Les critiques d'Hugues Dayez

Les critiques d’Hugues Dayez : "Dalva", le drame d’une fillette sous influence

Au dernier festival de Cannes, à côté des trois films belges dans la compétition ("Les huit montagnes", "Tori et Lokita" et "Close"), il y avait un autre film belge, "Dalva", primé dans la section parallèle "La semaine de la critique".

"Dalva", d’Emmanuelle Nicot
"Dalva", d’Emmanuelle Nicot © DR

Dalva

L'affiche de "Dalva"

Dalva n’a que douze ans, mais elle se maquille et s’habille comme une jeune femme. Dalva a vécu en vase clos avec son père, qui l’aimait comme une épouse. Dénoncée par des voisins, cette relation incestueuse provoque l’intervention de la police, et Dalva est placée dans un foyer à Givet. Pour les éducateurs, commence un long travail : comment guérir la jeune adolescente de l’emprise qu’elle a subie depuis des années ? Comment la ramener aux réalités d’une fille de son âge ?

Pour son premier long-métrage, la réalisatrice Emmanuelle Nicot n’a décidément pas choisi la facilité. Mais elle aborde les thèmes de l’inceste et de la reconstruction avec tact et sensibilité, et surtout, se révèle une excellente directrice d’acteurs : la jeune Zelda Samson crève l’écran dans ce rôle complexe, et Alexis Manenti est parfait dans celui de l’éducateur (Il était déjà impressionnant en flic ripou dans "Les misérables").

Enfin, il faut pointer la participation marquante de Jean-Louis Coulloc’h (vu dans "L’amant de Lady Chatterley" face à Marina Hands) dans le rôle troublant du père de Dalva. Car c’est une autre des qualités du film de Nicot : elle n’esquive aucun aspect du drame qu’elle dépeint, et met en scène l’audition du père dans une scène mémorable. "Dalva" est un personnage et un film qu’on n’oublie pas ; c’est toujours très bon signe.

Sur les chemins noirs

Sur les chemins noirs, l'affiche

Pierre, écrivain explorateur à succès, volontiers fêtard, aime se mettre en danger. Un soir d’ivresse, escaladant un balcon, il fait une chute de huit mètres. Lorsqu’il sort du coma dans sa chambre d’hôpital, le visage couvert de cicatrices, le corps fracturé, il se fait la promesse, s’il parvient à réapprendre à se mouvoir, de traverser la France à pied d’est en ouest, du Mercantour au Cotentin. Soit un périple de 1300 kilomètres. Un défi fou, histoire de dépasser ses limites, de retrouver le sens de priorités, et de fuir les futilités du monde moderne pour se reconnecter avec la beauté immuable de la nature.

"Sur les chemins noirs" n’est pas un roman, mais un récit autobiographique de Sylvain Tesson. Dans leur adaptation, le réalisateur Denis Imbert et son coscénariste Diastème ont imaginé ce double fictionnel de Tesson, Pierre, incarné par Jean Dujardin.

Même si, dans ce scénario, le duo a fait en sorte que Pierre fasse quelques rencontres au cours de son long périple, l’essentiel du film est ailleurs : un homme qui marche seul et qui couche ses réflexions sur un petit carnet, le voyage géographique s’accompagnant d’un voyage intérieur. Le fait que Dujardin ait eu envie de jouer et de coproduire ce film intimiste en dit long sur ses envies de sortir des sentiers battus…

Le résultat à l’écran, sans être inoubliable (dans le genre intimiste, difficile de faire mieux que "Caro Diario" de Nanni Moretti), est souvent intéressant – et donne fort envie de se plonger dans les livres de Tesson pour partager sa vision du monde.

Sage-homme

L'affiche de "Sage-Homme"

A Nancy, Léopold, jeune métisse de condition modeste, vit dans une cité avec son frère et son père veuf. Il n’a qu’un rêve : devenir docteur. Hélas pour lui, il rate l’examen d’entrée aux études de médecine. Dépité, il parvient à s’inscrire pour des études de sage-femme, avec pour seul objectif de pouvoir bifurquer vers l’option médecine. Sur les bancs, il est le seul garçon perdu parmi des étudiantes, à promener son ennui et son absence de motivation… Mais sa rencontre avec Nathalie, une sage-femme énergique qui cornaque les stagiaires, va modifier son regard sur les réalités du métier.

Sur le papier, on redoute une comédie sociale ultra-prévisible, dégoulinante de bons sentiments… Et à l’écran, c’est la très bonne surprise. Parce que les deux personnages principaux sont très bien dessinés : Léopold, élevé dans un milieu un peu macho, qui n’ose pas avouer à son père les véritables études qu’il entreprend, et Nathalie, à la fois excédée par les conditions de travail de plus en plus pénibles – en toile de fond, se dessine le manque de moyen des hôpitaux publics – et toujours émue par son métier.

La réalisatrice Jennifer Devoldere a eu la main heureuse pour son casting : Melvin Boomer (jeune rappeur et récemment acteur) est très convaincant, et Karin Viard trouve ici un de ses meilleurs rôles. Vif, réaliste et traversé par un humour aigre-doux, "Sage-Homme" est très recommandable.

La chambre des merveilles

La chambre des merveilles

Amusante coïncidence des sorties : la même semaine que Jean Dujardin, son ancienne partenaire Alexandra Lamy est, elle aussi, au cœur d’un film intimiste. Dans "La chambre des merveilles", elle incarne Thelma, une mère célibataire dont la vie bascule lorsque son fils de 10 ans, Louis, victime d’un accident de skate, est plongé dans le coma. Elle découvre alors son journal dans lequel il avait noté "Dix choses à faire avant la fin du monde".

Persuadée qu’elle est investie d’une mission, Thelma va tenter de réaliser ces dix défis à la place de son fils, persuadée que cela fera revenir son fils à la vie… Et la voilà partie au Japon pour tenter de décrocher une dédicace d’un inaccessible auteur de manga, ensuite coiffée d’un casque et de genouillères pour oser une descente périlleuse en skate, etc.

"La chambre des merveilles" se veut être un feel good movie, plein de bonne humeur et d’espoir dans l’adversité. Mais l’esprit "positif" distillé par la réalisatrice Lisa Azuelos ("LOL", le biopic de Dalida), à force d’accumuler les invraisemblances et les coups de baguette scénaristiques, produit à l’arrivée un film hautement horripilant, indécent, et à la limite du mauvais goût – car le coma de longue durée d’un enfant n’est définitivement pas un sujet pour une comédie dramatique "positive".

Godland

L'affiche de "Godland"

Fin du XIXe siècle. Lucas, jeune prêtre danois, est envoyé par son supérieur hiérarchique en mission dans un village reculé d’Islande pour y installer une église. Jeune homme timide et introverti, Lucas est passionné de photographie et entend bien, au cours de son périple, tirer le portrait des Islandais qu’il croise sur son chemin… Mais si l’ecclésiastique est fasciné par les paysages et les silhouettes qu’il rencontre, est-il vraiment fait pour être le prêtre rassembleur d’une petite communauté isolée…

A l’instar de son sujet, "Godland" est un film qui prend la pause. Autrement dit, le réalisateur Hlymur Palmasson tombe dans le piège de la "belle image signifiante". Son film est lent, hiératique, traversé par des éclairs d’esthétisme, certes, mais plombé par de pénibles longueurs. A force de montrer la sauvage poésie des décors islandais, le réalisateur perd parfois de vue son personnage principal.

L’interprétation Elliott Crosset Hove, froide et distanciée, finit de rendre le personnage de Lukas totalement antipathique… Difficile dès lors de s’y intéresser pendant plus de deux heures. "Godland" est beau. Beau et ennuyeux.

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