La féministe française Simone de Beauvoir disait : "N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant". Le Covid n’a pas fait exception à cette prédiction. Il n’a, au contraire, que renforcé les inégalités déjà bien présentes dans nos sociétés, la précarité des droits, et notamment les discriminations de genre.
C'est ce que démontre un rapport sur l’impact du Covid-19 sur les inégalités entre les femmes et les hommes, dévoilé par le Conseil bruxellois de l’égalité entre les femmes et les hommes (CEFH). Formé de membres de la société civile, de syndicats et de membres du patronat, le Conseil a pour but d’alerter sur l’entreprenariat des femmes, les médias, les responsables politiques, et les personnes opérationnelles dans le secteur public. En sa qualité d’organe consultatif, il peut rendre des avis d’initiative et des rapports d’analyse au gouvernement bruxellois.
Durant le premier confinement
Lorsque que le Conseil a pris la décision de collecter les données, le premier confinement était encore en cours (mai 2020). Personne ne pensait qu’on en arriverait à un troisième. Le texte, intitulé "Demain ne peut être pire qu’hier pour l’égalité", rappelle qu’avant la crise il aurait fallu une centaine d’années avant d’atteindre une réelle égalité femmes-hommes. 2020 a fait reculer cette possibilité d’une trentaine d’années. Nous pourrions donc atteindre ce but dans 136 ans. C’est énorme. Les chiffres ne peuvent plus augmenter, selon le CEFH.
Le rapport, écrit par Hassina Semah, experte en genre et diversité, fait plus de cent pages. Il synthétise des observations et données existantes collectées par les membres issu.es des mondes associatifs, académiques et des partenaires sociaux. Le constat est alarmant. Les femmes sont largement plus touchées par la crise que les hommes que ça soit en termes d’emploi, de salaire, de formation ou de santé mentale.
Une femme sur quatre aura développé de l’anxiété contre un homme sur sept. Les étudiant.es ne sont pas en reste non plus puisqu’une personne sur deux aura développé un trouble dépressif. Le genre se couple à d’autres éléments comme l’origine, l’orientation sexuelle ou la condition sociale qui vont entrainer des discriminations et conséquences encore plus graves. C'est pour cette raison que la première recommandation du CEFH est de développer une politique d’égalité femmes-hommes forte, globale, transversale et intersectionnelle, c'est-à-dire qui prend en compte les discriminations croisées.
En première ligne
Ce sont majoritairement des métiers féminins qui ont été en première ligne durant la pandémie : soignantes, caissières, aides ménagères, … Elles ont été particulièrement sollicitées, quitte à faire des heures supplémentaires. Pourtant, c’est encore à elles de s’occuper en majorité de l’éducation et de la charge des enfants.
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Les familles monoparentales ont d’ailleurs à 86% du temps des mamans à leur tête. Elles ont donc plus de risques de vivre de grandes précarités. En termes de salaire, la chose n’est pas nouvelle, elles ont un salaire inférieur au salaire masculin. On remarque à cet égard que l’écart salarial est le plus grand jamais enregistré. C’est un écart structurel. D’autre part, on constate une fuite des travailleuses du marché de l’emploi.
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Sept mamans contre trois papas auraient pris un congé parental corona.
La pandémie n’ayant épargné personne, en particulier pas les métiers dits "non essentiels", sur 1500 faillites enregistrées à Bruxelles, 20% sont des métiers du care, particulièrement féminisés.
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Violences en hausse ?
Enfin, pour ne synthétiser que quelques données retrouvées dans le rapport, les appels sur les lignes téléphoniques aidant contre les violences conjugales ont largement augmenté durant les confinements. Dans 92% des cas, cela concernait des femmes, sur les 52 faits de violences sexuelles rapportés à Bruxelles durant le début de la crise, 100% des auteurs étaient des hommes.
Quant aux violences comme le harcèlement de rue, neuf femmes sur dix rapportent en avoir vécu dans l’espace public et ce, peu importe le lieu ou l’âge de la personne.
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Ces chiffres nous rappellent que l’égalité des genres est une urgence sociétale. Soulignons néanmoins qu’étant en pleine pandémies les données peuvent être incomplètes, s’agissant de tendance qui devront être vérifiées dans le temps.
Le CEFH, en parallèle à ce rapport, a sorti 19 constats, chiffres clefs et recommandations afin de donner des idées de pistes aux autorités. En tirant la sonnette d’alarme, ils souhaitent intégrer le gendermainstreaming et genderbugetting à tous les plans de relances et, in fine, à toutes les lois. Cela se traduit par une approche intégrée de l’égalité des genres basée sur une (ré)organisation et une évaluation genrée dans tous les domaines et notamment politiques et budgétaires.
"Une politique de genre courageuse"
Parmi les recommandations et assignations du dossier, le Conseil demande une politique de genre courageuse, une relance économique sous le signe du genre, une fin à la précarité chez les femmes ainsi qu’aux violences faites aux femmes. Ils proposent notamment de renforcer l’espace public contre les violences sexistes et sexuelles et contre le harcèlement. Au niveau de l’emploi, il s’agit notamment de (re)valoriser les métiers du care ou encore de renforcer la mixité des métiers pour contrer les effets de ségrégation et de pénurie.
La secrétaire d’État au Logement et à l’Égalité des chances Nawal Ben Hamou ainsi que Bernard Clerfayt, ministre de l’Emploi, de la Formation professionnelle et de la Transition numérique étaient présents le 19 avril, invités au webinaire organisé par le CEFH. Ils se sont montrés inquiets face aux chiffres exposés, promettant de s’engager à lutter contre l’augmentation des données mais aussi d’essayer de comprendre les mécanismes profonds qui agissent sur ces inégalités.
Parmi les mesures concrètes, ils ont annoncé que le prochain budget COCOM d’un milliard d’euros en matière sociale sera le premier budget genré. Et à Bernard Clerfayt d’ajouter qu’ils chiffreront de manière transparente, espérant que le Conseil bruxellois de l’égalité entre les femmes et les hommes sera là pour les rappeler à l’ordre s’il y a discrimination. "C’est en rendant transparentes les choses que l’on peut construire les stratégies de correction et aller vers une égalité homme femme", a-t-il expliqué.