Le mug

Le street art est-il toujours un art dissident ?

© CFC Editions

De la rue à la galerie… le street art est-il toujours un art dissident ? C’est la question que pose Éric Van Essche, qui a dirigé l’ouvrage collectif (R)évolutions du street art, paru aux éditions CFC.

Graffitis, tags, stickers, mosaïques, installations plus ou moins éphémères, le street art, l’art urbain, autrefois clandestin et décrié, est devenu un must quand il est commandé ou subventionné. Mais est-il alors vraiment encore du street art ?

Ce livre est abondamment illustré de photos, révélatrices de l’évolution du street art, en particulier à Bruxelles, où le paysage a énormément évolué, surtout dans les dix ou vingt dernières années.

Bruxelles change, s’ouvre et compte désormais sur la carte du street art. La ville est visitée par des artistes du monde entier et contient une communauté d’artistes qui viennent eux aussi du monde entier, dans une grande diversité et profusion d’interventions.

Mais qu'entend-on par 'street art' ?

Le street art est un terme un peu fourre-tout dans lequel on met aujourd’hui toutes les pratiques qui sont spontanées, affranchies de toute règle ou de toute loi, explique Éric Van Essche. Il englobe des pratiques extrêmement diverses, qui vont de la peinture à l’affichage, en passant même par des oeuvres en relief.

"C’est un courant très visible aujourd’hui dans nos rues, qui a un héritage souvent associé aux graffitis ou aux tags. Ceux-ci participent d'un mouvement d’art spontané dans l’espace public, beaucoup plus codifié, réservé à des communautés qui travaillent plus dans l’entre-soi. Tandis que le street art ouvre le jeu à toute velléité d’intervention artistique dans l’espace urbain."

Dès le moment où vous intervenez dans l’espace urbain sans y être invité, c’est déjà un geste fort, un geste de contre-culture, de contre-proposition, vous vous situez à la marge. Et le street art a effectivement un héritage de mouvements contestataires, qui sont même apparus dans des années de contestation, les années 60, et en particulier mai 68, où le graffiti est d’abord un slogan politique.

"Mais dans le street art, cet héritage est très adouci. Il y a aussi une volonté simplement d'exister artistiquement dans la vie ou d'ajouter une couche de poésie à l’espace urbain. Il y a de tout. Il y a un engagement, voire une contestation du système , mais il y a aussi une participation au vivre ensemble d’un point de vue artistique et poétique dans la ville."

Fin de clandestinité

On observe aujourd’hui une collaboration de plus en plus étroite entre les artistes et les autorités publiques. Depuis 2012, un parcours street art existe d'ailleurs à Bruxelles. Des commandes publiques sont passées à des artistes de street art.

A l’origine plutôt clandestin, le street art est donc devenu plus 'fréquentable'Certains responsables politiques ont perçu cet engouement du public et ont décidé de favoriser la rencontre de leurs concitoyens avec cette forme d’art et de donner à cette émergence artistique les moyens de progresser et aux artistes d'exister, de gagner en visibilité et en moyens.

"Il y a certainement aussi, tant sur le plan politique que sur le plan économique, des récupérations. Le street art devient un label. Un label de gentrification, d’attractivité touristique, de pacification, de normalisation, de domestication, de forces contraires… C’est évident, mais ce n’est pas que ça", souligne Éric Van Essche.

Il y aura cependant toujours, à côté du parcours street art officiel, des parcours à la marge, des œuvres qui restent clandestines, de la part d’auteurs qui veulent rester anonymes. Bruxelles est caractérisée par cette agrégation de situations et cette cohabitation, les gens sont plutôt bienveillants. Certains artistes ont une double casquette : ils sont vandales la nuit et vendus le jour. A la fois, ils répondent à des commandes publiques et continuent à avoir une activité clandestine.

"Trop souvent, on radicalise les positions avec d’un côté les vandales, hors cadre, et les vendus qui accepteraient les compromissions avec l’autorité. Les choses doivent être nuancées, c'est beaucoup plus complexe que cela."

Le street art au musée ?

Le street art ne rentre pas facilement au musée. "C’est forcément un registre d’expression qui vaut dehors, in situ. Il est contextuel, adapté au contexte urbain dans lequel il s’inscrit. Les street artists ont d’ailleurs un sens de l’occupation de l’espace remarquable."

Il y a aussi un contexte de contenu : l’oeuvre réagit souvent à une situation, fait débat dans l’espace public, et c’est en cela qu’elle est intéressante. Si vous la transposez dans le musée, elle perd ce double contexte : sa forme n’est plus en résonance avec son contexte urbanistique et le contenu est perdu, à moins d’une longue explication.

"Il faut éviter aussi de muséifier les choses. C’est un art très vivant. Je pense qu’il y a un bon équilibre à trouver, et qui se trouvera peu à peu, entre la nécessité d’archiver, de conserver, pour les générations futures, ces formes d’expression remarquables, et en même temps ne pas les étouffer."


Éric Van Essche est docteur en philosophie et lettres de l’ULB. Il enseigne à la Faculté d’architecture et à la Faculté de philosophie et sciences sociales de l’ULB, et à l’École nationale supérieure des arts visuels (ENSAV) de La Cambre. (R)évolutions, du street art est publié aux éditions CFC.


 

Eric Van Essche évoque aussi le marché de l’art, le cas Banksy ou le musée MIMA qui expose le street art, écoutez ici

>> A découvrir : Le Millennium Iconoclast Museum of Art, ou MIMA, un musée d’art urbain et de la culture 2.0, à Molenbeek-Saint-Jean, Bruxelles.

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