Diables Rouges

Les binationaux, pièces maîtresses du Maroc à la Coupe du monde : comment la Belgique les laisse-t-elle filer ?

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Le Maroc est la belle surprise de la Coupe du monde 2022. Les Lions de l’Atlas vont disputer un quart de finale face au Portugal ce samedi, un véritable exploit d’une équipe hétéroclite. Sa particularité, la majorité des joueurs présents dans la sélection ne sont pas nés et/ou n’ont pas été élevés et formés au Maroc. Ils ne parlent pas tous la même langue, n’ont pas tous reçu la même éducation mais la recette a le mérite de fonctionner pour une sélection qui a surtout montré beaucoup de cœur depuis le début du Mondial.

Parmi les joueurs présents au Qatar, quatre sont nés en Belgique : Selim Amallah, Ilias Chair, Bilal El Khannouss et Anass Zaroury. Les deux derniers ont même porté le maillot de la Belgique en catégorie d’âges. De tels joueurs sont forcément une aubaine pour le Maroc, mais la Belgique aurait-elle dû les retenir ? Auraient-ils trouvé leur place dans notre équipe nationale ? Quelle est la politique de l’Union Belge en matière de binationaux ?

Nous avons pu nous entretenir avec un scout de l’Union Belge, Khalid Zimbi exerce sa fonction depuis 2016 dans les catégories d’âges, des U15 aux U21. Il est lui-même Belgo-marocain.

Des profils peu utilisés par les entraîneurs belges…

Vous avez vu des joueurs choisir un autre pays que la Belgique quand ils avaient la double nationalité ? "J’en ai vu plein. C’est toujours le cas presque. […] C’est souvent une décision collective, prise en concertation avec leur famille, leur entourage, qui dépend surtout des perspectives dans leur pays natal."

Vous expliquez ça comment ? "Si on se concentre sur le point de vue footballistique, je dirais qu’il y a une incompréhension tant du côté des entraîneurs que des joueurs. D’une part, vu la façon dont les équipes du championnat belge évoluent d’un point de vue technico-tactique, on comprend que les entraîneurs n’ont pas une idée très positive des profils des binationaux, qui sont principalement des profils maghrébins, et même en grande majorité des Marocains. Ces joueurs sont souvent plus petits, plus minces, plus techniques, ils ont souvent un physique moins imposant, ils sont moins durs dans les duels même s’ils lisent souvent très bien le jeu. Ce profil ne donne pas confiance à la majorité des entraîneurs dans la formation de leur équipe. D’autre part, l’accumulation de refus de ce "profil" fait que beaucoup de joueurs pensent qu’il y a une "xénophobie footballistique" pour ce type de profils. Et donc dès qu’ils ont une porte de sortie, la possibilité de représenter un autre pays, ils posent ce choix."

Un constat qui vaut en équipe nationale A, mais pas forcément dans les catégories précédentes : "Chez les jeunes, ils sont appréciés avec leur technique, mais dès qu’ils arrivent à un niveau plus compétitif, on ne leur donne plus cette chance et cette marge de confiance. Les joueurs évoluent souvent jusqu’en U21 avec l’équipe nationale belge. Jacky Mathijsen (coach des espoirs), par exemple, accorde beaucoup de confiance à plusieurs binationaux. Mais après, cela reste une décision individuelle, la décision d’un coach. Il n’y a pas de structure, pas de politique autour de ces binationaux qui pourraient pourtant apporter beaucoup à la sélection belge. […] Malgré le fait que l’Union belge a beaucoup évolué avec énormément de départements spécialisés et d’ailleurs très bien gérés, dans ce genre de cas cela reste des décisions individuelles. Je pense notamment que le département de scouting est parfois un peu sous-estimé dans ses décisions sur le sujet."

Lui-même Belgo-Marocain, monsieur Khalid Zimbi n’évoque aucunement une discrimination au sein des instances du football belge, mais il affirme bien que la formation des entraîneurs belges, comme elle s’organise aujourd’hui, n’intègre pas suffisamment l’ouverture aux profils binationaux : "Après toutes ces années à l’Union Belge en tant que scout, et avec beaucoup d’amis scouts qui travaillent beaucoup, on est souvent sur les terrains de foot. Et on voit souvent après les matches des joueurs qui petit à petit se démotivent par manque de confiance et finissent par faire l’autre choix. […] J’ai commencé à travailler avec l’Union Belge en 2016, je n’ai jamais ressenti une quelconque xénophobie sociale ou culturelle mais par contre c’est vrai qu’au niveau footballistique c’est différent. Et c’est dû aussi à la formation des entraîneurs… Mais dans ce pays il y a quand même plusieurs exceptions comme le Standard de Liège qui fait partie des spécialistes dans la formation de ces profils et qui accordent leur chance à ces joueurs."

"Ils se sentent belges, jouer pour leur équipe nationale est le plus grand honneur qu’on puisse leur accorder"

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Une plus value pour les Diables ? "Le problème, c’est qu’il faut faire le pas, ici à l’Union Belge, il faut parvenir à comprendre ces profils et ce qu’ils peuvent apporter à notre pays. Je pense que la sélection belge n’a pas besoin de ces profils pour être forte, mais qu’elle serait beaucoup plus forte avec eux."

Donc il n’y a vraiment rien en place autour des binationaux à l’Union Belge ? "A moins qu’un projet soit dans les cartons et que le personnel de l’Union Belge lui-même ne soit pas encore au courant, rien n’a encore été mis en place par l’UB pour les binationaux. Ce serait pourtant une nécessité selon Khalid Zimbi : "Il faudrait aussi donner des exemples, des modèles à ces joueurs. Il faudrait leur donner des brèches de motivation pour sentir qu’ils reçoivent de la considération. Ils sont Belges, personne ne leur enlèvera ça, ils se sentent belges. Leur but c’est de jouer pour leur équipe nationale."

Les joueurs ne choisissent pas une autre sélection avec les pieds de plomb, et ils donnent tout pour leur deuxième nation : "La grande majorité des joueurs rejoint la sélection d’origine de leurs parents et y vont avec l’amour de ce pays, de leur famille. Mais ils auraient autant aimé évoluer pour leur pays de formation, et de naissance. La sélection belge est un miroir mondial pour ces joueurs. Jouer dans leur pays d’adoption, de naissance, d’éducation, le seul dans lequel ils ont vécu… c’est le plus grand des honneurs qu’on peut leur accorder."

Garder le football au centre de tout : "Je pense qu’il ne faut pas travailler sur ce thème d’un point de vue ethnique ou culturel. Ce serait une erreur. Il faut travailler au niveau footballistique, avec les entraîneurs, leur formation, les sélectionneurs des catégories d’âges qui font un travail énorme. Dans ces catégories-là on trouve des binationaux partout. Et tous ceux qui font le choix d’un autre pays, en séniors, généralement ils sont passés par toutes les catégories chez les jeunes. Tous les sélectionneurs de ces catégories abattent un énorme travail. Mais le plus important c’est l’équipe nationale sénior. Et quand ils arrivent à ce niveau il faut faire la transition. J’espère de tout cœur qu’on va enfin écouter Jacky Mathijssen, tenir compte de son opinion. C’est juste un problème footballistique qu’il faut aussi travailler avec les entraîneurs."

"Jacky Mathijssen est un entraîneur qui, avec les espoirs, a donné beaucoup d’importance et offert de nombreuses minutes de jeu à ces binationaux. On n’a même pas besoin d’écouter des opinions externes alors que dans notre structure on a des personnes qui peuvent aider la sélection belge," termine Khalid Zimbi.

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