Rafraichissons-nous d’abord la mémoire : "West Side Story, c’est "Roméo et Juliette" transposé à la fin des années 1950 dans un quartier alors pauvre de Manhattan (Là où s’érige désormais le très huppé Lincoln Center). Deux bandes rivales, les "Jets" – Américains d’origine immigrée, mais européenne – et les "Sharks" – communauté portoricaine – se disputent l’hégémonie de ces quelques rues. Lors d’une soirée, Maria, jeune et jolie Portoricaine, et Tony, membre des "Jets" tombent éperdument amoureux l’un de l’autre. Cette idylle interdite va déclencher la colère du frère de Maria, et mettre le feu aux poudres…
Steven Spielberg, qui a grandi avec le film de Wise, conserve naturellement la partition de Bernstein et les textes des chansons de Sondheim, car "Maria, "Tonight" ou encore "America" sont devenus des classiques intouchables du patrimoine américain. Par contre, son scénariste Tony Kushner (le dramaturge rendu célèbre par "Angels in America") a complètement retravaillé les scènes dialoguées (initialement écrites par Ernest Lehman et Arthur Laurents) et a accentué la dimension politique raciale de "West Side Story", en restituant des détails historiques sur la destruction des quartiers concernés, Lincoln Square et San Juan Hill.
Dans la foulée, Spielberg a tiré le film vers le réalisme, en optant pour un tournage en extérieur, dans des authentiques rues new-yorkaises et en choisissant un casting 100% latino pour les membres des "Sharks". Ainsi, Rachel Zegler, une nouvelle venue d’origine colombienne reprend le rôle de Maria – initialement tenu par la très Américaine Natalie Wood…
Visuellement, certaines scènes jouissent d’une mise en scène virtuose. Mais le mariage entre l’atmosphère réaliste et authentique des scènes dialoguées (on se croirait presque chez Scorsese) avec le lyrisme des chansons est bancal. Sans doute parce qu’un "musical", genre qui a ses codes et ses lois, préfère la stylisation d’un Robert Wise ou d’un Vincente Minnelli, plutôt que de se frotter à l’épreuve du réalisme. Dans la version de Spielberg, on se demande presque pourquoi tous les protagonistes, qui sont à couteaux tirés dans une ambiance électrique, se mettent à chanter – convention qui ne choquait absolument pas dans le film de 1961.
En résulte un film parfois brillant, mais souvent hybride. A 74 ans, Spielberg a voulu rendre hommage à un film qui a bercé son adolescence, mais cet hommage, certes sincère et techniquement irréprochable, n’était pas vraiment indispensable.