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L’écoféminisme, "des nouvelles lunettes pour comprendre le fonctionnement de notre société"

ReSisters, un roman graphique de la philosophe Jeanne Burgart-Goutal, illustré par Aurore Chapon, une histoire d’écoféminisme

© Tana éditions

Par RTBF La Première via

2030 : dans un monde dystopique et proche du nôtre, la surexploitation des ressources naturelles mène à l’augmentation des inégalités, de la pollution et des pandémies. Mais un autre modèle basé sur la sororité apparaît, inspiré de l’écoféminisme. C’est le fond du roman graphique "ReSisters" de la philosophe Jeanne Burgart Goutal, illustré par Aurore Chapon.

Comment dépasser toutes les formes de domination entre les humains, entre les pays et entre les espèces ? Comment des personnes sans pouvoir ni argent peuvent-elles changer le monde et le rendre à nouveau désirable ?

Partout dans le monde, à peu près au même moment, les années 70, sont nés des mouvements qui ne s’appelaient pas encore écoféminisme, mais qui avaient la même réflexion et la même veine, comme s’il y avait une certaine urgence à enfin parler de ces préoccupations.

Pour Jeanne Burgart Goutal, professeure agrégée de philosophie, déjà très consciente de ces problèmes, la révélation s’est faite via le film de Coline Serreau, Solutions locales pour un désordre global. Dans ce documentaire, l’écoféministe indienne Vandana Shiva établit des liens entre les injustices en général, les injustices entre hommes et femmes, la dégradation de la condition des femmes, en parallèle avec les politiques de développement et de modernisation. Jeanne Burgart Goutal a ainsi découvert ce mouvement à la fois d’activisme politique, de pensées, de pratiques variées, qui, depuis les années 70, a théorisé et mis en oeuvre tous ces liens.

Comment définir l'écoféminisme ?

L’écoféminisme n’est pas qu’une juxtaposition d’écologie et de féminisme. Dans l’écoféminisme, il y a l’idée d’articuler, de comprendre comment se relient les différents problèmes, les différentes formes d’exploitation ou de domination entre les humains et entre humains et non-humains. Le patriarcat, le capitalisme, la crise environnementale, le fonctionnement néocolonial de notre économie mondiale ne sont pas des éléments séparés, mais au contraire ont des liens, dessinent un système d’ensemble, explique Jeanne Burgart Goutal.

"L’enjeu théorique de l’écoféminisme, c’est d’essayer de comprendre ces liens, comment cela s’articule dans le fonctionnement de l’économie, dans le fonctionnement social, politique, dans les institutions, dans les récits qui nous façonnent, dans les modes d’éducation. Comment ce modèle fondé sur des hiérarchies, des dominations, des formes d’exploitation entre catégories humaines et sur la nature, comment tout s’est relié, depuis quand. […] Des nouvelles lunettes pour comprendre le fonctionnement de notre système, de notre société, de notre économie et de notre histoire."

ReSisters, résister ?

ReSisters, publié chez Tana Editions, est une fiction philosophique illustrée qui mêle narration et apports théoriques pour présenter la richesse du mouvement écoféministe. Elle nous projette en 2030, à un moment où les libertés démocratiques ont disparu, où les pénuries alimentaires s’enchaînent.

"Les premiers chapitres sont, selon certains lecteurs, assez anxiogènes, mais il m’a semblé que je ne faisais que tirer le fil de ce qui se profile, de ce qu’on peut raisonnablement anticiper si les choses continuent telles qu’elles vont. […] Au fil des mois, la réalité ressemblait de plus en plus à cet univers que j’avais inventé."

Mais le livre ne se veut pas particulièrement noir, précise Jeanne Burgart Goutal, il veut donner de l’énergie, de l’élan pour agir, la conscience qu’il est temps d’agir, mais sans masquer les problèmes de la réalité.

Ecoféminisme, un terme inadéquat ?

Le terme écoféminisme est remis en question depuis les années 90 par certaines théoriciennes écoféministes. "Il a le défaut d’être clivant et de ne pas permettre de comprendre l’ampleur de la pensée qu’il y a derrière."

Il ne s’agit en effet pas seulement d’une articulation de l’écologie et du féminisme, mais plutôt d’une sorte de mutation du féminisme pour se transformer en mouvement destiné à abolir toutes les formes d’oppression, comme le définit la philosophe écoféministe Greta Gaard.

"Cela concerne l’articulation entre féminisme et tous les mouvements de justice sociale : féminisme, antiracisme, anticolonialisme ou postcolonialisme, justice sociale, justice internationale entre le nord et le sud… Après, il faut bien choisir un mot. Ce mot a été choisi historiquement, il y a 50 ans par les fondatrices de ce mouvement. Il y a l’idée de s’inscrire dans une filiation, dans un héritage."

Inégalités flagrantes : quelques chiffres

Jeanne Burgart Goutal rappelle, dans cet ouvrage, que les femmes sont en première ligne face aux conséquences du changement climatique. Elles représentent 60 à 80% de la production agricole dans les pays en voie de développement, mais elles ne gagnent que 10% des revenus totaux et ne possèdent que 2% des terres.

Actuellement en France, la retraite moyenne d’une femme est de 1100€ par mois, contre 1900€ pour un homme. Ces 800€ d’écart s’expliquent par le fait que tout au long de la vie professionnelle, les femmes sont moins payées, subissent beaucoup de temps partiel ou d’arrêts de travail pour élever les enfants. C’est une réalité économique et politique très concrète.

Les femmes auraient 14 fois plus de risques de mourir en cas de catastrophe naturelle. Cela s’explique par le système patriarcal qu’il y a derrière. Dans beaucoup de pays, on n’apprend pas aux femmes à nager, à conduire ou à faire du vélo, donc elles ont beaucoup moins de possibilités de fuite. Elles sont aussi censées rester au foyer avec les enfants et les protéger. Ou elles ne peuvent pas s’en aller sans l’autorisation d’un homme.

"Et pendant le premier confinement, les personnes qui continuaient à aller travailler, à s’exposer en première ligne, c’était en grande majorité des femmes : des caissières, des aides soignantes, des infirmières, toutes ces femmes qui sont précaires, sous-payées, déconsidérées."

Plus d’infos ici, dans l’entretien complet

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