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"Le temps des décideurs est précieux", les jets privés sont-ils vraiment utilisés à des fins professionnelles comme l'affirme l'ex-ministre français des Transports Djebbari ?

Jean-Baptiste Djebbari, ex-ministre français des Transports, au centre d'une polémique sur l'utilisation des jets privés.

© AFP / RTBF

Par Ibrahim Molough

Alors qu’il était interrogé lors de l’émission "Complément d’Enquête" diffusée le 9 mars, Jean-Baptiste Djebbari, ex-ministre français des Transports avait déclaré que "le temps des décideurs est précieux", faisant référence à leur usage des jets privés dans le cadre professionnel.

Pour Jean-Baptiste Djebbari, "il y a un débat politique qu’on n’arrive pas à avoir en France, c’est le coût du temps". "Le temps, pour certains, notamment pour des décideurs, est précieux. Ce sont souvent les entrepreneurs, les entrepreneuses qui vont voir leur usine, qui bossent tout le temps, dans l’avion et en dehors", a-t-il déclaré. Pour finir, l’ancien ministre avait affirmé que "les apôtres de la lenteur méconnaissent absolument le fonctionnement du monde actuel !".

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Cette prise de parole n’a pas manqué de faire réagir certains écologistes sur les réseaux sociaux qui ont reproché à Jean-Baptiste Djebbari son "mépris de classe" et sa déconnexion face aux réalités du changement climatique.

"En quelques mots, l’idéologie libérale résumée : les plus riches ont un temps plus précieux que les autres. À ce titre ils peuvent et doivent aller plus vite. Qu’importe qu’ils polluent, provoquent des accidents, déciment le climat. C’est précis. Et c’est tout ce qu’on ne veut plus !", a déclaré sur Twitter David Belliard, adjoint écologiste à la maire de Paris.

Aurélien Taché, député EELV, a quant à lui répondu au ministre que "personne ne méconnaît le fonctionnement du monde actuel" mais selon lui, "certains ne s’y résignent pas et aspirent à le transformer".

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En réalité, ce qui a indigné une partie des internautes est la priorité donnée par l’ex-ministre à la rapidité des temps de trajet des "décideurs", alors que le changement climatique et ses effets n’ont jamais autant compromis les conditions de vie sur Terre. Pour rappel, un trajet en jet pollue entre cinq et quatorze fois plus qu’en avion de ligne, qui émet lui-même environ quarante fois plus qu’un train.

Mais la justification que donne l’ancien ministre à l’utilisation des jets privés tient-elle réellement ? Les utilisateurs de jets ont-ils vraiment besoin de ce mode de transport ultrapolluant dans le cadre du business ?

Business, vraiment ?

Selon un rapport de l’ONG Transport & Environment, "l’analyse des données sur le trafic des jets privés fournies par l’European Business Aviation Association (EBAA) montre qu’une part importante des vols privés est effectuée à des fins privées (loisirs et autres) plutôt qu’à des fins professionnelles".

L’ONG en veut pour preuve le pic du trafic aérien privé pendant les mois d’été et que les aéroports situés dans des zones ensoleillées, comme dans le sud de la France, réalisent la majorité de leurs recettes durant la période estivale.

Cette tendance semble se confirmer comme l’indique un article de nos confrères du Monde : "Depuis début 2022, un vol sur seize a eu Nice pour destination et la moitié des dix destinations les plus prisées se trouvent en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Figari (Corse), Ibiza et Palma de Majorque se classent respectivement 13e, 17e et 18e, devant les capitales européennes Bruxelles (23e), Amsterdam (24e) ou Rome (32e)".

En Europe, les départs de jets privés augmentent en juillet par rapport à janvier
En Europe, les départs de jets privés augmentent en juillet par rapport à janvier © Transport & Environment

Dans le même temps, une récente enquête du guide d’achat pour services d’aviation privée, Private Jet Card Comparison, décrit les raisons qui poussent ses abonnés à utiliser des vols privés. La majorité (54%) des personnes interrogées ont déclaré qu’elles utilisaient l’aviation privée uniquement à des fins personnelles/de loisirs. Plus de quatre personnes sur deux (43%) l’utilisent pour combiner des vols personnels/de loisirs et des besoins professionnels. Seules 3% des personnes interrogées ont déclaré utiliser les vols privés exclusivement pour les affaires.

Dès lors, si la plupart des vols sont réalisés dans un cadre personnel, il devient difficile de ne pas souligner les alternatives, bien moins polluantes, qui peuvent exister. Et tout cela, sans grande différence de temps.

Par exemple, selon le rapport, en incluant toutes les étapes du voyage, un trajet Genève-Nice peut-être réalisé en avion commercial avec seulement 2h20 de temps supplémentaire par rapport à un jet privé. Madrid-Barcelone ? Comptez 1h31 de plus en train. Pour un vol Zurich-Nice, il est question de 2h16 supplémentaires en avion de ligne. En ce qui concerne les vols en jet privé en dehors de l’UE, 62% d’entre eux peuvent être réalisés via des alternatives commerciales

Ainsi, ces chiffres relativisent la nécessité du gain de temps permis par les vols en jet, quand il semblerait que celui-ci n’est pas nécessairement de la plus haute importance, alors que la plupart des vols se font à titre privé. "Cela ne peut donc pas toujours être utilisé comme excuse pour l’impact disproportionné sur le climat qui en résulte", peut-on lire dans le rapport.

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