Comme chaque semaine, découvrez les critiques ciné de Hugues Dayez. Au programme ce mercredi: "120 battements par minute", "My cousin Rachel" et "The Hitman’s Bodyguard".
120 battements par minute
Jusqu’ici peu connu du grand public, collaborateur de longue date de Laurent Cantet (lauréat de la Palme d’Or pour "Entre les murs" en 2008), le scénariste et réalisateur Robin Campillo est sorti de l’ombre au dernier Festival de Cannes en remportant le Grand Prix du Jury avec "120 battements par minute".
Paris, au début des années 1990. Alors que le SIDA tue depuis plusieurs années, le mouvement "Act Up" essaie de secouer l’apathie de l’opinion publique en France. Car à l’époque, il y a beaucoup d’indifférence de la part des gens bien-pensants qui considèrent que la maladie ne touche que les "marginaux" de la société : les homosexuels, les toxicomanes… "Act Up" réunit des séropositifs en colère, qui ne vont pas hésiter à mener des actions "choc" pour secouer les consciences.
Le réalisateur Robin Campillo a été lui-même militant au sein d’"Act Up". C’est sans doute pour cela que sa chronique sonne si juste. Le film alterne les scènes de réunions hebdomadaires du mouvement, où les militants s’écharpent parfois sur les actions à mener, les séquences des actions proprement dites – manifestations dans la rue, raid contre un laboratoire d’analyse de sang – et les scènes plus intimes sur une histoire d’amour entre deux jeunes militants, qui décident de vivre leur passion malgré la maladie… "120 battements par minute" est une reconstitution très vivante, dotée d’un excellent casting, et évite tous les écueils du "film d’époque" académique.
Mais il y a un revers à la médaille : le fait que Campillo ait fait partie d’"Act Up" procure à son film un vrai point de vue, mais celui-ci se révèle très restrictif. Car à force de feuilleter son "album de famille", Campillo oublie de prendre du recul et de replacer "Act Up" dans un contexte plus large. A force de rester en permanence au sein du mouvement, et de présenter le monde environnant systématiquement comme un ennemi, il tombe dans un certain manichéisme – les courageux militants d’"Act Up" contre les méchants directeurs de laboratoire et les affreux enseignants rétrogrades…
Les spectateurs homosexuels qui ont vécu douloureusement cette période de rejet dans la société seront sans doute en complète empathie avec les protagonistes du film. Pedro Almodovar, président du jury à Cannes, avouait son émotion profonde face à "120 battements par minute". Mais le public hétérosexuel, face à cette œuvre très "communautaire", peut avoir parfois l’impression désagréable d’assister à une grande réunion de famille dont il ne fait pas partie et à laquelle il n’a, en réalité, pas été invité.