Le Scan

Le Scan : quelle est la part du marché saoudien dans les ventes d'armes de la FN Herstal ?

© Belga

Un décret de la Région wallonne stipule qu'il est interdit de vendre des armes à des pays qui pourraient les utiliser pour bafouer les droits de l'homme. Pourtant, parmi les clients de la FN, cette entreprise d'armement détenue à 100% par la Région wallonne, on a souvent retrouvé... l'Arabie Saoudite. Un pays qui n'est pas vraiment un modèle en matière de respect des droits de l'homme.

Concilier vente d'armes et respect des droits de l'homme : mission impossible ?

Les atteintes à la liberté d'expression et le recours à la peine de mort sont fréquemment reprochés à l'Arabie Saoudite  lorsqu'il s'agit de respect des droits de l'homme.
Les atteintes à la liberté d'expression et le recours à la peine de mort sont fréquemment reprochés à l'Arabie Saoudite  lorsqu'il s'agit de respect des droits de l'homme.

Le régime saoudien est en effet régulièrement pointé du doigt pour ses nombreuses atteintes à la liberté d'expression, pour son recours fréquent à la peine de mort, mais aussi pour la guerre qu'il mène au Yémen depuis 2015, où l'on a constaté de nombreuses violations des droits de l'homme. Mais quelle place occupe exactement cette dictature dans la clientèle globale de la FN? Et depuis combien de temps? Autant de questions que nous voulions poser à cette entreprise d'armement. Mais elle n'a pas souhaité répondre à nos questions. On nous a simplement fait savoir hors interview que "La FN Herstal n’a pas eu de nouvelle activité en Arabie saoudite en 2021 et 2022".

Certains députés wallons bien informés ont cependant accepté de nous éclairer sur les liens qui existent entre la Wallonie et l'Arabie saoudite sur le marché de l'armement.

L'un d'entre eux, Nicolas Tzanetatos, du MR, a été président de la sous-commission de contrôle des licences d'armes du Parlement wallon entre 2014 et 2019. D'après lui, les contrats déjà passés entre des entreprises d'armement wallonnes et l'Arabie Saoudite sont loin d'être négligeables.

Nicolas Tzanetatos (MR). Président de la sous-commission de contrôle des licences d’armes du parlement wallon (2014 – 2019).

"Je n'ai plus les chiffres en tête, mais je sais qu'il y a eu des exportations directes, et également des exportations par le biais d'un autre pays, notamment le marché assez important d'un peu plus de 3 milliards vers le Canada qui concernait des tourelles de chars qui étaient destinées, une fois montées, à l'Arabie saoudite."

 

Toujours d'après lui, le respect du décret wallon sur les exportations d'armes est mis à mal : "Je ne peux pas dire qu'il n'a pas été respecté, et chacun aura sa lecture à ce sujet. Moi, j'ai toujours dit que quand je vois les critères du décret wallon, l'Arabie Saoudite en enfreint une série…"

Hélène Ryckmans quant à elle est encore actuellement, et depuis 2019, membre Ecolo de la sous-commission de contrôles des licences d'armes du Parlement wallon. Elle met en doute l'argument habituel de l'usage déclaré de ces armes par l'Arabie Saoudite, et qui les rendrait conformes au décret wallon :

Hélène Ryckmans (Ecolo), membre de la sous-commission de contrôle des licences d’armes du Parlement wallon (2019 - 2024)

"A notre connaissance, il y a encore des exportations d'armes. Elles sont, d'après les explications qu'on nous a données en sous-commission, conformes au décret, c'est-à-dire qu'elles sont à destination de la Garde nationale qui n'est pas concernée par un des éléments du décret qui est le risque d'utilisation des armes sur un conflit extérieur. Mais malheureusement, on sait que dans la pratique, les choses se passent différemment sur place."

Le problème, en effet, c'est que des armes de la FN vendues officiellement à la garde royale saoudienne ont déjà été retrouvées au Yémen par le passé, ce qui démontre que l'armée saoudienne y a bien mené la guerre avec des armes wallonnes alors que le décret wallon l'interdit formellement. 

Des armes de la FN identifiées formellement sur des images de conflit au Yémen.
Des armes de la FN identifiées formellement sur des images de conflit au Yémen. © Tous droits réservés
Des armes de la FN identifiées formellement sur des images de conflit au Yémen.
Des armes de la FN identifiées formellement sur des images de conflit au Yémen. © Tous droits réservés

L'économie en première ligne

En Région wallonne, c'est le ministre-président qui prend la décision d'octroyer ou non les licences d'exportation d'armes de la FN. Nous avons donc sollicité Elio Di Rupo pour qu'il nous explique comment son gouvernement se situe dans ce dossier délicat lié à l'Arabie saoudite. Mais il n'a pas souhaité répondre à nos questions. En revanche, le journal d'investigation Médor a récemment découvert une note confidentielle, datant de décembre 2019, dans laquelle le ministre-président explique plus clairement ses motivations à exporter des armes wallonnes vers l'Arabie saoudite. On peut notamment y lire ceci :

"Le chiffre d'affaire de la FN Herstal pour le marché saoudien est estimé selon les années de 20% à 50% du chiffre d'affaires total de la société."
"Le chiffre d'affaire de la FN Herstal pour le marché saoudien est estimé selon les années de 20% à 50% du chiffre d'affaires total de la société." © RTBF

Un refus de licence risquerait donc de mettre en péril l'équilibre économique atteint et représenterait un risque pour l'emploi en Wallonie.

C'est donc l'argument économique qui semble primordial dans ce dossier. Mais le malaise est palpable lorsqu'il s'agit de l'expliquer. 

Maxime Hardy, PS, est également membre actuel de cette sous-commission du Parlement wallon. Pour lui, sans aucun doute, exporter le savoir-faire wallon en matière de fabrication d'armes est le plus important :

Maxime Hardy (PS), membre de la sous-commission de contrôle des licences d’armes du parlement wallon (2019 - 2024).

"On est bien conscient que ces exportations sont sensibles et qu'on ne parle pas d'exporter des pralines.", avance-t-il. "Nous avons un savoir-faire wallon historique reconnu. Il faut le revendiquer et il faut pouvoir, au niveau mondial, faire en sorte que notre savoir-faire puisse, dans des secteurs porteurs et d'avenir et de prospérité, exister."

- Mais sans que ça nuise aux droits de l'homme ?

"Sans que ça nuise aux droits de l'homme. Effectivement."

Et c'est bien sur ce dernier point que réside toute la difficulté lorsqu'on est le seul et unique propriétaire d'une entreprise d'armement rentable, comme la FN.

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