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Les chips sans la bière : au soir du départ de Sa Pinto, le déclin du Standard de Venanzi

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Par Lancelot Meulewaeter

Le 23 mai 2018, la terre tremble à Liège. Le Standard annonce le retour de Michel Preud’homme dans son jardin. "Il deviendra coach principal de notre équipe première et rejoindra le Conseil d’Administration du club en qualité de Vice-Président," annonce un communiqué de presse à l’enthousiasme débordant. Les commentaires de l'époque sont unanimes : "avec Preud'homme, le Standard sera champion dans les deux ans", pensent certains. La manœuvre de séduction entamée par Bruno Venanzi un an plus tôt s’avère payante. Dès le départ de MPH du Club Bruges, le président liégeois a cette lubie de rapatrier l’ancien gardien dans la cité des Princes Evêques. Le voilà exaucé, au terme de lentes négociations durant lesquelles MPH aura imposé son salaire, son staff sportif et un agent pour régler la transaction : Mogi Bayat. Extatique, Venanzi a tant de foi dans son idole de jeunesse qu’il lui délègue les pleins pouvoirs. Pourtant, à 60 ans, Preud’homme est usé. Tiraillé entre son coeur qui lui dit de foncer et son corps qui freine des quatre fers, l’homme alterne entre vrais moments de génie et de paranoïa. Sans jamais parvenir à offrir un nouveau titre à son président.

Une année d’espoir

Pour le premier acte de son troisième passage à Sclessin, Michel Preud’homme laisse la responsabilité des entraînements à Emlio Ferrera. Les ressorts du natif d’Ougrée sont usés et il prend pour habitude de ne pas être au contact de son groupe tous les jours. En s’appuyant sur les résultats engrangés par Sa Pinto, le tandem Ferrera – Preud’homme inocule ses préceptes tactiques à un groupe à peine déforcé par le départ de Junior Edmilson. Sans le frisson de la saison écoulée, le Standard parvient tout de même à se hisser aisément au sein des PO1. Les Rouches brillent moyennement au sein de ces derniers mais peuvent tout de même toiser leur rival éternel. Lors du Clasico disputé à Sclessin, des supporters mauves interrompent la partie alors que le score était plié (2-0 en moins d’une demi-heure).

Hugo Cuypers, Dimitri Lavalée, Arthur Theate ou Landry Dimata ont tous été voir ailleurs

D’usage fuyant avec les médias télévisés, Bruno Venanzi fait exception et se rend, sourire en coin, répondre aux questions de la Pro League, en masquant mal sa jubilation de voir son équipe, fringante, faire imploser l’ennemi juré. Preud’homme boucle l’exercice à la troisième place du championnat, derrière la surprenante équipe de Genk et son dauphin, le Club Bruges. Un constat jugé satisfaisant par le principal intéressé qui invoque la carte de la stabilité retrouvée au moment de défendre son bilan.

Puis un torrent de désespoir

Standard - Charleroi : 05 décembre 2021 (0-3 match arrêté)

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Mais qu’a-t-il bien pu se passer durant l’été 2019 dans les bureaux de Sclessin ? Olivier Renard, le directeur sportif rétrogradé au poste de "responsable de recrutement" arrête sa collaboration avec le club liégeois. "Je ne décidais plus de rien", constate-t-il, avec le recul. Ce départ soudain met de l’huile sur le feu d’une discussion latente depuis des mois à Liège : en négociant l’arrivée de Preud’homme au Standard, Mogi Bayat se serait ouvert les portes d’un club dans lequel il travaillait peu. On le voit apparaître de plus en plus souvent, torse bombé, sur les photos qui officialisent des transactions sortantes et entrantes. Force est de constater que les départs (Djenepo, Marin, Luyindama, vendus pour plus de 30M€) ne sont pas compensés par les arrivées (Avenatti, Oulare, Dussenne, Anthony Limbombe, Gavory, Boljevic, Vanja Milinkovic-Savic) qui portent, pour une partie, le sceau de l’agent franco-iranien. En coulisse, des acteurs du football habitués des négociations dans les bureaux de Sclessin affirment que Bayat dicte désormais l’agenda du club. Simple vue de l’esprit ?

Des acteurs affirment que Bayat dicte l’agenda du club. Simple vue de l’esprit ?

Sur le terrain, l’équipe tient cependant la route. Pour la deuxième saison consécutive, MPH tombe dans un groupe relevé en phase de groupes d’Europa League mais s’en sort avec les honneurs (10 et 8 points pris). En championnat, ses joueurs voguent dans le Top 6 durant toute la phase classique. Il est même convaincu que, sans un mois de décembre où le Standard a enchaîné six matchs sans victoire, il aurait pu jouer le podium final. Les Rouches achèvent leur parcours à la 5e place au moment où la pandémie de Covid-19 frappe le monde. Le confinement rebat les cartes dans l’esprit du coach qui voit dans cette déconnexion forcée une manière de faire le point sur sa carrière. En ressort cette envie de prendre du recul par rapport au terrain, pour écouter son corps qui lui crie d’arrêter les frais. Le dernier défi de Preud’homme en tant que coach tourne court, le dernier rêve de Venanzi s’envole. Et la réalité financière ne va pas mettre longtemps à tirer le club vers les bas-fonds.

Une académie qui fuite

Bruno Venanzi a poussé pour faire de Mbaye Leye le successeur de Michel Preud’homme.
Bruno Venanzi a poussé pour faire de Mbaye Leye le successeur de Michel Preud’homme. © Tous droits réservés

L’Académie Robert-Louis Dreyfus, rebaptisée en 2020 SL16 Football Campus, est une marque pour la formation de jeunes talents en Belgique. Axel Witsel, Marouane Fellaini, Michy Batshuayi ou Mehdi Carcela sont les rejetons célèbres d’une époque où la jonction entre le Sart-Tilman et la rue de la centrale se fait aisément. Mais ces dernières années, le bond semble de plus en plus difficile à réaliser pour rejoindre l’équipe première. Le manque de communication et la mauvaise gestion ont découragé plus d’un talent made in Liège de se réaliser au sein du club phare de la province. Sous la présidence de Bruno Venanzi, les fans voient déguerpir de véritables promesses avant même qu’elles ne reçoivent une chance de s’installer. Résultat : Hugo Cuypers, Dimitri Lavalée, Arthur Theate ou Landry Dimata ont tous été voir ailleurs, et regardent en arrière sans la moindre nostalgie dans les yeux.

Mais Liège reste un pôle attractif pour les jeunes de Belgique. Et Bruno Venanzi tire les leçons de ces échecs de formation à l’aube de la saison 2020-2021. Il engage Philippe Montanier, coach français connu pour ses talents de formateur, puisqu’il a fait éclore Antoine Griezmann à la Real Sociedad. "Le Standard va miser sur la jeunesse" est le nouveau refrain en bord de Meuse. Une politique nouvelle dictée par une réalité très claire : le Standard n’a plus un rond.

Des finances qui pleurent

Al Dakhil et Siquet, sacrifiés pour masquer la mauvaise gestion financière du club ?
Al Dakhil et Siquet, sacrifiés pour masquer la mauvaise gestion financière du club ? © Tous droits réservés

En acquérant le Standard en 2015, Bruno Venanzi y met une partie colossale de sa fortune personnelle, glanée grâce à la vente de Lampiris, dont il est le cofondateur, au groupe Total. Des années de gestion financière approximative, couplées aux performances sportives en recul et saupoudrées d’une crise du Covid-19 ont considérablement amaigri le magot, si bien que l’avenir financier du club est de moins en moins certain. Afin de satisfaire à la très stricte commission des licences, Venanzi imagine des stratagèmes poussés. Il crée notamment l’Immo du Standard de Liège, qui acquiert les installations du stade, et convainc des personnalités comme Axel Witsel, Marouane Fellaini ou encore Junior Edmilson d’y investir. Une bouffée d’oxygène rapidement consommée car le modèle du club est bâti sur un double objectif : la qualification systématique pour les PO1 et la participation à la phase de poule de l’Europa League.

Venanzi et Preud'homme voulaient Leye, Grosjean et Nicaise voulaient Montanier

Or la saison 2020-2021 ne satisfait pas à cette exigence. Alternant le bon et le moins bon, Philippe Montanier, qui avait été ardemment désiré par le duo composé d’Alexandre Grosjean et Benjamin Nicaise, est démis de ses fonctions. Le coach lance certes quelques talents (Mickey Balikwisha, Nicolas Raskin, Hugo Siquet), mais l’indigence du jeu proposé le discrédite rapidement. Et le Standard ne va pas bien loin pour trouver son remplaçant. Il s’appelle Mbaye Leye. Le Sénégalais, qui avait passé la saison précédente en tant qu’adjoint de Preud’homme, avait été suggéré par ce dernier pour reprendre le flambeau au moment de son départ. Mais à l’époque, Nicaise avait refusé cette option. Ce n’est un secret pour personne : les deux hommes sont loin d’être amis dans la vie et Nicaise aurait tout fait pour éviter de recroiser Leye dans sa carrière. L’ambiance est donc délétère au moment d’accueillir le Sénégalais, qui mène sa barque tant bien que mal lors de ses premières sorties. Les Liégeois échouent à se qualifier pour les Champions Playoffs (nouvelle mouture des PO1 qui ne concerne désormais plus que les quatre meilleures équipes) et s’inclinent en finale de Coupe contre Genk. L’addition est, comme prévu, extrêmement salée : sur l’exercice de 2020, le club perd près de 20 millions d’euros.

Une saison pour toucher le fond

Cette saison, le Standard se noie, lesté par le poids de sa gestion calamiteuse. Michel Preud’homme, en fin de contrat mais surtout déçu de la tenue générale du club, quitte définitivement le navire. Il quitte ses dernières fonctions de conseiller sportif par la petite porte, ce qui marque le point final de sa relation avec son club de coeur. Sur le terrain, Mbaye Leye joue la carte de la jeunesse. Il lance Ameen Al-Dakhil, un élégant défenseur, et continue de croire en Raskin ou Siquet. Problème : les finances du Standard dictent la politique de transferts. Balikwisha est vendu à l’été pour 6M€ à l’Antwerp, Siquet lui emboîte le pas avant même le début du mercato d’hiver du côté de Fribourg (4,5M€). Le mot d’ordre est clair : tout joueur qui représente une valeur marchande peut partir.

Le mot d’ordre est clair : tout joueur qui représente une valeur marchande peut partir.

Mais alors que les comptes continuent de plonger, d’autres nuages s’amoncellent. C’est le fameux litige qui oppose le Standard à Saint-Trond dans le dossier de la vente de Junior Edmilson au club qatari d’Al Duhail. Venanzi aurait tenté de minimiser le montant du transfert vers le Qatar afin de réduire le pourcentage à la plus-value qui devait être perçu par Saint-Trond. Alors qu’il est menacé par le président trudonnaire de porter le dossier auprès de la FIFA, le président liégeois propose d’envoyer Ameen Al Dakhil chez son voisin hesbignon. Grande promesse du foot liégeois, le joueur est marchandé pour 500.000 euros, soit moins de la moitié que l’estimation de sa cote sur le marché. Un épisode qui porte l’estocade à la crédibilité de Bruno Venanzi.

 

"Venanzi, démission !"

La fin de saison est un pénible chemin de croix pour Luka Elsner, remplaçant d’un Leye lâché par son groupe. Le Franco-Slovène a toutes les peines du monde à convaincre un vestiaire qui semble largement désintéressé. Le Standard clôture sa saison à la quatorzième place, huit points devant la zone de relégation. Le pire classement du club depuis 1946. Les supporters ont massivement désinvesti les tribunes et sont dans un état de résignation sans précédent. Durant toute la saison, ils rivalisent d’inventivité pour exiger le départ du duo Venanzi-Grosjean. La dernière soupape du président saute au mois de février : Alexandre Grosjean, qui cumule direction sportive et générale depuis la mise à l’écart de Benjamin Nicaise, est remercié.

Venanzi constate, attristé, les pancartes le grimant en clown, les chants des supporters qui hurlent "démission !". Lui qui avait réussi à emmener les supporters dans son projet grâce à son identité typiquement liégeoise, est répudié par ses plus fidèles.

Depuis des mois, il cherche un repreneur, car il sait que le point de non-retour est atteint alors que les alarmes financières retentissent de plus en plus fort. La fumée blanche survient au mois de mars, lorsque 777 Partners acquiert 100% des parts du club, poussant le président vers une sortie en catimini. C’est la fin de la partie. Cramponné au poste dont il avait rêvé toute sa vie, Venanzi voit ses rêves définitivement envolés. Son parcours à la tête du Standard s’achève dans un chaos total. Au fond de lui, l'homme est vidé. La passion pour son club l'a parfois aveuglé, en l'amenant trop souvent à décider avec son coeur plutôt qu'avec raison. Il emporte avec lui deux Coupes de Belgique, quelques moments de grâce mais aussi de terribles désillusions. Et pas une seule bière pour accompagner ses chips.

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