Le Festival de Salzbourg, qui prolonge cette année la célébration de son 100e anniversaire avec les productions annulées en 2020, propose notamment une remarquable version théâtrale de l’oratorio Le Triomphe du Temps et de la Désillusion de Haendel. On y retrouve Cecilia Bartoli et son orchestre, Les Musiciens du Prince-Monaco, qui joue sur des instruments anciens. Un drame allégorique sur la tension de la beauté entre jouissance de l’instant et évanescence face au passage du temps.
Le Festival de Salzbourg est l’un des festivals de théâtre, d’opéra et de musique classique les plus célèbres au monde. Fondé en 1920, il avait été contraint par la pandémie à reporter une partie de sa programmation de l’année 2020 : la célébration du centenaire se poursuit donc cet été. L’édition 2021 est déjà bien entamée, puisqu’elle a lieu du 17 juillet au 31 août, voyant se succéder comme à l’accoutumée des productions très ambitieuses et prestigieuses. On y retrouve symboliquement le Jedermann d’Hugo Von Hofmannsthal, l’un des initiateurs du festival, une pièce de théâtre construite sur le modèle d’un mystère, un genre théâtral médiéval, qui avait ouvert le tout premier festival en 1920 dans une mise en scène de Max Reinhardt.
En musique, une grande variété de styles et d’époques sont représentés. Mentionnons notamment le Quatuor pour la fin des temps d’Olivier Messiaen, Così fan Tutte et Don Juan de Mozart, des sonates et partitas de Bach, Tosca de Puccini, La Damnation de Faust de Berlioz, Elektra de Richard Strauss et Intolleranza 1960 de Luigi Nono. On retrouve des prestations d’un grand nombre de sommités, comme l’Orchestre Philharmonique de Vienne, le Berliner Philharmoniker et plusieurs autres orchestres, ainsi que Jordi Savall et le Concert des Nations, l’Arpeggiata, Renaud Capuçon, Daniel Barenboïm ou encore Cecilia Bartoli…
"Il trionfo del Tempo e del Disinganno"
Parmi cette riche programmation, on retrouve également Il trionfo del Tempo e del Disinganno, "Le Triomphe du Temps et de la Désillusion", un oratorio italien de Haendel composé en 1707 à Rome alors qu’il n’avait que 22 ans, sur un livret du cardinal Panfili. Un oratorio est un drame lyrique dépourvu de mise en scène et de costume : le choix de ce genre s’explique par l’interdiction de jouer des opéras en public à cette époque à Rome. Mais dans le cadre du Festival de Salzburg, l’œuvre a fait l’objet d’une mise en scène théâtrale, ce qui a l’avantage d’atténuer un peu le caractère moralisateur de la pièce, dont le thème est le tiraillement de la Beauté entre le Plaisir (l’idée de profiter de la vie), d’une part, et le Temps et la Désillusion (il Tempo e il Disinganno) d'autre part, qui rappellent que ce plaisir n’est que provisoire.
À l’affiche de cette production, on retrouve la cantatrice mezzo-soprano italienne Cecilia Bartoli, dans le rôle allégorique du Plaisir (Il Piacere), dans le cadre duquel elle interprète notamment l’air célèbre de "Lascia la Spina". "Lascia la Spina, cogli la rosa" signifie "Laisse l’épine, cueille la rose", où on trouve un écho de l’injonction épicurienne de Horace, "Carpe diem", "Cueille le jour", ne te soucie pas du lendemain. La Beauté (La Bellezza) est interprétée par la soprano suisse Regula Mühlemann, le Temps (Il Tempo) par le ténor anglais Charles Workman et la Désillusion (Il Disinganno), par le contre-ténor américain Lawrence Zazzo.
Ces quatre acteurs lyriques sont accompagnés sur instruments d’époque par l’orchestre de Cécilia Bartoli, les Musiciens du Prince-Monaco, dirigé par Gianluca Capuano. La mise en scène est du Canadien Robert Carsen, qui propose une vision très contemporaine de la pièce : on y voit notamment un car de luxe transportant 14 jeunes vers un concours de beauté qui sera remporté – sans surprise – par la Beauté, qui fait alors la couverture du magazine de mode "Vogue". Une façon de souligner que la thématique du refus du vieillissement a, peut-être plus que jamais, une forte résonance dans le monde d’aujourd’hui. La production n’en est pas à ses débuts, puisqu’elle a déjà été inaugurée au Festival de Pentecôte 2021, un petit festival salzbourgeois printanier, dirigé par Cecilia Bartoli, qui gravite autour du Festival de Salzbourg.