Compétition, féminisme et sororité
Mais à côté, elle a les yeux qui brillent quand elle évoque un autre aspect qu’elle préfère dans son métier : celui d’avancer bien entourée. "J’aime le fait de rencontrer une nouvelle génération de réalisatrices, découvrir des nouveaux univers... c'est aussi comme ça que je me suis créé des gens avec qui j'aime travailler." Une nouvelle génération de cinéastes et d’acteur·ices, qui apportent un regard frais sur le métier.
C’est d’ailleurs sur le tournage d’un de ceux-ci, ‘Romy’ d’Ilya Jacob et Marie McCourt, que Mara fait la rencontre d’une autre comédienne, nommée Salomé Dewaels. Vue dans ‘Les Premiers les Derniers’ de Bouli Lanners, cette dernière a été récemment nommée aux Césars pour ‘Illusions Perdues’. Les deux jeunes femmes deviennent très vite inséparables.
Quand elle réussit, je réussis aussi. On réussit toutes
Passant souvent les mêmes castings, Mara et Salomé sont confrontées aux mêmes aspects du métier. "À un moment, avec Salomé, on devait faire une scène ensemble pour une série, et une des phrases du texte c'était 'T'as tes règles ou quoi ?’ : 'on a dit ben non, ça on ne dira pas'. C'est important d'avoir des allié·es avec qui réfléchir ensemble à comment aborder ce métier de façon nouvelle."
Notamment sur les questions de compétition et de sororité : "On nous demande souvent si c'est pas trop dur d'être en compétition avec sa meilleure amie. Mais Salomé et moi, on ne s'est jamais senties en compétition. Parce qu'on a compris que ça ne tenait pas à nous. Alors chaque fois qu'on passe le même casting, on s'appelle pour s’encourager : ‘Si c'est pas pour moi, c'est pour toi !’ Par exemple, le casting pour 'Illusions Perdues', je l'avais passé aussi : c'est Salomé qui l'a eu, et quand j'ai appris qu'elle était nommée aux Césars, j'ai pleuré de joie ! Quand elle réussit, je réussis aussi. On réussit toutes."
"Le féminisme pour moi c’est une notion en constante évolution"
Sans surprises, le féminisme est une valeur fondamentale pour la comédienne : "Pour moi le féminisme est en mouvement perpétuel - c’est une notion qui évolue constamment. Mais je me considère féministe parce qu'en fait… ras-le-cul d'être polie (rires) ! Ça fait des générations qu'on demande aux femmes de l'être, et ça suffit. J'ai la chance d'avoir une mère très féministe, qui m'a ouvert la voie et donné l'autorisation d'ouvrir ma gueule."
Concrètement, quand le métier de comédienne implique de dépendre parfois du regard masculin, comment on fait pour être féministe dans son boulot au quotidien ? "C'est faire des choix. C'est se positionner. C'est refuser des choses, parfois. Dire non à des scénarios. Ou proposer une autre lecture d’un rôle féminin. Quand on joue, c’est tenter de rendre le personnage plus complexe. C'est aussi utiliser la renommée qu’on peut avoir pour faire circuler des noms auxquels les gens n'auraient pas pensé. C'est parler aussi, comme on fait là en interview. Ouvrir sa gueule dans les médias, et assumer ça."
C’est parfois aussi simplement refuser de s’épiler sous les bras. "Je préviens : si c'est pas nécessaire pour le rôle, que ça ne raconte rien en plus ou en moins, je ne le fais pas. Qu'est-ce qu'on raconte avec ça ? C'est dur parfois d’assumer, mais n’oublions pas qu’un mec n’aura jamais à batailler pour ça." Difficile aussi quand on risque d'être grillée pour des rôles futurs, non ? "Honnêtement, parfois ça me fait flipper, mais au fond, si des gens ne veulent pas bosser avec moi à cause de ça, c'est qu'on n'a rien à faire ensemble de base." Avoir une réputation qui te précède, ça aide aussi à faire le tri : "Maintenant on m’appelle en connaissance de cause, et je travaille avec des gens qui m'intéressent aussi politiquement."
Mais éviter de travailler avec des gens problématiques, ça implique d’être au courant, et on ne l’est pas toujours avant. Mara en a fait l’expérience très récemment avec la sortie du film ‘Rien à Foutre’ d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, dans lequel elle a un rôle secondaire. La sortie du film a été bousculée par des accusations d’agressions sexuelles à l’endroit d’Arthur Egloff, un des acteurs du film.
La réaction de Mara est sans appel : "Je tiens à apporter mon soutien total et mon respect aux personnes qui ont pris la parole. Je les remercie d'avoir eu cette force. C’est important que quelque chose comme ça se passe. Évidemment, si on savait, ce ne serait pas arrivé, et je trouve la réaction de l’équipe plutôt saine, dans sa façon d’accueillir cette parole et de se remettre en question. De mon côté le tournage s’est bien passé (elle n’a pas de scènes avec le comédien incriminé, NDLR), et j’envoie mon soutien à Julie et au reste de la production. Mais je regrette de constater qu'encore une fois, les conneries des hommes empiètent sur la santé mentale des femmes et des minorités de genre. Encore une fois, ce sont les victimes qui ont dû prendre la parole, et se mettre en danger."
Dans ‘Rien à Foutre’, Mara incarne Mélissa, la petite sœur de Cassandre, le rôle principal du film incarné par Adèle Exarchopoulos. Avec leur spontanéité et leur gouaille similaires, on croit facilement au lien de parenté entre ces deux-là. Au début, elle confie que les cinéastes avaient pensé à elle pour incarner Cassandre avant de changer d’avis. "J'aime bien les seconds rôles s'ils portent le propos et s'ils ont du sens. Et en plus, c'est pas un rôle pour lequel on m'aurait appelée : c’est vrai qu'à la base, je me sentais plus proche de Cassandre, avec son côté un peu rebelle. Mais en fait ce rôle à contre-emploi, plus intérieur, moins extraverti, je suis contente aussi d'incarner ça." Rien à foutre d’être en haut de l’affiche : l’important pour Mara, c’est l’histoire qu’on raconte, et pourquoi.
Mon rêve, c'est de créer une nouvelle dynamique d'imaginaires communs, des nouvelles représentations des femmes, des personnes non-binaires, non-blanches dans les films