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Les couleurs de l’hiver : le Winterreise de Schubert

Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, 1818

© Fine Art Images / Heritage Images via Getty Images

Par Xavier Falques via

L’hiver, plus que les autres saisons, offre une multitude d’interprétations et d’expressions artistiques allant du calme à l’agitation, de l’introspection à l’exploration, du noir au blanc… Xavier Falques vous raconte l’histoire qui entoure les œuvres liées à cette saison si particulière, à commencer à le Winterreise de Schubert.

Étranger, je suis venu, étranger je repars.

Voilà le premier vers du Winterreise de Schubert, le cycle d’un mouvement irrépressible, d’un voyage passé, d’un voyage à venir qui agit sur l’homme comme une force inexorable n’offrant jamais le repos, laissant le voyageur seul avec ses désillusions. Il nous dit : "La jeune fille parlait d’amour / la mère, même de mariage / aujourd’hui le monde est si gris". Mais ce voyageur, ce professeur itinérant tombé amoureux de son élève, d’où vient-il ? Où va-t-il ? Et si tout cela n’était qu’une fuite en avant ?

Ce voyageur est ce que l’on appelle un Wanderer, un homme qui est le produit du changement de valeurs de son temps. Un homme qui prend conscience de son isolement existentiel, de son individualité, de sa taille par rapport à la nature qui l’entoure, une nature qu’il ne contrôle pas, qui est régie par ses propres lois. Une nature qui s’affirme comme un monde mécanique qui existe avec ou sans lui. Le Wanderer a conscience qu’il n’a accès qu’aux apparences, et il observe la beauté ou subit la rigueur de ce monde indépendant, ou plutôt indifférent aux lois humaines.

Le Wanderer est au centre du Winterreise et du cycle Die Schöne Müllerin (ou la belle meunière), les deux cycles de Schubert composés sur des poèmes du Müller. Mais il est également au centre de nombreuses peintures de Caspar David Friedrich. Parfois, le peintre nous le donne à voir, comme dans le célèbre Wanderer au-dessus d’une mer de nuage où nous voyons cet anonyme observer une nature qu’il ne peut appréhender ; parfois c’est à travers ses yeux que nous observons le monde, comme dans son Dolmen dans la neige, qui par sa perspective bouchée n’offre qu’à voir l’immobilité d’un paysage d’hiver et de ses arbres morts.

Caspar David Friedrich, "Dolmen dans la neige", 1820
Caspar David Friedrich, "Dolmen dans la neige", 1820 © Tous droits réservés

L’hiver comme allégorie de la mort ? C’est bien cela que semblent nous indiquer Müller et Schubert dans leur Winterreise.

La fuite est donc celle d’une marche sans retour. Pour autant s’agit-il d’un voyage sans nature, sans rêve ? Non, le monde y est extériorisé, dans le texte comme dans la musique, mais toujours sous le prisme de l’individualité. Dans Der Lindenbaum, le tilleul, la nature n’est pas uniquement celle que l’on observe, elle est celle que l’on ressent, celle que l’on rêve. Au milieu de l’hiver, le voyageur se remémore le son des feuilles qui bruissent sous le vent et ce rêve prend forme par la musique. Ce rêve devient audible, il devient réel. La voix se fait l’écho de la pensée, le piano celui du monde imaginaire ou non. D’un coup, le clavier fait se lever le vent. D’un coup, il nous replonge dans le calme plat.

Mais plus que la nature, le piano nous fait suivre les pas du voyageur, par un mouvement de marche, un rythme régulier, obstiné que l’on retrouve à certains moments critiques du cycle. Le rêve s’estompe, la marche reprend et porte avec elle la réflexion.

Dans le lied Der Wegweiser, il questionne sa propre migration, une couleur harmonique plus claire, en majeur vient éclairer cette pensée : "Je n’ai pourtant rien commis / qui me ferais craindre les hommes", mais il est déjà trop tard, lui qui sans repos cherche la quiétude, ne ressent que fatigue et résignation. Il répète alors jusqu’à l’épuisement et dans un soupir "Je dois suivre une route / D’où encore personne n’est revenu".

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