Monde Amérique du Nord

Les armes prolifèrent toujours aux Etats-Unis, les fusillades s’en trouvent facilitées

Malgré la succession de fusillades de masse, le nombre d’armes en circulation aux Etats-Unis ne cesse d’augmenter.

© Artfully79 – Getty

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Par Pascal Bustamante

Le président Joe Biden sera ce mardi 17 mai à Buffalo pour partager le deuil des familles des victimes de la fusillade de samedi dernier. Une dizaine de personnes, toutes Noires, ont perdu la vie alors qu’elles faisaient leurs courses dans un supermarché de la marque "Tops". Dans le même temps, en Californie, une attaque a eu lieu dans une église ou une quarantaine de personnes se trouvaient rassemblées pour un office religieux. Une personne est décédée, 5 autres ont été blessées. Un week-end sanglant qui pose la question de la circulation des armes aux Etats-Unis.

Le Gun Violence Archive dénombre quelque 45.000 morts par arme à feu en 2021

Les Etats-Unis comptent quelque 330 millions d’habitants. Les chiffres de morts par armes à feu pour 2021 sont éloquents. 45.000 personnes ont perdu la vie, 24.000 d’entre elles se sont suicidées avec une arme à feu. Le Gun Violence Archive compile ces données et observe une augmentation par rapport à l’année précédente. En 2019, 39.389 personnes avaient perdu la vie. Cette année, en date du 16 mai, le sinistre compteur en est déjà à 16.068 personnes tuées. Un rythme moyen de pas moins de 118 personnes par jour.

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La question de la circulation des armes

A première vue, dans une perspective éloignée, de ce côté-ci de l’Atlantique, on pourrait considérer que les législations tendant à réduire la circulation des armes à feu sont plutôt le fait des politiques Républicains que des Démocrates. Mais une analyse plus fine indique que cette ligne de partage n’est pas tant partisane que géographique. Yannick Quéau, directeur du GRIP (Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix) nuance fortement cette interprétation.

"Identifier des lignes entre partis qui soient très claires, le contrôle accru des armements, le droit de chaque individu de disposer des armes, est une démarche qui rencontre des limites. […] Cette grille de lecture a l’air valide dans un premier temps parce que ce sont surtout les présidents Démocrates qui ont essayé dernièrement de s’exprimer pour un contrôle accru, notamment des armes d’assaut." détaille l’expert.

Néanmoins, cette impression est à nuancer : l’échelle du pays, c’est beaucoup plus diffus que cela. On va trouver des Républicains qui, dans certaines zones, sont pour le contrôle des armements. Au niveau des États, des villes et des types de législation qui peuvent venir se mettre en place, ce clivage Démocrate – Républicain souffre de tellement d’exceptions qu’on doit finalement questionner sa validité", précise Yannick Quéau

"Il y a vraiment un découpage territorial qui est assez particulier.", ajoute-t-il. "La nouvelle Angleterre et l’Ouest vont être plus enclins à essayer de limiter ou à avoir des restrictions dans l’accès aux armes pendant que dans d’autres lieux, on va tout simplement pouvoir l’acheter pratiquement au supermarché du coin et repartir comme on repartirait avec un téléphone cellulaire. Il y a malheureusement, d’un État à l’autre, des disparités assez importantes dans l’accès aux armes."

Une question d’abord idéologique

Quand on évoque la question de la régulation des armes à feu aux Etats-Unis, on se heurte rapidement à la question de la culture autour de ce type d’armement. Une question éminemment locale, puis, il y a aussi le contexte idéologique dans lequel ce genre de question se pose. Et là aussi, Yannick Quéau indique que cette disparité régionale rend l’adoption d’une solution fédérale plus compliquée :

"Les clivages régionaux que l’on retrouve à l’intérieur des États-Unis, au niveau des États arrivent à une forme de paralysie ou d’incapacité du pouvoir fédéral à véritablement faire passer une législation qui soit plus restrictive dans le type d’armes auquel on pourrait avoir d’accès. C’est quelque chose de difficile à mettre en place. Surtout dans un climat politique qui a tendance à mettre l’accent sur les extrêmes. C’est assez compliqué de trouver une position modérée qui puisse faire consensus au Congrès américain. En fait il n’y a que très peu de place pour une approche pragmatique de réduction des risques et de réduction de la violence par armes à feu."

L’écueil de la banalisation

Les fusillades du week-end dernier résonnent comme les éléments d’une litanie se perdant dans les années passées. Des éléments qui alimentent la polémique sans forcément la résoudre. Le slogan toujours mis en avant par la NRA (National Rifle Association) depuis sa fondation en 1871 est que ce qui est dangereux, ce n’est pas l’arme, c’est la personne qui la possède.

Yannick Quéau s’inscrit en faux. :"On met du temps à caractériser un attentat terroriste d’extrême droite animé par la haine raciale parce qu’on parle de tuerie, d’un tireur isolé ou de ce genre de chose. Et comme on a banalisé, ça ne permet pas d’avoir les effets de choc et de sidération qui permettraient de se dire : "Il est temps de se saisir de cet enjeu-là, au niveau le plus approprié, et de mettre un terme à la circulation des armes".

Pour l'expert, la possession d'arme est un élement déterminant : "Il y a les gens qui vont mettre en avant que non, non, ce ne sont pas les armes, le problème. Ce sont les personnes. Eh bien non, les armes font partie du problème, parce qu’elles déterminent une facilité à passer à l’action, un mode d’action. Ce n’est pas la même chose d’essayer de construire une bombe pour mener un acte terroriste ou un acte haineux et aller au supermarché acheter une arme et ensuite, dans ce même supermarché ou celui qui se trouve à 300 km de là, assassiner froidement 10 à 15 personnes."

L’effet pervers des tueries

De plus, le directeur du GRIP indique aussi un effet pervers de la médiatisation de ces tueries. Les statistiques ont démontré qu’à la suite des événements violents impliquant l’usage d’armes à feu, les ventes de celles-ci connaissent une progression. Comme sous l’effet d’une campagne publicitaire. Dans l’opinion, quand de tels massacres se produisent, les détenteurs d’armes anticipent une possible avancée législative destinée à limiter l’accès à l’armement et prennent les devants en se précipitant chez l’armurier pour faire le plein avant l’adoption de nouvelles lois.

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