" Si notre fondateur pouvait voir ce qui est arrivé, il se retournerait dans sa tombe. " Marc Desmet, 67 ans, est furax. En 1995, ce Courtraisien a décidé de consacrer sa vie au projet Rafaël lancé par le prêtre Reginald Rahoens.
Aujourd’hui, il ne reste rien du projet initial : le site – actuellement en chantier – est désert. " Tout le monde a dû partir ", regrette Marc Desmet qui, en échange de son engagement auprès des démunis, était logé et nourri par Rafaël. L’Église va désormais aménager 52 logements sociaux ici. Le bâtiment doit s’autofinancer. Et pour cela, les plus pauvres des pauvres – ceux sans revenus n’ayant nulle part où aller – n’y auront plus leur place.
Ils nous ont laissé pourrir ici avec le bâtiment
Il est indéniable qu’une profonde rénovation du bâtiment de l’ex-clinique Sainte-Anne était nécessaire. Lorsque deux inspecteurs de l’urbanisme se sont rendus sur le site le 20 décembre 2016, ils ont constaté une violation flagrante des règles d’urbanisme bruxelloises dans l’ancien hôpital. Le nombre de logements créés dans l’énorme bâtiment était bien supérieur à celui qui avait été approuvé en 2004. Les problèmes d’urbanisme et de surpopulation remontent à l’époque de Rahoens, mais les habitants indiquent que sous Cosijns, la misère a augmenté. " Depuis qu’il est devenu président de l’asbl, il n’y a presque plus d’argent pour les réparations ", regrette Marc Desmet. Lors d’une visite des lieux, il nous montre des locaux moisis et des gouttières cassées. " Nous vivons ici dans la misère depuis dix ans. Plusieurs personnes sont tombées malades. Quelqu’un a même eu une infection fongique dans le sang. Ils nous ont laissé pourrir ici avec le bâtiment. "
En juin 2017, poussé dans le dos par la commune, le conseil d’administration opte pour une rénovation totale du bâtiment : 52 logements sociaux devront occuper la moitié du bâtiment. Le reste abritera un centre paroissial, une crèche, une banque alimentaire et un restaurant social. Cette rénovation – un chantier de 10 millions d’euros – est chapeautée par le projet Bethléem. Les 300 résidents devront quitter les lieux pour de bon. Et s’ils veulent réintégrer le bâtiment après travaux, ils devront payer un loyer. Bref, le centre Rafaël qui offre gratuitement un toit aux plus démunis tel que mis en place par le père Rahoens, c’est fini.
Pour les résidents, cette décision du CA est un coup de massue. " Le sol s’est dérobé sous mes pieds ", raconte un ancien habitant. " Nous ne pouvions plus dormir la nuit. Cet endroit nous a sauvés de la rue et maintenant ils veulent nous remettre à la rue ? ", s’indigne un autre résident.
Maintenant, ils prennent leur vie en main
" Nous n’avons jeté personne à la rue ", rétorque Marie-Françoise Boveroulle. " Nous avons patiemment essayé, pendant 30 mois, de trouver un nouveau logement pour tous les résidents. " Même justification de Mgr Cosijns : " Nous avons mis ces personnes face à leurs responsabilités. Ils ont dû chercher pendant les trois dernières années et la majorité d’entre eux ont trouvé un endroit où il fait bon vivre. Maintenant, ils prennent leur vie en main. " Pour cela, Boveroulle a lancé plusieurs initiatives : " Avec la commune et l’association des locataires, nous avons mis en place un groupe de travail afin de trouver des solutions pour reloger les résidents. D’avril 2019 à septembre 2020, le service social de Cureghem a tenu des permanences dans le centre tous les jeudis matin. "
Des sans-papiers utiles
En juin 2020, il restait une centaine de personnes sur le site, dont une trentaine de sans-papiers. Pour reloger les personnes disposant d’un revenu, Boveroulle a lancé des appels via cathobel.be et dans la presse. Pour les sans-papiers, elle a posté des petites annonces. " Je cherche des habitats groupés qui seraient intéressés d’accueillir l’une ou l’autre personne sans papier ", sans quoi " ces personnes finiront dans la rue ", écrit-elle en juin 2020 sur un site spécialisé. Puis, dans une tirade qui suscite un certain malaise, elle souligne les avantages de la prise en charge d’un sans-papier : " Outre la qualité humaine de ces personnes, elles peuvent être aussi très utiles et peuvent s’occuper d’une personne âgée/malade, faire le ménage, travailler dans le jardin, faire les courses, cuisiner, faire de la blanchisserie (repassage ou autres), s’occuper d’animaux… "
Interrogée sur ce qui ressemble à une proposition de travail au noir en échange d’un toit, Marie-Françoise Boveroulle nous répond de manière surprenante : " Vous savez très bien qu’il y a des métiers en pénurie. " Puis elle nuance que plusieurs sans-papiers auraient " eux-mêmes proposé cela " pour augmenter les chances que des personnes privées acceptent de les héberger, " mais ça n’a jamais abouti "…