Si je vous dis "train de nuit", je suis sûr que cela éveille en vous de la nostalgie. Pendant des décennies, le train de nuit a été un moyen de transport privilégié des Belges pour partir en vacances depuis la gare de Schaerbeek ou celle de Bressoux, près de Liège.
Un moyen de transport du passé ?
Mais voilà, en Belgique, il n’y a plus de ligne directe de train de nuit depuis une quinzaine d’années. Jugées peu rentables, pas assez fréquentées, beaucoup de lignes en Europe ont été progressivement supprimées. Les vols low cost ont placé l’avion à l’avant-scène des solutions de transport faciles et peu chères.
Les trains de nuit : la renaissance ?
Aujourd’hui pourtant, en Europe, le train de nuit qui était envoyé sur une voie de garage est doucement remis sur les rails sous l’impulsion d’un pays : l’Autriche.
Il y a deux ans, les chemins de fer autrichiens ont fait le pari de relancer des lignes de train de nuit que d’autres voyaient comme un gouffre financier.
Le pari de la compagnie autrichienne OBB
En 2016, la compagnie allemande Deutsche Bahn (DB) a décidé, comme d’autres, de tourner le dos aux trains de nuit. L’Autriche a alors racheté une quinzaine de trains allemands pour les exploiter elle-même, en relançant des lignes qui avaient été abandonnées. Investissement à l’époque : 40 millions d’euros. Un vrai pari sur l’avenir pour la société autrichienne publique de chemin de fer OBB.
"C’était une opportunité pour nous"
"Il y a deux ans, quand les chemins de fers allemands ont décidé de ne pas continuer à assurer leur service de train de nuit, cela a été une très grande opportunité pour les chemins de fers autrichiens de rejoindre ce marché et de lancer de nouvelles lignes, explique Bernhard Rieder, responsable communication de la société autrichienne publique de chemin de fer OBB. Il y a deux ans, nous avons augmenté notre réseau de 50 % et nous offrons maintenant 17 lignes directes de train de nuit à travers l’Europe."
"1 millions 400.000 passagers par an"
La compagnie autrichienne affirme être aujourd'hui le premier opérateur de train de nuit en Europe. "Certaines lignes ne touchent même pas le territoire autrichien, précise Bernhard Rieder. Par exemple, nous exploitons la ligne qui démarre de Hambourg (Allemagne) et qui rejoint Berlin (Allemagne) et Zurich (Suisse). Mais nous sommes heureux d’avoir franchi ce pas et que nos lignes rencontrent le succès."
La société ne donne pas de chiffre, mais elle assure que ces lignes sont rentables avec un taux de remplissage de 65%. Les trains de nuit exploités par l’Autriche ont transporté 1,4 million de passagers par an depuis fin 2016.
Pourquoi les voyageurs se tournent à nouveau vers le train de nuit ?
Puisqu’il n’est pas possible de prendre un train de nuit direct depuis la Belgique, nous avons embarqué à bord du train en direction de Vienne (Autriche) depuis la gare de Cologne, une gare allemande proche de la frontière belge. Nous avons voulu rencontrer ceux qui ont choisi de faire ce trajet en train plutôt qu’en avion, en bus ou en voiture.
L’impact sur le climat : un argument clé
Premier argument : l’impact du déplacement sur le climat. Beaucoup de passagers y ont pensé au moment de réserver leur billet.
"Il y a une grande différence. Je ne sais pas la chiffrer exactement mais je suis sûr qu’il n’y a même pas de comparaison. Prendre le train est bien meilleur pour l’environnement", nous lance Marianne, une étudiante autrichienne qui rentre chez elle après de courtes vacances à Düsseldorf.
"Le même trajet en avion a trois fois plus d’impact sur le climat"
Nous avons voulu chiffrer précisément cette différence. Nous avons donc rencontré Mathieu Cribellier, Ingénieur en Environnement et directeur de projets chez CO2logic, une plateforme spécialisée dans le calcul des émissions de CO2.
"On arrive rapidement à la conclusion que l'avion est plus impactant que le train, trois fois plus impactant en fait, nous confie-t-il.
Il précise que, si, avec l'avion, "c'est assez simple" à mesurer puisque l'on brûle du kérosène, on ne peut mesurer l'impact du train qu'en kWh d'électricité consommée. "Cela dépend évidemment du pays dans lequel on se trouve et de la manière dont l'électricité est produite. En Allemagne, il y a un petit peu de CO2, parce qu'il y a des centrales thermiques au charbon, mais, quoi qu'il en soit, on est sûr que l'avion est plus impactant."
Le temps de trajet est relatif
Si d’un point de vue climat le train gagne haut la main, au niveau du temps de voyage, l’avion arrive en tête sur ce type de distance. Et cela même en comptant toutes les étapes pour se rendre de centre-ville à centre-ville (taxi pour l’aéroport, enregistrement des bagages, contrôles de sécurité, processus d’embarquement, récupération des bagages).
Pour notre trajet Cologne-Vienne, nous avons mis 11 heures en train de nuit (embarquement à 21h21 et arrivée à 8h20) et 5h30 en avion (départ du centre-ville de Vienne à 6h30 et arrivée au centre de Cologne à midi)
Le moyen de transport doit être pratique et confortable
Pour être une alternative crédible, le train ne doit pas seulement être moins polluant, mais il aussi doit être pratique, confortable et concurrentiel au niveau du prix. Si le train est une ligne directe par exemple, le facteur temps est moins contraignant.
"La clé, c’est développer les lignes de train de nuit sans interruption, explique Aniko, une passagère rencontrée dans le train de nuit. Vous montez dans le train dans une ville, vous vous réveillez dans une autre ville et vous ne devez-vous soucier de rien. Vous pouvez juste dormir et vous relaxer sans avoir peur de voir votre train arriver en retard et louper votre connexion." Si elle avait dû changer de train, elle aurait peut-être opté pour l’avion.
Un prix attractif sinon rien
Pour Ilene, musicienne néerlandaise, qui voyage toujours avec son grand violoncelle, l’argument numéro un en faveur du train, c’est le prix. "J’ai regardé pour prendre l’avion, nous dit-elle. Le premier vol était à 5 heures du matin pour un prix 4 fois supérieur à ce train de nuit. Et je vais arriver plus tôt à Vienne que si j’avais pris cet avion. Donc c’est une raison très pratique. Et puis je voyage avec mon instrument de musique et dans l’avion je dois toujours réserver deux sièges."
Ilene a opté pour un siège et non pour une couchette ou une chambre cabine. Prix de base : 29 euros l’aller simple bagages compris. Un coût qui, pour elle, est de nature à concurrencer l’avion et le bus sur ce trajet.
Le train de nuit, une "magnifique expérience" ou un "horrible souvenir"
C’est dans l’avion, que nous rencontrons ceux qui ont tourné la page du train de nuit il y a plusieurs années déjà. Corinna nous explique son expérience : "Je ne prendrai plus jamais le train de nuit, car c’était un horrible voyage. Nous l’avons pris il y quelques années de Sarrebruck à Paris. C’était bruyant et très inconfortable. Impossible de dormir dans le train. Donc je préfère l’avion".
Sur le même vol, Reinhard ouvre l’œil. Nous en profitons pour l’aborder. "Je voyage toutes les semaines et je dors dans les avions, avoue ce développeur de jeux vidéo qui prend systématiquement l’avion pour ses déplacements internationaux. Dans le train de nuit, vous devez toujours surveiller vos affaires, vous ne pouvez jamais vraiment dormir. Je n’ai pas pris le train de nuit depuis au moins dix ans."
Un avis que ne partage pas du tout Jimi. Lui assure qu’il passe d’excellentes nuits dans le train. "Non seulement c'est écologique, mais c'est aussi une expérience, et c'est aussi la façon la plus naturelle de voyager", estime-t-il.
Écoutez son témoignage complet ci-dessous :
Après l’Autriche, la France…
L’Autriche a relancé des lignes en 2016. Et ce n'est pas fini. "Nous avons commandé 13 nouveaux trains de nuit que nous recevrons en 2021. A ce moment-là, nous penserons à encore étendre notre réseau" explique la société OBB. Preuve que le pays mise sur le potentiel du train de nuit.
La France, elle, vient de décider de ne plus supprimer ses deux dernières lignes de trains de nuit. Le Paris-Briançon (dans les Hautes-Alpes) et le Paris-Latour-de-Carol (dans les Pyrénées-Orientales) seront conservés et les voitures seront même rénovées pour un budget de 30 millions d’euros.
En Italie, quelques lignes de trains de nuit existent encore, tout comme en Espagne et dans le nord de l’Europe. Au Royaume-Uni, une ligne est encore opérationnelle pour rejoindre l’Ecosse depuis Londres. Il est également possible de se rendre en Russie depuis Paris en train de nuit.