-gauche de plus en plus puissants. Le Parlement se prépare aux élections de 2024 et fait encore le deuil du décès d’un Président généralement très apprécié, David Sassoli.

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En outre, elle se trouve face à un agenda politique complexe, ambitieux et polarisateur : le besoin de réduire les émissions de carbone, numériser l’économie en préservant l’emploi et les droits sociaux, renforcer l’unité et la solidarité du bloc, renforcer le respect de l’État de droit partout dans l’UE, les relations internationales, etc. Elle devra donc diriger le Parlement avec une vision stratégique, une intégrité, un pragmatisme politique et une capacité de médiation entre les camps idéologiques.

Puisse donc Roberta Metsola tenir sa promesse de représenter les positions du PE sans ambiguïté, et devenir une force progressiste pour un changement positif. Et puisse-t-elle en effet devenir un modèle pour toutes les femmes, en veillant à ce qu’il ne se passe pas encore 20 ans avant qu’une autre femme ne soit élue présidente du Parlement européen. Les "role models" comptent pour beaucoup, mais des actions concrètes comptent encore plus.

Pascale Clark écrit à Roberta Metsola

Claudia de Castro Caldeirinha est conseillère en leadership, diversité et inclusion, et égalité des genres. Elle est aussi auteure, conférencière TEDx, formatrice, facilitatrice et coach exécutive. Elle est membre fondatrice du programme européen Master-Mind pour les femmes leaders.

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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