Littérature

Les bibliothèques inondées de la Province de Liège refont surface

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Aidez la bibliothèque de Theux à reconstituer son fonds régional en cliquant ici

 

Depuis le mois de juillet 2021 et les inondations qui ont dévasté de nombreuses communes, principalement en Province de Liège, les bibliothécaires se battent pour faire revivre ce secteur culturel, grand vecteur de lien social.

Des bibliothèques retranchées dans des salles de classe. Ou dans de simples containers, sur un parking. A l’instar des habitants dont les logements ont été sinistrés et des autres services, les agents communaux des bibliothèques ont dû s’adapter à la destruction de leurs lieux d’accueil du public par les inondations qui ont provoqué la mort de 39 personnes, principalement dans la province de Liège, en juillet 2021.

Justine Paque, 32 ans, responsable des Bibliothèques de la commune de Theux, n’en revient toujours pas. Le 14 juillet au matin, alors qu’elle est en congés, elle apprend par ses collègues que les 20.000 livres du fonds ont été recouverts par les flots qui se déversent dans la commune. " Notre bibliothèque est en première ligne face à la Hoëgne, rivière affluent de la Vesdre, raconte la jeune femme qui travaille depuis 2014 dans ce lieu. L’eau est montée à près de 2 mètres et a recouvert jusqu’aux étagères les plus hautes, qui sont pour la plupart tombées. " La bibliothèque venait d’être rénovée, juste avant les fermetures dues à l’épidémie de Covid-19.

" Dès que c’était possible, j’ai accouru avec mon compagnon pour constater les dégâts, poursuit Justine Paque. On n’avait pas le choix, il fallait foncer. Enormément de bénévoles sont venus de partout, c’était une ambiance que je n’aurais jamais cru connaître. L’émotion était forte face au lieu complètement détruit, que les gens aient l’habitude de le fréquenter ou pas. Certains ont pleuré. Des livres sous l’eau, c’est ce qui peut leur arriver de pire avec le feu. C’est tout un symbole. "

Bibliothèque de Theux
Bibliothèque de Theux © Tous droits réservés

« Une bibliothèque, c’est plus qu’un bureau »

Fréquentée par près de 1700 inscrits sur une commune de 12.000 habitants, la bibliothèque a été relogée au premier étage de l’école communale dès la mi-août, avec une capacité de stockage très limitée. Une solution qui ne permettait pas de rendre le lieu accessible aux personnes âgées et à mobilité réduite, aussi Justine Paque et ses équipes ont-elles décidé de s’installer au rez-de-chaussée, en attendant de réintégrer les locaux en fin d’année dans le meilleur des cas. Justine trépigne de revoir le public dans de bonnes conditions : " Une bibliothèque, c’est plus qu’un bureau : c’est un lieu de rencontre et de culture ".

A Theux, l’un des enjeux est aussi la reconstitution minutieuse du fonds patrimonial et historique de la région. Des livres d’auteurs locaux avec photos d’époque, des revues voire de simples brochures qui racontent " le pays de Franchimont ", cette partie de la province de Liège qui charrie avec elle une longue tradition et beaucoup de mystères.

Le syndicat d’initiative publie une gazette mensuelle depuis juin 1946, dont la collection complète et reliée a disparu dans les flots. Heureusement, d’autres exemplaires étaient stockés ailleurs, à défaut d’avoir été numérisés. " Les gens sont fort attachés à la commune et à son folklore, explique Justine Paque. Le réseau d’associations est très vivace, comme la Chevalerie de l’ordre du Chuffin (chouette, en ancien français, ndlr). Nous allons tout faire pour retrouver ces archives. " La plupart des documents n’étant plus édités, c’est un travail de fourmi qui s’annonce.

A Pepinster, à 4 kilomètres de là, la situation est encore plus dramatique puisque le bâtiment lui-même, situé dans l’administration communale, s’est effondré et va être détruit. Martine Meertens, la responsable, y avait consacré une bonne partie de sa vie en ouvrant il y a 34 ans " cette bibliothèque qui marchait du tonnerre " et comptait 2000 inscrits pour 10.000 habitants. " On organisait beaucoup d’activités pour sept classes d’élèves, un cercle de lecture, des petits-déjeuners, on recevait des expositions… "

Se réorganiser hors-les-murs

Le 15 juillet, Martine Meertens retrouve ses 19.000 livres " gonflés comme des éponges " et encastrés dans les étagères. " On n’a pu sauver aucun livre, pas un, même dans la réserve. Mon comptoir de prêt était renversé. Une scène apocalyptique, avec de la boue partout. Heureusement, il y avait trente bénévoles sur place et je n’ai pas eu à jeter les livres moi-même. " Les pertes représentent un budget de 247.359 euros.

Bibliothèque de Pépinster
Bibliothèque de Pépinster © Tous droits réservés

Depuis, la bibliothécaire est installée dans un container sur le parking de l’administration et attend impatiemment de récupérer un lieu. " Mais tout le monde cherche un local, le moindre mètre carré est précieux ", reconnaît Martine, qui a laissé un temps sa bibliothèque pour travailler au Fonds des calamités afin d’aider les habitants à remplir leurs déclarations de sinistres.

La directrice des Bibliothèques de la province, Bénédicte Dochain, a recensé les pertes et créé des liens de solidarité pour que les œuvres soient prêtées entre bibliothèques. Un " bibliobus " passe fréquemment dans les communes pour permettre de continuer les emprunts – " une fois toutes les trois semaines à Pepinster, c’est un peu dérisoire ", ajoute Martine Meertens.

Les activités se sont donc réorganisées " hors les murs " comme à Angleur (ville de Liège), où la bibliothécaire Aurélie Nisot s’adonne à une mission " livré à domicile ". Elle apporte elle-même les ouvrages commandés en ligne aux habitants, un thermos de café à la main, et s’occupe de redistribuer les dons de livres. La directrice des bibliothèques à la Ville de Liège, Isabelle Peeters, estime qu’il est " important de maintenir ce lien entre le livre et les habitants et de poursuivre le travail d’implantation de cette bibliothèque toute récente ". Tout en reconnaissant que la catastrophe naturelle l’a poussée à reconsidérer ses missions : " Dans un premier temps, les besoins n’étaient pas nécessairement de se cultiver… La précarité est grande, certaines personnes n’ont pas accès à internet. Nous ferons en sorte de proposer ce service, ainsi que des ateliers d’écriture, dès notre réouverture ".

Bibliothèque de Theux
Bibliothèque de Theux © Tous droits réservés

Ecrire, parler, les habitants des zones sinistrées en ont besoin pour raconter la catastrophe. " Certaines personnes se sentent oubliées, constate l’écrivaine Caroline Lamarche, qui recueille depuis le début de l’année des témoignages de personnes sinistrées avec la photographe Françoise Deprez. Dans l’urgence absolue, on se tait et on agit comme on peut. Quelques mois plus tard, vient le temps du récit ", explique-t-elle. L’autrice belge compte sur les bibliothèques pour relayer son appel à témoignage, " par la confiance que les habitants leur portent. Martine Meertens par exemple, à Pepinster, est très proche des habitants sinistrés. Elle est un relais précieux. "

" On est toujours restés positifs, termine Justine Paque, à Theux. Evidemment, on a beaucoup pleuré sur le moment, mais on avance. On se dit qu’on fera encore mieux qu’avant. "

 

Attention : le don de livres non organisé n’est pas un souhait des bibliothèques qui reçoivent des documents inutiles ou en double. Il existe par ailleurs une obligation décrétale de documents de moins de 10 ans dans les libre-accès des bibliothèques, aussi les ouvrages plus anciens ne correspondent pas aux besoins. La thématique Culture, Musique et Patrimoines de la RTBF, avec son programme Trait-d’Union, va aider les bibliothèques sinistrées en lançant des appels aux dons spécifiques. 

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