Economie

Les banques belges profitent à fond de la hausse des taux d’intérêt, pas les épargnants

© Getty Images

Par Michel Gassée

En 2008, les ménages belges pris dans leur globalité ont touché 10,7 milliards d’euros d’intérêt sur leur épargne (obligations, comptes d’épargne, etc.). En 2022, à peine 2,1 milliards d’euros selon une note publiée par Eric Dor, directeur des Etudes Economiques à l’IESEG School of Management de Paris et Lille. "Par rapport à ce que ces revenus d’intérêt auraient été s’ils étaient restés à leur montant de 2008, écrit-il dans cette note, leur perte cumulée de 2009 à 2022 est de 87.543 millions d’euros. C’est une mesure du manque à gagner des épargnants en Belgique, à cause de la baisse des taux d’intérêt." Interview.

Ce manque à gagner pour les épargnants belges que vous évoquez dans cette note de recherche, il est colossal, non ?

Eric Dor : "Oui, c’est tout à fait colossal. On peut dire que, depuis 2008, c’est-à-dire le moment à partir duquel les taux d’intérêt des banques centrales ont commencé à diminuer, entraînant tous les taux d’intérêt de marché dans leur chute, eh bien, les épargnants belges ont perdu 80% de leurs revenus d’intérêts."

Les banques centrales font évoluer les taux d’intérêt en fonction de l’évolution de l’économie, un coup ça monte, un coup ça baisse. N’est-il pas normal que les revenus d’intérêts varient aussi ?

"Oui, ça fait partie du jeu, mais on peut dire qu’on a connu une décrue des taux d’intérêt qui était historiquement exceptionnelle. Il ne faut pas oublier qu’à un moment donné, dans la zone euro, les taux directeurs – c’est le nom qu’on donne aux taux de la Banque centrale européenne (BCE) – ont même été négatifs ! C’était le cas pour le taux de la facilité de dépôt, le taux que les banques reçoivent quand elles déposent de l’argent à la banque centrale. Ça, c’était exceptionnel. Même les Américains ne l’ont pas fait."

Globalement les taux d’intérêt ont baissé depuis la crise financière de 2008 jusqu’à l’année passée. Là, ils ont commencé à remonter vite et fort. Un changement de cap radical ?

"Effectivement, et c’est essentiellement dû à la flambée d’inflation que nous avons connue suite à la crise géopolitique, guerre en Ukraine, emballement des prix de l’énergie, etc. Les banques centrales ont dû commencer à lutter contre une inflation excessive. Elles se sont donc mises à augmenter les taux à partir de juillet 2022. Depuis ce changement de cap, la BCE a déjà augmenté ses taux directeurs de 3,5% !"

C’est la toile du fond. Mais dans votre note, vous constatez surtout qu’en Belgique, les banques commerciales n’ont pas du tout embrayé, elles n’ont pas dopé la rémunération des comptes d’épargne…
"Effectivement et, d’après la BCE (les derniers chiffres datent de février), le taux moyen que les banques Belges paient sur les dépôts d’épargne de leurs clients se situe à 0,35%. C’est extrêmement peu. Ce taux moyen a augmenté de 0,27% depuis le point bas qui remonte au mois d’avril 2022. Par rapport à l’augmentation de 3,5% des taux directeurs de la BCE, c’est insignifiant."

Alors que, dans le même temps, les banques belges ont répercuté la hausse des taux sur les nouveaux crédits mais pas vraiment sur l’épargne des ménages, c’est bien ça la réalité ?

"Les taux que les banques facturent sur leurs nouveaux prêts à leurs clients, que ce soit des entreprises ou des ménages, ont déjà assez bien augmenté, c’est clair. Bien sûr, les hausses de taux concernent les nouveaux prêts. Les anciens prêts accordés à taux fixe ne bougent pas. Mais quand on regarde le taux moyen sur l’encours total [des crédits], on voit que ce taux moyen a quand même plus progressé que les malheureux 0,27% d’augmentation des taux offerts sur les dépôts d’épargne."

Faut-il prendre en compte le fait que, quand elles déposent de l’argent à la Banque nationale, les banques belges perçoivent une rémunération bien plus élevée que celle qu’elles proposent aux épargnants ?

"Ah oui, il y a là un réel effet d’aubaine, qui est bien documenté et qui vaut pour tous les pays de la zone euro d’ailleurs. Les banques belges ont 262 milliards de liquidités excédentaires qui sont déposées sur la facilité de dépôt à la Banque nationale de Belgique. Ces dépôts sont rémunérés à hauteur de 3%. Donc vous voyez que, au passif de leur bilan, elles ont de l’argent collecté sur des dépôts d’épargne sur lesquels elles paient en moyenne 0,35%. Mais de l’autre côté de leur bilan, elles ont 262 milliards placés à 3%. Elles bénéficient donc d’une énorme marge d’intérêt qui nourrit leur rentabilité."

N’est-ce pas un juste retour des choses après plusieurs années difficiles pour le secteur bancaire ?

"Globalement, la rentabilité des banques a quand même bien résisté à la période de décrue des taux parce qu’elles ont pu compenser les moindres marges de taux d’intérêt par une augmentation de toutes les opérations à commissions sur lesquelles elles ont quand même pu générer de bons revenus. Cela dit, rappelons tout de même que nous avons intérêt à ce que nos banques soient solides et rentables, puisque c’est là que nous avons notre argent. Nous comptons aussi sur les banques pour nous financer. Que ce soit un ménage pour racheter sa maison ou une entreprise pour investir. Mais on peut quand même dire qu’actuellement, il serait possible pour les banques, sans compromettre leur rentabilité, d’augmenter la rémunération qu’elles offrent sur les comptes d’épargne."

Est-ce qu’on peut dire que, les banques belges ayant déjà beaucoup de dépôts d’épargne, en réalité elles n’ont pas besoin – voire pas envie – de dépôts supplémentaires et que maintenir des taux d’intérêt très bas, c’est une façon de décourager leurs clients ?

"La première raison qui peut expliquer pourquoi les banques belges sont très lentes pour augmenter la rémunération de l’épargne, c’est l’inertie des clients. De nombreux déposants laissent effectivement leur argent sur des comptes d’épargne très mal rémunérés, souvent sans même chercher à faire migrer leur épargne vers des banques qui offrent de meilleures conditions. Ensuite, effectivement, il y a le fait que nos banques sont déjà gorgées de liquidités suite à la politique expansionniste de la BCE pendant toutes les années, où elle luttait plutôt contre la déflation que contre l’inflation. Et à cause de ça, effectivement, nos banques n’ont pas vraiment besoin de se concurrencer pour attirer des nouveaux dépôts. Et donc elles ne sont pas vraiment poussées à offrir une meilleure rémunération de l’épargne."

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