Sorti discrètement mercredi dernier, auréolé du prix du scénario et du prix d’interprétation masculine à la Mostra de Venise, le nouveau film de Martin McDonagh (l’auteur de "Three bill boards" et de "In Bruges") a remporté cette nuit 3 récompenses aux Golden Globes, meilleure comédie, meilleur acteur dans une comédie, et meilleur scénario… Avant de briller aux Oscars ?
The Banshees of Inisherin
Dans le folklore irlandais, les Banshees désignent des fées, oracles de mauvais augure. Quant à Inisherin, c’est une petite île créée de toutes pièces par le cinéaste. L’action de son film se déroule au début des années 1920. Alors que la guerre civile fait rage en Irlande, il ne se passe rien ou presque sur Inisherin. Chaque soir, dans l’unique pub du coin, Padraic (Colin Farrell) et Colm (Brendan Gleeson) se retrouvent autour d’une pinte pour discuter de tout et de rien. Jusqu’au jour où Colm, lassé de ces bavardages et désirant se consacrer à son violon et ses mélodies, coupe les ponts avec Padraic. Désemparé, celui-ci va tout faire pour renouer avec son ami, mais Colm menace de se mutiler si Padraic lui adresse encore une seule fois la parole…
"The Banshees of Inisherin" réunit toutes les qualités d’un grand film. L’écriture de McDonagh, jamais bavarde, toujours savoureuse, teintée d’un humour noir cruel et singulier. Sa galerie de personnages : derrière les deux amis – inoubliables — il y a des seconds rôles magnifiquement dessinés. Son casting : aux côtés de Farrell et Gleeson, tous deux parfaits, Barry Keoghan campe un jeune "idiot du village" bouleversant. Sa mise en scène, qui montre Inisherin à la fois comme décor envoûtant et prison à ciel ouvert, où tous les dérèglements d’humeur sont possibles… Enfin, sa superbe direction photo et sa musique, signée par l’excellent Carter Burwell, le compositeur attitré des frères Coen.
Inclassable, puissamment original, "The Banshees of Inisherin" confirme, après l’inoubliable "Three Billboards", l’immense talent de Martin McDonagh.
Annie Colère
La France en 1974, avant l’adoption de la loi Veil dépénalisant l’avortement. Annie, ouvrière en usine, mère de deux enfants, est à nouveau enceinte mais ne peut pas se permettre de garder ce nouveau bébé. Elle découvre alors l’action du MLAC, le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception. Au sein du mouvement, de jeunes médecins utilisent une nouvelle méthode, moins dangereuse et moins douloureuse, l’avortement par aspiration. Annie se laisse convaincre et, soulagée, se prend d’affection pour les femmes qui animent le MLAC. De patiente, elle va devenir elle-même militante… Au risque de mettre en péril l’harmonie fragile de sa famille.
Après le film américain "Call Jane" sorti cet automne, "Annie Colère" explore le même sujet, mais dans le contexte français du début des années 70. Comme le film avec Sigourney Weaver, le film de Blandine Lenoir jouit des mêmes qualités - un vrai sujet traité avec sincérité et sensibilité – et des mêmes faiblesses : sur le plan dramaturgique, le film est une autoroute narrative, en ligne droite, sans véritable suspense. Mais l’interprétation vibrante de Laure Calamy emporte l’adhésion : après "A plein temps" et "L’origine du mal" en 2022, l’actrice révélée par la série "10%" est décidément devenue indispensable dans le cinéma français.
L’immensità
On reste dans les années 70 mais on part à Rome avec "L’immensità". Clara, malheureuse dans son mariage avec Felice, tente encore de donner le change pour adoucir le quotidien de ses enfants et prête une oreille attentive aux frustrations de sa fille aînée, Adri, qui rêve tant de devenir un garçon… Un désir irréalisable dans l’univers conformiste de cette famille de la classe moyenne italienne.
Le réalisateur Emanuele Crialese (qui a connu son heure de gloire il y a longtemps avec "Respiro") brasse beaucoup de thèmes dans son nouveau film : les tabous de la sexualité, les affres de l’adolescence, l’enfer d’un couple mal assorti… Mais il ne fait que les effleurer, semble survoler les scènes et les enjeux qu’il met en place. En ressort un sentiment de rendez-vous manqué pour le spectateur, qui assiste à un drame familial en définitive assez convenu. Dommage pour Penelope Cruz, qui méritait mieux pour son incursion dans le cinéma italien.
Les Cadors
A Cherbourg, Antoine (le comique du "Palmashow" Grégoire Ludig, dans un contre-emploi) est conducteur de bateaux, sous la coupe d’un patron assez mafieux (Michel Blanc, excellent). Antoine est marié et père de famille, il a grandi dans la peur de son père. Lorsque celui-ci décède, il voit débarquer aux funérailles un invité indésirable : Christian (Jean-Paul Rouve), son grand frère, anarchiste totalement incontrôlable… Mais lorsqu’Antoine va se retrouver pris en tenaille dans une magouille qui le dépasse, ce sera peut-être Christian son seul recours.
Comédie aigre-douce sur deux frères qui ont, chacun de leur côté, tenté de surmonter un traumatisme d’enfance, "Les Cadors" jouit d’un casting attachant et d’une intrigue pas trop mal ficelée. Mais en dépit de son capital de sympathie, le film de Julien Guetta manque d’envergure. C’est bien simple : dans l’économie actuelle du cinéma, "Les Cadors" aurait plus sa place dans le catalogue d’une plateforme de streaming que dans les salles obscures, incapables d’absorber un véritable embouteillage de productions françaises…