Les chips sans la bière : avant le désespoir, trois années d'euphorie sous le règne de Venanzi

Les chips sans la bière : avant le désespoir, trois années d'euphorie sous le règne de Venanzi

Football
Par Lancelot Meulewaeter

    3 avril 2022. Le Standard boucle la pire saison de son histoire. Après avoir flirté avec la zone de relégation, l’équipe liégeoise traîne des pieds pour son dernier rendez-vous à domicile, devant un public lassé par la piètre tenue d’une équipe à la dérive. Dans un sursaut de gratitude à peine surréaliste, les joueurs entrent sur la pelouse avec un t-shirt spécialement conçu pour l’occasion. "Merci Président", peut-on y lire. C’est le dernier match à domicile de Bruno Venanzi en tant que patron du Standard de Liège. Perché en haut de la tribune d’honneur, il sanglote. Sa bouche frémit, comme pour réprouver des larmes qui ne demandent qu’à être évacuées. A quelques sièges de lui, Josh Wander s’installe. Le futur boss du Standard vient constater l’ampleur du chantier laissé par la direction sortante. Dans le regard de Venanzi, les images de sept années à la tête de son club de cœur. Un club dans lequel il a laissé sa personne, et une partie de sa fortune, sans réaliser son rêve ultime : ramener, à son tour, le titre à Sclessin. Les 'chips sans la bière', c’est un retour sur le septennat de Bruno Venanzi. Entre passion, fierté et ferveur ; mais aussi déception, déclin et désillusion.

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    Quand il rachète le Standard à Roland Duchâtelet en juin 2015, quelques mois après avoir rejoint le club en qualité de vice-président, Bruno Venanzi soulève une vague d’enthousiasme chez les supporters. Liégeois pur jus, supporter du Standard depuis sa tendre enfance, le businessman présente un profil à l’opposé de son prédécesseur, dont la gestion froide de ce club si singulier avait fini par lasser. Celui qu'on arrête désormais dans la rue pour faire des selfies incarne un véritable modèle de réussite : il est le Liégeois dont le succès éclatant en affaires épate à l'international. Et l'enthousiasme ambiant laisse penser qu'il aura la même réussite dans le monde du football, qu'il découvre.

     Les fanatiques du Standard, qui le voient comme le sauveur tant attendu, découvrent un homme plutôt timide et réservé, pas franchement à l’aise avec la prise de parole mais déterminé à une chose : ramener le matricule 16 sur le trône. Depuis 2009, les Rouches n’ont plus eu l’occasion d’envahir la place Saint-Lambert et cet enfant de Sclessin connaît trop bien l’histoire pour attendre 25 ans avant d’exulter à nouveau.

    Pour sa première saison, Venanzi s’entoure d’Olivier Renard, qui succède à Axel Lawarée comme directeur sportif, mais également de Daniel Van Buyten. Le jeune retraité entreprend sa reconversion dans le monde du management sous l’égide de son agent historique, Christophe Henrotay, et Venanzi voit d’un bon œil l’idée d’un "conseiller sportif", sorte de rôle hybride et libre pour apporter son expertise – et ses bons filons – afin de renforcer l’effectif.

    "Cette année, c’était les chips. L’année prochaine ce sera la bière !!!"

    Il place à la tête du club Slavojlub Muslin. Le Serbe, pas connu pour être un gage de stabilité, est remercié après cinq rencontres seulement. Encore étourdis par ce départ précipité, les Liégeois connaissent une défaite mémorable face au Club Bruges d’un certain Michel Preud’homme. Avec Eric Deflandre en guise d’intérimaire, le Standard déguste, 7-1. C'est un premier chambardement pour Venanzi, qui débauche le coach en vogue du moment, Yannick Ferrera, tout juste monté de Division 2 avec Saint-Trond.

    Ferrera redresse tant bien que mal la trajectoire d’un club englué au fond du classement. Il échoue cependant à accéder aux Playoffs 1 à la suite d’une nouvelle débâcle contre Malines (4-0). Dans un sursaut d’orgueil inouï, le Standard rebondit pourtant une semaine plus tard en décrochant une Coupe de Belgique inattendue face au Club Bruges. "Cette année, c’était les chips. L’année prochaine ce sera la bière !!!" tweete le président du club, en référence au sponsor de la Coupe, tout juste remportée, et à celui du championnat.

    Finale 2016 : Standard - FC Bruges

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    Un trait d’humour qui a le don d’agiter un peu plus les supporters à l’issue d’une saison catastrophique si ce n’est pour cette oasis qu’a constitué la Coupe. C’est une constante de son règne : partant de bonnes intentions, Bruno Venanzi communique maladroitement auprès du monde extérieur. Alors, au fur et à mesure du temps, il raréfie ses apparitions médiatiques, laissant à ses collaborateurs le soin d’affronter les tempêtes face caméra. On l’entend peu commenter le départ de Daniel Van Buyten, parti en 2017 avec le sentiment de ne "plus être écouté". Dans les bureaux liégeois, Big Dan et Olivier Renard sont loin de tirer sur la même corde : les deux hommes ont des réseaux différents pour attirer des joueurs et veulent faire aboutir leurs trouvailles personnelles. Venanzi tranche en faveur de l'ancien portier, qui peut se targuer d'avoir déniché Marin, Cimirot, Djenepo ou Laifis, de vraies plus-values pour le club.

    Bien souvent, pour l’exercice de la comm, c’est Alexandre Grosjean qui s’y colle. L’ancien cadre de Proximus, arrivé à la rue de la centrale en tant que directeur des ventes et du marketing, a gravi les échelons pour devenir directeur général du club.

    Venanzi fantasme sur Conceiçao, il aura Sa Pinto

    A peine le souvenir de la Coupe de Belgique dépassé, les nuages s’amoncellent à nouveau en bord de Meuse. Yannick Ferrera, pas stabilisé malgré le trophée remporté, est limogé au terme de cinq rencontres de championnat. C’est Aleksandar Jankovic qui le remplace pour une saison plutôt anonyme (9e place en championnat). Bruno Venanzi caresse le rêve de rapatrier Preud’homme, alors en pleine bourre avec le Club Bruges, et fantasme sur Sergio Conceiçao. Mais alors que les deux dossiers rêvés s’enlisent, il entend alors la possibilité d’embaucher un autre Portugais au tempérament éruptif, lui aussi passé par Sclessin en tant que joueur une dizaine d’années plus tôt. Il s’appelle Ricardo Sa Pinto et fera vivre à Venanzi la saison la plus folle de son règne.

    La folle année de Ricardo Sa Pinto

    Sa Pinto débarque à Sclessin avec son propre staff. Il snobe un certain… Will Still, alors jeune analyste vidéo, et impose sa loi. Dans la coulisse du stade liégeois, la rumeur court que le Portugais est du genre sanguin, voire plutôt susceptible. Cela se vérifie après une défaite 0-4 contre Zulte-Waregem en début de saison. "Richard Coeur de Lion" s’en prend vertement à un journaliste qui lui pose la question du manque de "grinta" dans l’équipe liégeoise. C’est la première d’une série interminable de frasques qui l’amènent, au choix, à faire le tour du terrain pour célébrer un but dans les arrêts de jeu, ou à simuler grossièrement à la suite d’un gobelet lancé à proximité de lui.

    Un tempérament qui met Venanzi dans l’embarras. D’un côté, Sa Pinto renvoie une image déplorable du Standard. Ses débordements font ricaner tous les autres clubs de Belgique, d’autant plus que les résultats sont loin d’être à la hauteur. A l’issue d’une défaite à Courtrai, qui relègue les Rouches à la huitième place du classement, un limogeage est sérieusement évoqué. Mais d’un autre côté, les échos qui reviennent aux oreilles du président sont unanimes : aussi fou qu’il puisse paraître, Sa Pinto fédère son groupe. Il crée une atmosphère de l’ordre du : "nous contre le reste du monde" qui trouve écho chez les cadres du vestiaire. Les Mpoku, Carcela, Emond vont au feu pour leur entraîneur et réalisent l’impensable au mois de mars 2018. Dans la même semaine, ils arrachent la qualification en PO1 via un scénario hollywoodien lors de l’ultime mi-temps de la phase classique à Ostende. Puis, ils s’offrent une improbable Coupe de Belgique en battant Genk au terme d’un match glacial. Venanzi tient sa deuxième ration de chips. Et pense détenir un plan en or pour étancher sa soif.

    Vainqueurs de la Coupe et vice-champions

    Finale 2018 : Standard - Genk

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    Un Standard hors de contrôle marche sur les play-offs 2018. Parti de la sixième place, les Liégeois assomment les concurrents chacun à leur tour. Les Rouches échouent à un jet de pierre du Club Bruges d’Ivan Leko, venu décrocher son titre à Sclessin sur un but entaché d’une faute de main de Ruud Vormer. Venanzi n’a jamais touché le trophée de la Pro League de si près. Et ne compte surtout pas s’arrêter en si bon chemin. Durant ces dernières semaines, le président œuvre en secret à ramener Michel Preud’homme à Sclessin. Libre de tout contrat depuis son départ de Bruges, le natif d’Ougrée se laisse lentement séduire par l’idée de Venanzi : lui laisser les pleins pouvoirs sportifs, en faisant de lui un manager à l’anglaise, capable de prendre de la hauteur dans les décisions du club. Venanzi pense que Preud’homme est l’homme indiqué pour réinstaurer un cadre autour de cet effectif capable du meilleur et du pire, parfois dans le même match.

    Venanzi annonce à Sa Pinto qu’il ne sera pas prolongé. Sa Pinto lui-même, lors d’une conférence de presse d’après-match lunaire à Charleroi, prétend qu’il s’agit de sa décision à lui. Le rideau tombe sur une saison folle, qui laisse présager du meilleur pour le Standard. C’était en fait l’apogée du septennat Venanzi, qui va connaître une longue descente aux Enfers.

    Dès demain, suivez la deuxième partie du récit "Les chips sans la bière" qui retrace l’ère Bruno Venanzi au Standard.

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