Cinéma

Les 50 ans du film Gorge profonde, entre révolution et scandale

L’affiche soft d’un film scandaleux

© (Arrow Productions)

Par Nicolas Buytaers

Sorti le 12 juin 1972, il y a 50 ans, le film X "Gorge profonde" a participé à la révolution sexuelle américaine. Mais à quel prix ? Celui de l’exploitation de son actrice principale, Linda Lovelace !

Tout démarre avec une idée qui tient en quelques mots. "Et si je racontais l’histoire d’une femme qui découvre que son clitoris se situe, non pas en bas, mais en haut, dans sa gorge ?" Cette idée plus drôle que folle, on la doit à un coiffeur new-yorkais (qui a aussi été cireur de chaussures), Gerard Damiano. D’ailleurs c’est parce qu’il n’arrêtait pas d’entendre des conversations liées au sexe dans son établissement, entre deux coupes et trois brushings, qu’il s’est lancé, au début des années 70, dans l’industrie du porno en se disant que le secteur avait un bel avenir devant lui…

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Tourné en 6 jours seulement pour la modique somme de 25.000 dollars, "Deep Throat" (en VO dans le texte) est le premier film X de l’histoire à sortir en salles aux Etats-Unis. Fini les peep shows, le cinéma pornographique se montre au grand jour. Enfin presque car le film a quand même été interdit dans 23 états. Une interdiction bravée par son acteur principal, Harry Reems, qui transportait des copies décrites comme illégales d’état en état pour diffuser le film sous le manteau. Notez qu’en juillet 1974, il a été arrêté avec l’une de ces copies. Condamné en avril 1976, il a vu sa peine être annulée un an plus tard en 1977. Mais au-delà de cette interdiction, cette "Gorge profonde" a sexuellement libéré le pays de l’Oncle Sam. Enfin, disons que le film a participé au mouvement de libéralisation sexuelle déjà en marche… et qu’il a amené la chose au sein du débat public. En 2021, la réalisatrice française Agnès Poirier avait sorti "Gorge profonde – Quand le porno est sorti du ghetto", soit un documentaire sur le film (toujours à voir sur le site internet d’Arte) à travers lequel elle explique que le film bricolé de Damiano a mis sur le devant de la scène le plaisir féminin, sujet tabou à l’époque (et encore, aussi, un peu, aujourd’hui… mais heureusement la parole se libère).

Linda Lovelace est l’actrice principale du film
Linda Lovelace est l’actrice principale du film © (Arrow Productions)

Si "Gorge profonde" n’a quasi rien coûté, le film va énormément rapporter à son producteur, Louis Peraino (qui coproduira plus tard "Massacre à la tronçonneuse"). Mais quand on parle d’argent avec ce film, il faut se tourner vers le FBI. Oui, vu le caractère obscène de l’œuvre, c’est l’organisme fédéral qui entre en jeu. Le Bureau estime en effet qu’il a engrangé plus de 600 millions de recettes, devenant l’une des œuvres les plus rentables de l’histoire du cinéma tout court. À l’époque encore, le très sérieux New York Times publie une incroyable critique du film qui dit…

Deep throat, le seul film porno chic à voir et où être vu…

Il est donc chic de voir ce film chic… et tout le monde s’en vante. Que ce soit le crooner Frank Sinatra mais aussi le romancier Truman Capote. Même Spiro Agrew avoue l’avoir vu. Spiro qui ? Mais oui souvenez-vous, Spiro était vice-président américain en 1972. C’était le second du président Richard Nixon qui est tombé plus tard avec l’affaire dite du Watergate. Un scandale révélé par les journalistes du Washington Post, les fameux Bob Woodward et Carl Bernstein… tuyautés par un informateur sous X, un anonyme surnommé… Deep Throat. La boucle est bouclée ! Une histoire merveilleusement bien racontée dans le film "Les hommes du président" avec Robert Redford et Dustin Hoffman.

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D’un scandale à l’autre, il n’y a qu’un pas dans cette histoire avec les révélations de son actrice principale, Linda Lovelace, décrite comme la Sylvia Kristel américaine, l’Emmanuelle d’outre-Atlantique. Dans son autobiographie intitulée "Supplice", Linda Boreman (son véritable patronyme) révèle qu’elle a été victime de nombreux faits de violence perpétrés par Chuck Traynor, son mari qui était aussi son manager. Un mari qui l’a aussi violée, prostituée et forcée à tourner dans "Gorge profonde". Après la sortie de son livre, Linda s’est engagée dans la lutte contre la pornographie et ses travers. Et ce jusqu’à sa mort, le 22 avril 2002, dans un accident de voiture. Elle avait 53 ans.

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