A l’aube de la rentrée, il n’y a pas que les élèves qui cherchent une école. Certains enseignants peinent eux aussi à trouver une classe. Entre contrats de remplacement et charges incomplètes, il n’est pas simple de se faire une place dans le métier. Un constat surprenant, contrastant avec l’idée que l’on se fait du monde de l’enseignement. Alors, peut-on réellement parler de pénurie dans le secteur ?
"Disponible dès à présent", peut-on lire au-dessus d’un curriculum vitæ partagé sur les réseaux sociaux. Nous étions le 20 août, et à dix jours de la rentrée, Éléonore (nom d’emprunt) cherchait encore. Les jours sont passés depuis… et toujours rien.
Et elle n’est pas seule. Sur les groupes Facebook, ils sont nombreux à faire circuler leur CV. Sait-on jamais ?
Pénurie structurelle
Pourtant, tant à Bruxelles qu’en Wallonie, le secteur de l’enseignement est reconnu en pénurie. "Il y a une pénurie structurelle d’instituteurs primaires à Bruxelles. On manque également de maîtres spéciaux de néerlandais", confirme Romain Adam, porte-parole d’Actiris. "Le manque de professeurs d’enseignement secondaire est également structurel."
Notons toutefois qu’en cette période de rentrée, la pénurie n’est pas encore déclarée. Comme l’explique Christian Carpentier, porte-parole du SEGEC, "les directeurs sont toujours en train de constituer leur équipe et de recruter du personnel."
Les choses peuvent donc encore évoluer. Mais pour l’instant, "sur notre site jobecole.be, on constate 20% de trafic en plus par rapport à la même période l’an passé. Et on a beaucoup plus d’offres d’emploi pour les instituteurs que d’ordinaire."
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Un constat qui fait grincer les dents d’Éléonore. "Cela me fait toujours un peu sourire lorsqu’on dit que le métier est en pénurie", explique l’institutrice primaire. "Il faut bien se faire à l’idée que le métier est en pénurie seulement pour des contrats de remplacement. Les places vacantes à pourvoir sont très rares et sont alors proposées aux instituteurs prioritaires dans les communes ou dans le Pouvoir Organisateur de l’école."
Résultat des courses, l’an dernier, Éléonore voyageait entre 7 écoles de la même commune pour avoir un temps plein.
On en vient à faire du 'forcing' en appelant, en déposant nos CV deux, trois, quatre fois en deux mois
En secondaire aussi, la recherche de travail est parfois complexe. Si après deux mois de recherche, Marie (nom d’emprunt) a finalement trouvé du travail comme professeure de français, "ce n’est que pour un remplacement d’un mois." Sans parler des difficultés rencontrées pour postuler.
"D’une région à l’autre, les règles sont différentes. Là où je postule, par exemple, il faut déposer son CV en personne mais les directions ne sont pas souvent disponibles. On en vient à faire du 'forcing' en appelant, en déposant nos CV deux, trois, quatre fois en deux mois", se souvient-elle.
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Pour Joseph Thonon, président de la CGSP Enseignement, rien d’étonnant quand on connaît le nombre d’employeurs. "Chaque commune, chaque pouvoir organisateur du Libre est un employeur. Donc quand vous allez chercher de l’emploi, vous devez frapper à toutes les portes. Il n’y a pas un endroit centralisé. Hormis le réseau de la communauté française, vous devez faire des démarches."
Et si la pénurie de rentrée n’existait pas ?
Par ailleurs, Joseph Thonon souhaite nuancer cette idée de pénurie. Selon lui, "il n’y a pas de pénurie d’enseignants à la rentrée. Sauf peut-être quelques cas exceptionnels. On ne peut jamais dire que ça n’existe pas, mais c’est extrêmement rare."
Effectivement, en cette veille de rentrée, "il y a des enseignants qui sont au chômage et qui attendent d’avoir un emploi au premier septembre", confirme-t-il. "Il y en a aussi qui ont un emploi à durée déterminée. Ou qui ont des petits contrats, ou des charges incomplètes, qui ne permettent pas de faire vivre une famille."
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que de jeunes enseignants peinent à trouver du travail. Ou en tout cas, à trouver une stabilité d’emploi.
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Par contre, la pénurie existe, mais plus tard dans l’année. "La pénurie arrive en général en novembre, dans certaines régions et pour certains emplois [à Bruxelles la pénurie est la plus précoce]. Et au fur et à mesure de l’année, elle ne fait que s’accroître. Et quand on arrive au mois de mars, la pénurie est presque totale."
Débuts précaires
Comment expliquer cette pénurie ? Au sein de view.brussels, l’observatoire d’Actiris, on estime que la précarité de l’emploi en début de carrière n’est pas innocente. "Il n’est plus rare qu’un jeune diplômé accumule trois à cinq ans de contrats de remplacement, de mi-temps, voire de quart-temps, avant de devenir titulaire de sa classe et plus encore d’être nommé à titre définitif ", pointe Romain Adam.
Résultat : ils sont nombreux à baisser les bras. "En 2013, une étude de l’UCL mettait en évidence que 20% des jeunes diplômés quittaient l’enseignement au cours des cinq premières années faute de perspectives de valorisation à moyen terme", continue-t-il.
Soyons honnêtes, quand on me fait une offre pour travailler une heure/semaine à Bruxelles, je n’accepte pas
Un constat qui vaut tant pour le primaire que pour le secondaire, et aussi bien à Bruxelles qu’en Wallonie. "Je reçois beaucoup d’offres via une plateforme. Mais soyons honnêtes, quand on me fait une offre pour travailler une heure/semaine à Bruxelles, je n’accepte pas. La plupart des offres ne sont vraiment pas intéressantes pour quelqu’un qui cherche un temps plein", confirme Marie.
Revaloriser le métier
Autre vecteur à l’origine de la pénurie : le peu d’attrait de la profession. Et pour ce faire, "on attend la réforme de la formation initiale qui devrait mieux armer les jeunes enseignants pour rester dans la profession", poursuit Joseph Thonon.
Une solution également épinglée par Actiris. "Revoir la formation est essentiel. Dès la rentrée académique de septembre 2022, les études supérieures des instituteurs de maternelle et de primaire passeront de trois à quatre ans, comme c’est déjà le cas dans la plupart des pays européens", ajoute Romain Adam.
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"Cette réforme poursuit l’objectif d’améliorer les performances globales de l’enseignement, avec des enseignants mieux formés, mieux préparés aux réalités de leur métier et aussi mieux armés pour lutter contre l’échec scolaire."
La pénurie dans l’enseignement est donc un marronnier un peu plus complexe qu’il n’y paraît.