"Le tourisme, c'est fini": après la crise sanitaire, la survie pour les artisans tunisiens

Alors qu'ils sont jusqu'à 15 en temps normal, les souffleurs ne sont aujourd'hui plus que 3 dans cet atelier.

© Maurine Mercier

La Tunisie compte parmi les pays qui ont le mieux réussi à faire barrage au coronavirus, grâce notamment à des mesures sanitaires drastiques prises très vite, avec pour résultat seulement 50 morts au total. Paradoxalement, les touristes ne se bousculeront pas sur les plages tunisiennes cet été, par crainte de voyager. Conséquence : après avoir réussi à faire face à la crise sanitaire, le pays risque une catastrophe économique bien plus importante.

Saison touristique mort née

"Cette année, il n’y aura pas de touristes", "le tourisme, c’est fini". Les acteurs du monde touristique sont de plus en plus nombreux à prononcer des phrases qu’ils s’étaient interdit de prononcer depuis 2011, malgré les nombreuses crises qu’a dû traverser ce secteur économique, poumon de l’économie tunisienne représentant 15% de son PIB.


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Cette crise est pire que celle vécue durant la révolution ou après les attentats de 2015. Les touristes avaient déserté le pays. Ils sont encore moins nombreux aujourd’hui. Et cette paralysie touche de plein fouet tous les secteurs liés au tourisme. Les artisans, qui représentent 10% de la population active, sont en péril.

Aucun filet

Les touristes ne viennent pas et les Tunisiens n’ont plus les moyens d’acheter du verre soufflé.
Les touristes ne viennent pas et les Tunisiens n’ont plus les moyens d’acheter du verre soufflé. © Maurine Mercier

En temps normal, Sadika – première femme souffleuse de verre du pays – emploie dans son atelier plus d’une trentaine de personnes. Autour des fours qui brûlent à 1200 degrés tournoient jusqu’à 15 souffleurs. Aujourd’hui, ils ne sont plus que trois. Et dans quelques jours, il faudra même éteindre les fours.

Sans touriste, et avec des Tunisiens qui n’ont plus les moyens d’acheter du verre soufflé, Sadika n’a plus de liquidité pour payer les artisans qui travaillent à ses côtés. "Jamais nous n’avons vécu une telle crise. On a subi de grandes crises après la révolution, ou lorsqu’il y a eu des attentats intégristes, c’était vraiment des coups terribles. Mais cette fois c’est une crise absolue."

Tout de suite, il a fallu réagir : "J’ai eu l’idée de dire aux artisans qui le pouvaient de rejoindre leur famille au village. Pour ceux qui ont de la terre, celle-ci les aidera à survivre".

"Peur de se faire jeter à la rue"

Taheur, 30 ans, 2 enfants, amaigri déjà par les mois de confinement sans travail témoigne : "Notre vie a changé avec ce virus. Tout s’est arrêté. Je n’ai pas de terre et suis condamné à rester en ville. Mais je n’arrive plus à payer mon loyer. Nous avons peur ma femme, mes enfants et moi de nous faire jeter à la rue. Le propriétaire nous a déjà mis dehors en mars. Nous avons passé une nuit dehors, avant de trouver enfin de quoi le payer".

Autre souffleur, même galère. Le bébé de Zouhair est né la veille. La joie d’être père, ternie par le stress. "Je suis aussi heureux qu’angoissé, confie cet homme. Hier, je n’avais pas l’argent pour sortir ma femme de l’hôpital. Je leur ai donné ce que j’avais, mais j’ai dû m’endetter pour le reste."

Sadika n’a cessé depuis l’apparition du Covid de tenter de trouver des solutions pour survivre à cette crise "Nous avons transformé une partie de l’atelier en café. Si les Tunisiens ne peuvent plus acheter de verre soufflé, ils pourront continuer à s’offrir des cafés." Dégager des petites sommes pour sauver quelques salaires.

Pas assez pour se nourrir

Les frontières ont rouvert le 27 juin. La survie des artisans est entre les mains des hypothétiques touristes. "Il y a des jours où je n’arrive plus à acheter de quoi manger", lâche Zouhair, un sourire pour cacher son anxiété.

Ces corps de métiers n’avaient jusqu’ici jamais eu à prononcer cette phrase. Des mots qui annoncent la catastrophe humanitaire à venir. L’État tunisien n’accorde aucune protection aux artisans.

"Le secteur est totalement abandonné", témoigne Sadika avant d’ajouter : "Voir les gens qu’on a formés alors qu’ils avaient 15 ans et avec lesquels on travaille depuis 20 ans s’écrouler, c’est l’enfer."

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