Ursula von der Leyen est donc, à 60 ans, élue présidente de la Commission européenne, après avoir obtenu de justesse hier, la confiance du Parlement européen. Elle a recueilli 383 voix, soit seulement neuf voix de plus que la majorité nécessaire pour diriger les cinq prochaines années la Commission. Car c’était loin d’être gagné.
"Son problème, c’est que son nom a été suggéré il y a quelques jours et qu’elle n’a pas eu assez de temps pour présenter un bon programme", estime Daniel Goffart, co-auteur d’une biographie.
Mais ses premiers détracteurs sont les sociaux-démocrates (SPD), partenaires politiques aux côtés des chrétiens démocrates (CDU) au sein du gouvernement Merkel. Devenus ses adversaires, ils ont diffusé auprès des eurodéputés un document intitulé "Pourquoi Ursula von der Leyen est une candidate inadéquate et inappropriée".
Le texte égrène tous les griefs accumulés ces dernières années contre elle.
Notamment qu’elle est soupçonnée un temps, en 2015, de plagiat de son doctorat. Un sujet très sensible en Allemagne qui a causé la chute de plusieurs responsables politiques.
Qu’elle a été une ministre de la Défense " faible " qui n’a jamais réussi à obtenir la confiance de la Bundeswehr, et qui traîne plusieurs casseroles, dont le coût faramineux de la rénovation d’un navire-école de la marine.
De fait, la présidente de la Commission européenne vient de quitter en Allemagne son poste de ministre de la défense qu’elle occupe depuis 2013.
Première femme à occuper ce poste, prestigieux mais délicat dans une Allemagne toujours hantée par la Deuxième guerre mondiale, Ursula von der Leyen bouscule l’institution. Elle impose par exemple la fin de la tradition des honneurs faits à des officiers ayant servi Hitler. Tenace, voire cassante selon ses détracteurs, sa personnalité se fond difficilement dans le monde très masculin de l’armée, qu’elle agace aussi en dénonçant la "faiblesse" de certains officiers.
Et en effet, une série de scandales ont éclaboussé la Bundeswehr et son ministère ces dernières années : matériel obsolète, sous-investissements, consultants surpayés… Au point qu’Ursula von der Leyen est perçue dans son pays, selon le baromètre du Spiegel paru en mai dernier, comme l’une des ministres allemandes les plus impopulaires.
Soupçons de favoritisme et de corruption au ministère de la Défense
Ursula von der Leyen est ainsi empêtrée dans une affaire de soupçons de favoritisme et de corruption qui fait l’objet d’une commission d’enquête parlementaire. Son ministère a recruté des consultants externes sans appel d’offres, pour plusieurs dizaines de millions d’euros de contrats. Selon le "Bild am Sonntag", en seulement sept mois, plus de 200 000 euros auraient été versés.
A titre d’exemple, dix consultants externes auraient reçu plus de deux millions d’euros entre février et août 2018 pour avoir travaillé sur le seul projet informatique CITquadrat. Des taux horaires qui atteignent 223 à 252 euros.
Un porte-parole du ministère allemand de la défense a déclaré qu’il s’agissait d’un "projet informatique extrêmement complexe", qui a été mis en œuvre en raison de "son importance fondamentale pour la structure informatique de l’ensemble de la Bundeswehr dans des délais très serrés". Ces honoraires seraient assez habituels sur le marché pour ce type expertise, car les experts sont rares a encore précisé le porte-parole.
Outre les questions relatives au népotisme, la Commission d’enquête devrait également préciser si Ursula von der Leyen a été informée des rapports de la Cour des comptes fédérale (BRH) de l’année dernière sur des procédures douteuses dans l’attribution des contrats. Selon la BRH, les consultants du projet CITquadrat auraient dû être rémunérés à l’aide de budgets réservés à d’autres activités.
Une stratégie du SPD contestée en interne
A noter que le SPD n’a pas digéré que la suggestion de Martin Schulz, l’ancien président du Parlement européen et candidat malheureux à la chancellerie, ait été rejetée par une partie des chefs de gouvernement du PPE. La nomination surprise d’Ursula von der Leyen a donc été mal vécue.
Cependant, tout le SPD n’est pas aligné sur cette campagne de dénigrement : l’ancien ministre de l’Intérieur, Otto Schily, a qualifié dans le quotidien Die Welt, la stratégie du SPD de "minable" et de "déloyale". Pour lui, ses collègues mettent en danger la stabilité de l’Europe au nom "d’étroits intérêts partisans" a-t-il mis en garde.