Fascination. C’est le premier mot qui vient à l’esprit face aux dessins monumentaux d’Amélie Scotta. Bâtiments aux étages multiples presque infinis, villes kilométriques questionnant le rapport à l’humain : l’habitat, l’architecture et ses symboles de pouvoir ou d’enfermement nourrissent une pratique d’une incroyable minutie qui peut se déployer sur plusieurs mètres.
Tous les ans, la Médiatine, centre d’art de Woluwe-Saint-Lambert, met à l’honneur deux artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles par le biais d’une exposition et de la parution d’une monographie. Cette année, les dessins d’Amélie Scotta et les sculptures de Lucie Lanzini se répondent dans cette exposition Coursives. Nous avons rencontré la dessinatrice Amélie Scotta.
L’architecture est politique
Que ce soient les gratte-ciel de Dubaï, le palais de Buckingham, les barres d’immeubles HLM, les cathédrales ou les prisons, l’architecture est symbole de pouvoir et de statut social. Le dessin Quechuas a été inspiré à Amélie Scotta par la vision des tentes de personnes sans-abri dans un passage du quatrième arrondissement de Paris. Des tentes installées à la tombée de la nuit et démontées dès l’aube. L’artiste donne une visibilité à ces invisibles et établit le contraste avec "l’architecture massive et bourgeoise du quartier."
Le Presidio Modelo est une ancienne prison située à Cuba, construite fin des années vingt sous le régime dictatorial de Gerardo Machado. Dans ce bâtiment circulaire, conçu suivant le modèle du panopticon, les gardiens installés dans une tour centrale, exercent leur surveillance à 360°. Un contrôle absolu sur ces prisonniers enfermés dans des cages rappelant l’élevage industriel des animaux. L’artiste y fait néanmoins passer la lumière qui projette l’ombre de la liberté au centre du cercle.
Dans cette expo Coursives à la Médiatine, on découvre une nouvelle phase du travail de la dessinatrice qui s’intéresse au recouvrement du bâtiment à travers les bâches et les échafaudages. "Les bâches sont comme la peau du bâtiment", explique l’artiste. Les plis, les pleins et les vides, les reflets, la matière plastique du tarpaulin donnent de la chair à la structure. Réalisées en noir et blanc au graphite ou au crayon de couleur, ces grandes bâches, flottant dans l’espace de la feuille de papier révèlent leur part de mystère, tout en cachant la structure du bâtiment.
Les œuvres d’Amélie Scotta avec leur rigueur et la répétition des mêmes motifs – "presque comme une machine" – sont inquiétantes, malaisantes et peuvent paraître d’une grande froideur. Pourtant ce n’est pas l’intention de l’artiste pour qui le travail du trait, de la main, instille au contraire l’imperfection. Aucun trait n’est pareil à l’autre. La vie est aussi dans la trace du temps, de la durée inscrite dans le dessin. Sans cela, l’artiste aurait choisi la photographie plutôt que le dessin.
Le temps long
La fresque Volumen (le terme désigne un rouleau de papyrus) se déploie sur 10 mètres. Le dessin se déroule comme un parchemin sans fin. Amélie Scotta l’a réalisé sur une période d’un an lors d’une résidence à Madrid.
Volumen est un interminable paysage en continu, comme lors d’un déplacement en train, qui va du centre historique de Madrid à sa banlieue. On passe d’édifices uniques et remarquables à la réplication sans fin de cellules d’habitation. Ces œuvres qui paraissent documentaires jouent avec la réalité et sont composées sur base de photographies ou de simulation 3D. L’artiste, diplômée de La Cambre, n’en oublie pas moins sa formation de graphiste.
La fragilité du papier
Le dessin, considéré dans l’histoire de l’art comme moyen préparatoire à la peinture ou la sculpture, est désormais la dernière tendance de l’art contemporain. Sa pauvreté de moyen, un papier et un crayon, séduit dans une époque complexe, technologique, immatérielle. Devenu une discipline à part entière, le dessin est aussi un champ de recherche sur le support et la manière de déployer l’œuvre, dans ou hors du cadre de la feuille de papier etc. Amélie Scotta travaille le papier comme une matière, dont la texture, la rigidité, la luminosité déterminent la manière de travailler. La fragilité et la vie du papier — jusqu’à sa détérioration possible – font contraste, opposition avec la pérennité supposée de l’œuvre. Le rapport au temps est omniprésent dans son travail. Scotta n’hésite pas à dessiner sur du papier japon très fin ou du papier journal. Elle expérimente au scalpel sur des cartes à gratter noires dont chaque trait ou point est une incision dans le support ou encore dessine sur des rouleaux de tickets de caisse de supermarché.
Le travail lent, obsessionnel et d’une technique exigeante d’Amélie Scotta cache – ou révèle une pratique méditative qui donne toute son épaisseur à ces dessins dénués de personnages mais pas de présence humaine.
En pratique :
Amélie Scotta & Lucie Lanzini – Coursives
Du 03.06 au 03.07