Une trentaine de films et une quinzaine de téléfilms et séries en seize ans de carrière seulement. Leïla Bekhti, venue par hasard au 7ème art, s’est taillé une place de choix dans le cinéma français. Elle sera début avril à l’affiche de "Je verrai toujours vos visages" de Jeanne Herry, retour sur son parcours dans Hep Taxi.
Mektoub, c’était écrit. Le destin a commencé par s’inviter dans la vie de Leïla Bekhti sur les bancs du lycée Maurice-Genevoix de Montrouge, en banlieue parisienne. La cadette de Mustapha et Amina Bekhti, chauffeur de taxi et employée à Pôle emploi, choisit par défaut, sur les conseils d’une amie, l’option théâtre et d’emblée, se prend au jeu. "Il y avait une petite audition. J’ai eu mon premier petit stress et ça, j’ai aimé, en fait. J’adore que rien ne soit acquis. La peur avant pouvait me tétaniser. Aujourd’hui, elle me galvanise" dit-elle. Abonnée à la revue Casting, Leïla n’osera pourtant jamais postuler tant la carrière d’actrice lui semble inaccessible.
Faux départ et bonne fortune
Bac littéraire en poche, la jeune femme s’inscrit en fac d’Art Thérapie afin de devenir éducatrice. C’était sans compter sur son extrême sensibilité. Elle qui cultive la joie dans sa sphère privée et pratique l’humour tel un médicament, craque au cours d’un stage dans un centre pour personnes handicapées. "Pour pouvoir aider les gens, il faut faire un vrai travail sur soi et moi, je n’arrivais pas à mettre de la distance" confie Leïla Bekhti. Vendre des fringues dans la boutique de son frère Slim est moins plombant. Et ça lui permet de se payer ses cours de théâtre. A l’époque, le manque de conviction l’habite encore, à la hauteur de la confiance qu’elle s’accorde.
En 2005, le hasard frappe à nouveau. Et doublement ! Une amie qui a vu fortuitement à la tv l’annonce du casting du film Sheitan de Kim Chapiron la rencarde. Coup de chance, Leïla se trouve à 10 minutes du lieu de l’audition. "J’y vais plus pour raconter à mes proches comment se passe un casting" dit-elle. Aussi, elle fait à l’arrache des photos au Photomaton. S’apprêtant à les glisser dans la boîte aux lettres, un comédien l’informe que le réalisateur va la recevoir. La scène improvisée pour décrocher le rôle principal féminin consiste à signifier l’embarras du personnage. Voilà qui tombe à pic. Notre invitée, intimidée, campe ce sentiment avec un naturel non feint. 48h plus tard, le verdict est favorable. "Sheitan c’est comme une première histoire d’amour. C’était un peu le premier film de tout le monde. La toute première fois où je suis face à une caméra, la première production de Vincent Cassel, la première réalisation de Kim Chapiron. C’était assez fabuleux !"
Des rencontres essentielles
Dans la foulée, elle tourne Harkis d’Alain Tasma. L’occasion de s’intéresser à cette période trouble de l’histoire algérienne durant laquelle son grand-père a combattu dans les rangs du FLN. Mais aussi, Mauvaise foi (2006) de Roschdy Zem qui "fait partie intégrante de ma vie aujourd’hui". En 2009, Un Prophète de Jacques Audiard change sa vie. Professionnellement "je suis très fière d’être dans ce grand film", mais aussi sentimentalement, car Leïla y rencontre l’amour de sa vie, Tahar Rahim, père de leurs trois enfants. De son époux, elle dit : "il me fascine dans ses choix de vie et d’acteur, son exigence et la manière dont il vit tout ça. C’est une des plus belles personnes que je connaisse. Il le fait avec intégrité, ce métier. Il prend des risques. C’est une leçon pour moi."
Autre rencontre déterminante, Géraldine Nakache. Leur coup de foudre amical fut des plus fédérateurs. La réalisatrice s’inspirera de leur complicité pour les rôles de Lila et Ely, les banlieusardes en quête de strass et paillettes qu’elles incarnent côte à côte dans Tout ce qui brille. Et Leila Bekhti d’irradier l’écran raflant au passage le César du meilleur espoir 2011. Pas de coïncidence si la même année, l’Oréal en fait son égérie… Le cinéaste roumain, Radu Mihaileanu l’engage sur sa fable féministe, "La Source des femmes". Pour ce film qui parle du sexe dans une société musulmane traditionnelle, elle est nommée aux César de la meilleure actrice. Sans toutefois le décrocher. Trop tôt peut-être ?
Actrice tout-terrain
A la bonne étoile, Leila Bekhti croit : "Il n’y a rien de stratégique dans mes choix". Mais en amont, tout de même, un scénario qui la motive en tant que potentielle spectatrice. L’éclectique peut passer du thriller tel Mains armées de Jolivet à la comédie Nous trois ou rien de Kheiron en passant par des séries comme "La Flamme" ou encore "Jour polaire". Coach tétraplégique ordurière du "Grand Bain". Mais aussi à l’écran, la romancière Albertine Sarrazin dont l’existence aussi sulfureuse qu’interlope fut retracée dans L’Astragale. "Chacun de mes personnages me permet d’être plus indulgente sur le monde. C’est une sorte de psychanalyse à chaque fois. En même temps entre l’action le coupé, je ne pense plus à qui je suis. Vivre d’autres vies que la mienne, j’aime encore plus ma vie à moi. Je la vis plus intensément" explique Leïla.
De la starification
Roschdy Zem la qualifie de "pépite aujourd’hui trésor". Quant à Cédric Kahn qui l’a dirigée dans Une Vie meilleure, il pousse plus loin le compliment, "une Isabelle Adjani, nouvelle génération". Leïla Bekhti, elle, conserve les deux pieds bien ancrés sur terre : " Je n’ai pas attendu d’avoir des enfants pour me recentrer, pour savoir qu’un proche à l’hôpital est plus important qu’un film qui ne se finance pas". Pour elle, la famille est capitale. D’abord, celle de sang avec en première ligne, son frère Slim et sa sœur, Amel. Pas étonnant que son premier film en qualité de réalisatrice, "À nous regarder, ils s’habitueront…", en cours d’écriture, a pour sujet la fratrie. Puis, sa tribu de cœur, ses amies d’enfance toujours présentes. Fidèle, authentique et lucide, Leila Bekhti. "Vivre de sa passion, ce n’est pas donné à tout le monde. J’essaye de savourer le moment présent " conclut-elle. Avec Les Intranquilles de Joachim Lafosse actuellement à l’affiche, la belle fût comblée.
Retrouvez Leïla Bekhti dans Hep Taxi, ce dimanche 19 février à 22h30 sur La Trois et en replay sur RTBF Auvio !