L’intrigue se déroule dans un appartement parisien. Myriam, avocate, a cessé de travailler pour s’occuper de ses deux enfants en bas âge, tandis que son compagnon bosse dans l’industrie du disque. Myriam suffoque entre les quatre murs de son logis, et rêve de pouvoir retrouver son métier. Le couple va alors auditionner des nounous potentielles pour leur progéniture. Il tombe sur Louise, quadragénaire, veuve, polie, dévouée. Très vite, une situation de dépendance réciproque s’installe. Le couple ne peut plus se passer de cette nounou providentielle, véritable cordon bleu et aimant les enfants. Louise, elle, s’incruste de plus en plus dans cette famille de substitution, qui lui fait oublier sa vie solitaire et grise dans un minuscule appartement de banlieue… Mais cette interdépendance va tourner au drame.
Les premiers mots du roman de Leïla Slimani sont sans équivoque : "Le bébé est mort (…) La petite, elle, était encore vivante quand les secours sont arrivés." Louise a tué les enfants avant d’essayer de se suicider. On connaît donc la fin ; le roman est construit comme un long flashback pour répondre à la question : comment un tel drame a pu se produire ? L’écriture de la romancière est remarquable ; sans l’ombre d’un dialogue, elle dépeint les états d’âme, alternativement, du couple et de la nounou.
La réalisatrice Lucie Borleteau ne respecte pas la structure du roman et garde une narration linéaire, conduisant vers le drame final. C’est une trahison de l’esprit du livre, qui évacuait délibérément tout suspense pour se concentrer sur une étude psychologique très subtile. Le film enchaîne au pas de charge les petits événements de cette famille, pour montrer l’emprise progressive de Louise. Toute subtilité disparaît dans ce dispositif.
L’autre erreur majeure du film, c’est son casting : Karin Viard incarne Louise. Malgré ses talents reconnus d’actrice, elle n’est pas le personnage. La nounou est décrite par Slimani comme une femme menue, qui n’impose jamais sa présence, et de laquelle suinte une mélancolie cafardeuse. Viard, c’est tout l’inverse : elle occupe l’espace, et déborde de vitalité énergique. A ses côtés, Leila Behkti, dans le rôle de Myriam, tire plus son épingle du jeu… Mais ce n’est pas suffisant pour donner au film la puissance émotionnelle du livre. Hitchcock disait " pour faire un grand film, n’adaptez jamais un grand livre. Emparez-vous plutôt d’un modeste bouquin pour pouvoir le trahir à votre gré ". Il avait raison : en s’attaquant à " Chanson douce ", Lucie Borleteau a eu les yeux plus grands que le ventre.