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Le Scan : la taxe sur les vols de moins de 500 kilomètres est-elle efficace ?

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Par Marie-Laure Mathot, Guillaume Woelfle et Alexanne Verloove

Depuis le 1er avril 2022, une taxe de 10€ est appliquée pour un passager qui monte dans un vol de moins de 500 kilomètres, et qui n’est pas un vol de transit. Concrètement, cette taxe s’applique à sept destinations depuis l’aéroport de Bruxelles-Zaventem : Amsterdam, Paris, Londres, Hambourg, Zurich, Strasbourg, Birmingham et Francfort. Depuis les autres aéroports du pays comme Charleroi, aucun vol ne parcourt moins de 500 km.

Par ailleurs, la même loi prévoit que toutes les destinations se situant au-delà de 500 km qui sont dans l’Union Européenne, au Royaume-Uni et en Suisse sont taxées de 2 euros. Pour toutes les autres destinations, la taxe est portée à 4 euros, toujours, hors vols de transit.

Cette taxe décidée lors du conclave budgétaire, fin 2021, devait permettre de rapporter 30 millions d’euros à l’Etat en 2022 puis 40 millions les années suivantes.

Cette taxe a-t-elle eu un impact sur l’environnement ? Et a-t-elle atteint son objectif budgétaire ?

© Damien Hendrichs – RTBF

Certaines des destinations taxées à 10 euros sont directement accessibles en train depuis Bruxelles. Par exemple, Amsterdam, Londres ou Paris. Et c’est bien le but de la mesure. Quand elle a été annoncée il y a un an, voici ce que Georges Gilkinet, ministre fédéral de la mobilité déclarait à la Chambre :

Il y a l’organisation du début d’un 'shaft'. Là où il est possible de prendre un train plutôt qu’un avion, nous encourageons le fait de prendre le train. Et effectivement, comme cela existe dans des États voisins comme les Pays-Bas ou la France, il y aura une contribution à l’embarquement pour des vols de moins de 500 km. L’objectif budgétaire est de 30 millions d’euros.

Georges Gilkinet, ministre fédéral de la Mobilité à la Chambre, 13 octobre 2021

Deux objectifs donc : le premier est environnemental en réduisant l’empreinte carbone des déplacements en favorisant le train plutôt que l’avion.

Le deuxième est budgétaire : faire entrer de l’argent dans les caisses de l’État : 30 millions la première année et 40 millions d’euros chaque année suivante.

Le moyen de transport le plus efficace

Pour vérifier ces deux objectifs, direction l’aéroport Zaventem. Ce matin-là, un vol vers Amsterdam est prévu à 10h25. Et deux étages plus bas, un train est prévu vers la même destination quelques minutes plus tard, à 10h41. En comptant les temps d’embarcation et le passage des contrôles de sécurité, nous pouvons comparer ces deux horaires comme ceci : 2h25 pour l’avion jusqu’à l’aéroport d’Amsterdam et 2h33 pour arriver dans le centre-ville.

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Le temps, c’est bien un des facteurs pris en compte par les voyageurs rencontrés sur les quais du train et prêts à embarquer vers les Pays-Bas.

"Pour choisir mon mode de transport, le plus important est que ce soit pratique", nous dit un Néerlandais, Leon Den Boer accompagné de ses deux ados. "Si je dois aller à Paris, il n’y a pas de raison que je prenne l’avion car c’est plus facile d’y aller en train. Si je prenais l’avion, j’aurais besoin d’aller jusqu’à l’aéroport de Schipol qui, depuis mon domicile, prend une heure. Et puis, je devrais encore attendre une heure et puis une heure de vol, donc trois heures de route. Depuis la gare des trains proche de chez moi jusqu’à Paris, j’en ai aussi pour trois heures." Avec moins de changements.

L’aspect environnemental ? Non, désolée, je n’y fais absolument pas attention

Pour une autre voyageuse rencontrée sur le quai, Mieke Leynse, c’est la solution la moins chère et également la plus pratique qui s’impose. "Ici, la combinaison train avion était meilleur marché. De manière générale, je veux simplement la solution la plus simple pour joindre un point A à un point B. Et honnêtement, je ne pense absolument pas à l’aspect environnemental."

C’est pourtant bien le train que cette voyageuse empreinte. La taxe permettrait donc d’encourager à prendre ce moyen de transport plus écologique que l’avion ? Le nombre de réservations via la SNCB montre en tout cas que le train revient en force depuis la sortie du Covid et la reprise des trajets internationaux.

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Mais la SNCB n’impute pas forcément cette évolution à la mise en place de la taxe.

Avec l’impact de la crise Covid encore présent jusqu’à mars/avril 2022, la période correspondant à l’implémentation de cette taxe, il est quasi impossible de distinguer l’éventuel impact de cette taxe de l’impact de la sortie de crise Covid avec la suppression
des restrictions 
de voyage.

Marianne Hiernaux, porte-parole de la SNCB

Tant l’aéroport de Zaventem que les compagnies ont refusé de nous donner les chiffres précis autour de ces vols, mais nous avons tout de même pu nous les procurer auprès de la communauté FlightRadar. Ils montrent une baisse, entre 2019 et aujourd’hui, de 35% du nombre moyen par jour de vols de -500 km. Cependant, la baisse est surtout due au Covid en 2020 puisque ce nombre moyen de vols par jour a été divisé par 10 (de 35 à 3). Aujourd’hui, depuis le 2e trimestre 2022, date d’entrée en vigueur de la taxe, ce nombre moyen de vols est très stable autour de 22/23 vols.

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Brussels Airlines et Brussels Airport ainsi que BATA, l’association de transport aérien belge, refusent toute interview face caméra. La taxe dérange. Elle empêche les compagnies aériennes d’investir dans des solutions d’avenir, réagissent-elles par e-mail.

Si elles ne communiquent pas sur le nombre de réservations, nous avons tout de même constaté que certaines lignes ne sont pas remises en service depuis la reprise post-covid. Bâle (Suisse), Strasbourg (France) et Stuttgart (Allemagne) ne font plus partie des destinations depuis Brussels Airport.

La compagnie KLM nous informe que le nombre de réservations sur un vol comme Bruxelles-Amsterdam n’a pas rattrapé le niveau de 2019 mais attribue cela davantage à la congestion de l’aéroport de Schiphol qu’à la taxe sur les billets d’avion vers cette destination.

Notons aussi, comme le disait le ministre de la Mobilité, Georges Gilkinet, que les Pays-Bas ont également mis en place une taxe sur les vols courte distance. Mais elle est quasiment trois fois plus élevée que la nôtre. Ainsi, depuis le 1er janvier 2023, décoller d’un aéroport néerlandais coûte 28,58 euros en plus, toutes destinations confondues. Pour les voyageurs néerlandais, mieux vaut donc décoller de Belgique où la taxe est moins chère

Deux autres informations communiquées par nos interlocuteurs rendent difficilement perceptible l’effet de cette taxe. D’une part, la majorité des passagers sur ces vols courts démarrant de Belgique sont en transit, et donc, ne payent pas la taxe. D’autre part, il s’agit pour beaucoup de voyages d’affaires pour lesquels 10€ ne changent pas grand-chose à la décision de prendre un avion ou un train.

Quelle est l’efficacité de cette taxe ?

Même avec les chiffres, difficile de faire le lien entre ceux-ci et la mise en place de la taxe dans un contexte de reprise après la crise sanitaire. Mais "quand bien même dix euros auraient fait la différence, ce qui n’est pas le cas mon sens, cela aurait eu un impact limité sur le climat", réagit Frédéric Dobruszkes, professeur et chercheur à l’ULB spécialisé en géographie des transports.

Les vols de moins de 500 km ne représentent pour la Belgique que 3% de l’impact climatique de l’aviation passagers

Frédéric Dobruszkes, professeur et chercheur à l’ULB spécialisé en géographie des transports

"Plus un avion est lourd et plus il vole loin et plus il consomme du carburant et plus il émet des gaz à effets de serre. Et donc, si vous regardez l’ensemble des vols au départ de la Belgique, les vols de plus de 4000 km, même s’ils sont peu nombreux, représentent à eux seuls 40% de la contribution de l’aviation passagers belges au changement climatique."

Agir là où ça ne sert pas à grand-chose

C’est donc là qu’il faudrait agir pour le chercheur. "Mais, c’est aussi là qu’il n’y a pas d’alternative puisqu’il n’y a pas de trains à grande vitesse ou autre. Donc, il y a sans doute un dilemme pour les autorités publiques qui peuvent agir là où ça ne sert pas à grand-chose et ne veulent pas ou ne peuvent pas agir là où il faudrait vraiment prendre des mesures."

Pour le ministre de la Mobilité, c’est au contraire un premier pas, "une graine qui est plantée pour ensuite avancer dans cette direction", réagit Georges Gilkinet tout en admettant que la mesure est perfectible. "C’est quelque chose qui se fera de manière progressive. On ne peut pas, après seulement un an, dire qu’on est au bout de l’objectif, que tout fonctionne et que tout est parfait."

20,5 millions sur les neuf premiers mois

Quant à l’objectif budgétaire : la taxe a rapporté 20,5 millions sur les neuf premiers mois, selon le SPF Finances. L’objectif de 30 millions d’euros sur les 12 mois de 2022 doit être rapporté à 22,5 millions sur les 9 mois (puisqu’elle a pris effet le 1er avril). L’objectif budgétaire a donc été quasiment atteint. De l’argent que le ministre affirme vouloir utiliser pour encourager les trajets en train, en instaurant par exemple une loi pour subventionner les trains de nuit notamment.

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