Santé & Bien-être

Leïla Belkhir : "Beaucoup de soignants ne trouvent plus de sens car on court en permanence au quotidien"

Leïla Belkhir : "Beaucoup de soignants ne trouvent plus de sens car on court en permanence au quotidien"

© Tous droits réservés

Elle a été un des visages de la crise sanitaire aux côtés de nombreux autres experts. Avec son ton posé et pédagogique, Leïla Belkhir a éclairé à de nombreuses reprises les médias belges et la population. Souvent présentée comme "cheffe de l’unité d’infectiologie des cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles", elle préfère le terme "infectiologue". "Car on travaille en équipe avec mes collègues", dit-elle.

Une équipe en quête de sens, mise sous tension par la crise du Covid. L’urgence des premières vagues est passée, mais le virus est toujours présent. En cette fin d’année, il faut aussi gérer la grippe et le virus respiratoire syncytial, responsable des bronchiolites chez les jeunes enfants.

Entre deux consultations, Leïla Belkhir nous accorde un peu de son temps précieux pour faire le point sur cette année 2022. Elle est notre 9e et dernière intervenante de nos Grands Entretiens de fin d’année.

Quel est l’événement qui vous a particulièrement marquée en 2022 ?

Comme beaucoup c’est la guerre en Ukraine. Je pense aussi à toutes ses conséquences : la crise de l’énergie et la crise migratoire. Ça me touche beaucoup car en tant que médecin, je suis allée faire un accueil médical quand les premiers réfugiés sont arrivés. J’étais déjà sensibilisée à cette cause. En tant que femme et maman, je trouve que ça ne peut que toucher de voir ces personnes mettre en danger leurs enfants dans des périples pour quitter des situations de guerre et d’insécurité. Tout quitter du jour au lendemain, arriver dans des pays où il fait froid, sans savoir comment on va être accueilli, humainement c’est difficile.

C’est incompréhensible qu’en Belgique, on puisse laisser des personnes, en particulier des enfants, dehors.

Par ailleurs, le contexte devient compliqué pour tout le monde. Je le vois parmi mes patients. Certains ont du mal à payer leurs factures. Une de mes patientes ne prenait plus ses traitements parce qu’elle ne savait plus payer ses médicaments. C’est dur à entendre et à voir. Une autre a perdu du poids parce qu’elle mange moins. Même si des aides existent, certaines personnes ne savent pas comment y accéder ou n’osent simplement pas parler de leurs difficultés.

En 2022, des symboles du Covid ont disparu : le Covid Safe Ticket, le masque ou encore l’application Coronalert. Est-ce que le coronavirus est derrière nous ?

Non, il est toujours là, mais on a atteint un tel niveau d’immunité dans la population qu’on ne fait plus face aux vagues telles qu’on les a connues. Donc on relâche les mesures et c’est normal.

En hiver, il y a toujours un plus grand taux d’occupation à l’hôpital. Cette année, on doit gérer plusieurs virus responsables d’infections compliquées des voies respiratoires : la grippe, le Covid, et le virus respiratoire syncytial (RSV).

Je pense donc qu’en période hivernale, ça garde du sens d’encourager les gens à porter le masque quand ils sont malades et dans des situations où il y a beaucoup de monde, typiquement les transports en commun aux heures de pointe. Mais on ne doit plus passer par un stade où on l’impose.

 

La Chine a relâché ses mesures le 7 décembre dernier. Depuis, les cas explosent. Est-ce qu’on doit s’en inquiéter en Europe ?

Je crois qu’il faut bien surveiller la situation là-bas. On sait que quand il y a une circulation très intense du virus, il faut faire attention aux nouveaux variants, qui auraient à la fois une faculté de se transmettre et une virulence plus importantes.

Maintenant, on ne peut pas comparer la Chine avec la population européenne et en particulier avec la Belgique. L’immunité de la population n’est pas du tout la même. Le virus a moins circulé avec leur politique et leur taux de vaccination n’est pas le même non plus.

Concernant l’éventuelle fermeture des frontières, je ne pense pas que ce soit une solution. À chaque fois qu’on a décidé de fermer les frontières, on s’est rendu compte qu’il y avait déjà des variants présents chez nous. Je crois qu’il faut plutôt miser sur une surveillance génomique. Il faut espérer que la Chine le fasse et que les informations soient partagées à la communauté scientifique.

Après deux ans de crise sanitaire, quelle est la situation dans les hôpitaux du pays ? Et comment se porte le personnel médical ?

Mal. Ça devient vraiment inquiétant pour plein de raisons. On fait part du problème du manque de personnel soignant depuis longtemps et ça ne s’est pas amélioré. Des lits sont fermés depuis des mois, voire des années à cause du manque de personnel.

Si on ferme des lits, on a moins de capacité. Donc il faut toujours faire des choix. On n’est pas dans la situation des vagues de cas Covid lors desquelles on a dû annuler beaucoup d’interventions chirurgicales et d’hospitalisations programmées. Mais il n’empêche, certains hôpitaux doivent quand même vérifier leur programme opératoire de façon régulière pour voir s’il y a un lit qui pourra ensuite accueillir le patient.

Le personnel médical et paramédical n’a pas eu de répit. Après les grosses vagues Covid, le reste des activités ont repris. Ensuite, au niveau infectiologique, il y a eu le Monkeypox. Ce sont les mêmes équipes de médecins et d’infirmiers qui ont pris en charge une nouvelle campagne de vaccination. Maintenant, Monkeypox, c’est beaucoup plus calme.

En somme, il y a toujours une situation qui en suit une autre, même si l’ampleur n’est pas toujours comparable.

On est en situation de saturation permanente, de tension permanente.

Les hôpitaux belges traversent-ils un moment charnière ?

Je crois, oui. Il faut vraiment prendre la mesure de ce qu’il se passe. Il y a beaucoup d’infirmières et d’infirmiers qui ne veulent plus travailler à l’hôpital, qui l’ont quitté avec le Covid et qui ne veulent plus revenir.

Au niveau financier, des choses ont déjà été faites mais ce n’est a priori pas suffisant car dans les faits, les hôpitaux n’arrivent pas à trouver des infirmiers et infirmières en suffisance. Et ça, c’est un sujet qui revient tout le temps. Quand je discute avec des collègues d’autres hôpitaux, c’est la même chose. De nombreux hôpitaux doivent fermer des lits par manque de personnel.

Qu’est ce qui a changé dans les hôpitaux depuis le début de la crise du Covid ?

Beaucoup d’infirmiers et d’infirmières ont vraiment pensé qu’il y aurait une valorisation qui n’a pas eu lieu, ou du moins pas à la hauteur de leurs espérances.

Il y a aussi plus d’agressivité envers le personnel soignant. Les gens sont plus nerveux. C’est à tel point que certains hôpitaux ont dû faire des campagnes pour dire "stop à l’agression verbale".

L’hôpital est dans un monde intégré. Donc les personnes ont aussi leurs propres difficultés. Vous avez par exemple une aide-soignante ou une infirmière qui voit ses factures d’énergie doubler ou tripler. Elle vient travailler, il y a plein de boulot et l’équipe n’est pas assez nombreuse. Elle se dit : "moi je continue à travailler autant, mais ça ne va pas mieux". Elle a des collègues qui tombent malades, en burn-out. Au final, elle se demande ce qu’elle y gagne.

"Beaucoup de soignants ne trouvent plus de sens car on court en permanence au quotidien"

On n’a plus le temps de faire les choses comme on souhaiterait les faire. On passe un temps fou à essayer de trouver des places. Les services de gériatrie sont par exemple complets dans tout Bruxelles.

Vous mettez tout ça ensemble et ça fait un cocktail explosif. Le Covid a fait beaucoup de dégâts dans les hôpitaux.

Ce que vous décrivez est préoccupant. Vous restez optimiste pour l’avenir ?

Je veux rester optimiste. Je veux croire qu’on aura les ressources pour continuer à envisager l’avenir de façon positive. On essaye de mettre en place des choses au sein de l’hôpital pour retrouver le sens.

Mais est-ce que les politiques se rendent compte de la situation dans les hôpitaux ? Je ne sais pas. C’est une réelle interrogation.

On n’arrive pas à recruter assez d’infirmiers et d’infirmières. Pourquoi ? Est-ce que c’est le problème de salaire ? Est-ce que c’est un souci de reconnaissance ? Le nombre d’années d’étude a augmenté aussi. Est-ce que cela contribue au manque d’attractivité envers la profession ?

Si vous pouviez formuler un souhait pour 2023, ce serait lequel ?

C’est un vœu pieux mais j’aimerais que les crises, quelles qu’elles soient, s’arrêtent. J’aimerais que des solutions soient trouvées pour toutes ces personnes qui ont de grosses difficultés financières et qui doivent choisir entre se chauffer et manger. Mais je n’ai pas de baguette magique et je sais que c’est compliqué partout.

J’aimerais qu’on arrive au niveau hospitalier à retrouver du sens et le temps pour faire ce qu’on aime faire, c’est-à-dire soigner les gens. Ou plutôt garder le sens. On a la chance d’avoir d’excellents soins de santé en Belgique. On doit tout faire pour les protéger.

Inscrivez-vous à la newsletter Tendance

Mode, beauté, recettes, trucs et astuces au menu de la newsletter hebdomadaire du site Tendance de la RTBF.

Articles recommandés pour vous