Critique :
‘Les enfants du soleil’ de Gorki forment avec ‘Vania’ de Tchékhov un diptyque où l’âme russe se (dé)montre universelle. Ce portrait de groupe au bord de l’implosion, interne et externe, est écrit par Gorki juste après sa sortie de prison pour participation aux émeutes de St Petersburg en 1905, la répétition générale de la révolution de 1917. Et de fait la révolte gronde aux portes de l’appartement mais elle fissure déjà le groupe de l’intérieur. Deux ‘bonnes’ (l’excellent duo de Gwendoline Gauthier et Consolate Sipérius) montrent leur impatience face à ces maîtres débonnaires mais aveugles à la montée des colères populaires. Certaines de leurs tirades sont empruntées aux fameuses ‘Bonnes’ de Jean Genet, un clin d’œil. La maladie symbolique, le choléra, menace le groupe dans ses fibres, disséquées par le chimiste Protozov. La folie lucide de Liza, sa sœur, un personnage central (magistrale interprétation de Marie Bos) décrit l’effondrement programmé de cette société insouciante, sympathique mais suicidaire. La maladie de cette ‘Cassandre’, prophétesse de malheur, la rend hypersensible au futur menaçant.
Et pourtant, si le feu couve presque tout le temps, la pièce n’est pas une ‘démonstration ‘politique mais une comédie de mœurs, pleine d’humour tendre et de grincements de dents, avec des personnages aux idées progressistes, bourgeois éclairés 1900, un brin ‘soixante-huitards ‘, humanistes aveugles à la misère extérieure. Un cadre de vaudeville (deux couples désaccordés, des amours qui tombent dans le vide) mais où on ne dissimule pas l’amant derrière la porte : on en parle ouvertement, on soufre (parfois jusqu’au suicide comme le vétérinaire Tchepournoï, un Philippe Jeusette tout en nuances), mais la plupart du temps sur un ton badin. Voici le maître des lieux, Pavel Protozov, hanté par les progrès de la science et totalement indifférent à sa femme (Elena), un rôle de grand enfant égoïste presque ingénu, où excelle Yannick Régnier. Elena se console avec l’artiste Vaguine alors que la riche veuve, Melania tente en vain de séduire Protozov. La menace interne s’incarne progressivement par le gardien Iegor (inquiétant Gaëtan Lejeune), le prolo ivrogne et agressif.