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L’économie numérique peut-elle être sociale ?

Tendances Première: Le Dossier

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En 2025, environ 43 millions de personnes travailleront via une plateforme numérique, selon les projections. Ce système n’est pas tenable socialement, éthiquement et écologiquement. C’est ce qu’affirme Olivier De Schutter, professeur à l’UCLouvain, rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme. L’économie numérique peut-elle être sociale ? Dans Tendances Première, il expose les nombreux défis que cette question pose.

Olivier De Schutter distingue deux enjeux : d’abord l’extension incroyable de ce phénomène en Europe : 28 millions de travailleurs et travailleuses dépendent aujourd’hui de l’économie numérique et travaillent sur base de ces plateformes, qui organisent leur travail. Et se pose la question de leur statut.

Par ailleurs, une série d’activités sont aujourd’hui très aisément exercées à l’extérieur de l'Europe, donc dans d’autres juridictions : encodage de données, édition, traductions, comptabilité… Cela entraîne une mise en concurrence généralisée des travailleurs et travailleuses à l’échelle mondiale, bien souvent pour des salaires dérisoires.

Quel statut ?

Quel statut pour les travailleurs et travailleuses des grandes plateformes numériques ?
Quel statut pour les travailleurs et travailleuses des grandes plateformes numériques ? © Pixabay

En Belgique, on est dans une situation d’insécurité juridique très problématique par rapport à ces plateformes numériques, souligne Olivier De Schutter.

La question principale est de savoir si ces personnes sont des indépendants, des micro-entrepreneurs qui ont choisi ce statut pour sa flexibilité, ou si elles sont sous un lien de subordination, sous le contrôle effectif d’un employeur qui est la plateforme, par exemple Deliveroo.

Le personnel de Deliveroo ou Uber doit-il être déclaré comme indépendant, avec toute la fragilisation que cela entraîne ? Le débat n’est pas tranché, la procédure est pendante devant les juridictions belges.

"Une fois que vous êtes reconnu comme un travailleur, vous bénéficiez d’un statut de travailleur salarié avec toute une série de garanties, rappelle Olivier De Schutter : un salaire minimum, des congés payés, une limite du temps de travail hebdomadaire, des assurances sociales, en cas de chômage par exemple. Des garanties que les indépendants, faux ou vrais, ne peuvent pas revendiquer."

La Commission européenne veut créer plus de sécurité juridique et renforcer les garanties pour les travailleurs et travailleuses de l’économie des plateformes. Elle veut par ailleurs les protéger des risques qu’implique l’usage d’algorithmes pour mesurer les performances ou la satisfaction de la clientèle.

La dictature des algorithmes

Ces systèmes d’évaluation ont des effets pervers. C’est une manière de contrôler la façon dont le travail se fait, avec tous les risques psycho-sociaux que cela comporte.

Les personnes sont cotées, évaluées par l’algorithme, suivies par géolocalisation, et sans fin mises en concurrence avec les autres. Elles sont toujours obligées d’aller plus loin dans la performance, sans pouvoir contester les décisions prises par l’algorithme.

On a l’apparence d’une très grande autonomie dans l’organisation, d’une très grande flexibilité dans le choix de se brancher ou non sur le système. En réalité, on a une gouvernance par les nombres qui est extrêmement perverse et épuisante.

Une argumentation fallacieuse

Ces plateformes attirent souvent des personnes en situation assez précaire : des étudiants et étudiantes, des migrants et migrantes, des chômeurs et chômeuses de longue durée,… qui savent que les seuls critères qui leur seront appliqués seront ceux des algorithmes pour évaluer leurs performances, et pas la couleur de peau, l’apparence ou le niveau d’éducation.

L’un des arguments de ces plateformes est d’ailleurs de dire que le facteur humain est éliminé, que les risques de biais, de préjugés, de discriminations sont écartés et qu’elles offrent des opportunités à des personnes qui n’ont que très peu d’opportunités sur le marché du travail classique, explique Olivier De Schutter.

En théorie, cela peut sembler positif.

Mais on peut aussi dire qu’on abuse de la vulnérabilité de ces personnes, qui ne sont pas en mesure de s’organiser pour revendiquer collectivement leurs droits sociaux, qui craignent d’être immédiatement écartées si elles protestent de manière trop visible, qui, fragilisées comme elles le sont, ne veulent pas courir le risque de perdre leur emploi et sont prêtes à tous les sacrifices.

Concurrence déloyale

Le débat actuel porte aussi sur la concurrence déloyale de ces plateformes par rapport à d’autres secteurs bien plus organisés, où les impôts et les cotisations sociales renchérissent le coût des prestations. L’exemple typique, c’est Uber qui est venu faire concurrence aux taxis classiques.

Une réglementation plus stricte va diminuer la profitabilité des plateformes mais garantir une meilleure protection juridique aux travailleurs et travailleuses et éviter ces phénomènes de concurrence déloyale.

Olivier De Schutter aborde aussi l’enjeu écologique lié à ces plateformes. Écoutez-le dans Tendances Première, ci-dessus.

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