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Le Scan : financement des cultes, pourquoi l’Eglise catholique décroche-t-elle le pactole ?

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Par Céline Thérer avec Maurizio Sadutto

Chaque année, les pouvoirs publics belges financent les cultes à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros. Le montant, cette année, s’élève à plus de 281 millions. 6 cultes reconnus en bénéficient : catholique, protestant-évangélique, israélite, anglican, orthodoxe et islamique, auxquels il faut rajouter la laïcité organisée. Comment sont répartis les financements et en fonction de quels critères ? Le Scan fait le point.

Un poids historique

Depuis son origine, la Belgique a toujours financé les cultes. La Constitution belge spécifie en effet que l'État a l'obligation de subventionner les cultes et les organisations philosophiques. Au départ, quatre cultes sont reconnus en Belgique : catholique, israélite, anglican et protestant. En 1974, le culte islamique s’ajoute à cette liste, suivi du culte orthodoxe en 1985.

Dès sa création, la Belgique était majoritairement catholique. Le dernier recensement qui date de 1846, comptait plus de 99% de croyants. Ce qui fait que beaucoup d'églises ont été construites sur le territoire belge. 

 

Un culte de trop ?

Depuis 1981, les organisations non confessionnelles peuvent recevoir un financement des pouvoirs publics. Une avancée qui a été consacrée dans la Constitution belge en 1993. Et en 2002, la laïcité organisée rejoint officiellement les 6 cultes déjà reconnus. 

La laïcité organisée se retrouve aujourd'hui en deuxième position dans le financement des cultes. A l'époque, les défenseurs de la laïcité estimaient que s'ils ne pouvaient pas obtenir la fin du financement des cultes, ils demanderaient un financement pour pouvoir lutter à armes égales contre eux. Le but étant de rendre plus visible les Belges ne faisant partie d'aucune confession, comme les athées ou les agnostiques, défendre le principe de laïcité en Belgique et, ce faisant, promouvoir une vision plus humaniste du monde.

Jean-François Husson, maître de conférence à l'ULiège et coordinateur de l'ORACLE

Jean-François Husson, maître de conférence à l'ULiège et coordinateur de l'ORACLE (Observatoire des Relations Administratives entre les Cultes, la Laïcité organisée et l'Etat), ajoute que : "La laïcité voulait être présente dans l'espace public par toute une série de bâtiments, de délégués et de manifestations. Ce qui fait qu'on ne laisse pas cet espace public aux seules religions".

Benoit Van der Meerschen, secrétaire général du Centre d’Action Laïque, nous décrit l'utilisation du financement pour la laïcité organisée : "La laïcité est financée sur le même modèle que les cultes. D'une part, en frais de fonctionnement et principalement pour son personnel."

Un système juridique flou

Ce système n'est pas objectif, n'est pas transparent et il est discriminatoire pour les autres cultes

Pour bénéficier du financement, il faut que le culte soit reconnu et qu’il remplisse certaines conditions comme le fait d’avoir une utilité sociale, compter un certain nombre de fidèles pour faire reconnaître un de ses établissements , tels une synagogue ou une église, et disposer d’un organe de représentation.

On retrouve ces cinq critères assez vagues sur le site du Service public fédéral justice. Notamment concernant le nombre d’adeptes nécessaire, qui reste indéterminé.

Benoit Van der Meerschen, secrétaire général du Centre d’Action Laïque

Benoît Van der Meerschen trouve que “le système de la reconnaissance des cultes mérite d’être revu et d’être encadré juridiquement car aujourd’hui aucune loi n’existe, ce qui crée une insécurité juridique”. Stéphanie Wattier, professeure de droit constitutionnel à l’Unamur, appuie le fait que les critères sont issus d’une pratique administrative et que les cultes négocient avec le SPF Justice pour pouvoir être reconnus. Elle ajoute que : "La Cour européenne des droits de l'homme a dit que ces critères n'étaient pas assez transparents. On a donc un arrêt très clair de la Cour européenne qui dit que ce système n'est pas objectif, n'est pas transparent et il est discriminatoire pour les autres cultes qui voudraient bénéficier demain de ce financement".

En ce qui concerne le sujet de la reconnaissance des communautés locales, historiquement, l'Eglise catholique a bénéficié d'un avantage dans notre pays. Lorsqu'un village atteignait le nombre de 600 habitants, les autorités considéraient la reconnaissance d'une paroisse sur ce territoire. Les pouvoirs publics pouvaient se charger de la construction des églises et autres lieux de culte catholiques, mais la plupart du temps, ils étaient financés par des fidèles ou des bienfaiteurs. Cette large reconnaissance des paroisses, dont la dernière remonte aux années 1970, a contribué à l'expansion du culte catholique dans notre pays. 

Les communautés locales des autres confessions sont désormais reconnues sur la base du nombre de ses fidèles. Historiquement, ce chiffre varie entre 200 et 250. Une fois reconnues, elles sont financées comme les communautés catholiques.

En ce qui concerne la laïcité organisée, le système de financement est légèrement différent. Chaque établissement laïque est reconnu, sans que l'on compte les adhérents à la laïcité organisée. Il y en a un par province et ses financements sont légalement à la charge des provinces (et donc de la Région à Bruxelles). A cela, s'ajoutent des subsides facultatifs de nombreuses communes.

De grandes disparités

Cette année le budget total pour les cultes est de 281,7 millions d’euros. 112 millions viennent du fédéral, qui finance surtout les salaires des représentants des cultes, y compris leurs services d’aides à la personne et leurs pensions. Et les 170 millions restants proviennent des Régions et Communautés, et sont destinés à la réparation des édifices ainsi qu’au logement des responsables des cultes.

Comment calcule-t-on ces montants ? Jean-François Husson éclaircit cela : "C'est un calcul qui est fait a posteriori. On regarde ce que le fédéral donne, les provinces donnent, les communes donnent et ce que les régions donnent, on fait l'addition et le pourcentage est calculé a posteriori".

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Comme on le constate, les cultes ne sont en effet pas sur un même pied. Le culte catholique est donc largement en tête et se taille la part du lion.

Le système a cependant pu faire naître une pluralité de confessions reconnues en Belgique.

Aujourd'hui, on se retrouve avec plus de religions et cultes reconnus, mais cette répartition du financement a-t-elle fait son temps ? Est-ce que la réalité des croyances et des pratiques religieuses aujourd'hui correspond encore à ce partage ?

De moins en moins de catholiques dans les Églises

50% des Belges se déclarent encore catholiques, pourtant seulement 5% d’entre eux vont encore à la messe dominicale

Aujourd’hui, la pratique catholique a fortement baissé chez nous. Cela pourrait-il donc remettre en question la façon dont on finance les cultes en Belgique ?

Selon une enquête de l’Université catholique de Louvain-la-Neuve (Uclouvain et de la Katholieke Universiteit Leuven (KUL), “50% des Belges se déclarent encore catholiques, pourtant seulement 5% d’entre eux vont encore à la messe dominicale. Néanmoins on remarque un plus grand nombre de personnes pour les autres événements religieux tels que le baptême, la communion, le mariage ou l’enterrement. 25% des Belges réalisent une cérémonie religieuse catholique et un nouveau-né sur deux est baptisé”. 

Tommy Scholtès, porte-parole francophone de la Conférence des évêques de Belgique.

Tommy Scholtès, porte-parole francophone de la Conférence des évêques de Belgique, explique que “le culte catholique est moins financé car il y a de moins en moins de prêtres et certaines églises sont désacralisées. Il n’y a plus de registres de fréquentation. Le dernier recensement pour l’appartenance religieuse date de 1846. Par contre deux fois par an, les évêques demandent d’avoir des bilans sur la fréquentation des églises lors de la nuit de Noël par rapport à un dimanche ordinaire.”

Jean-François Husson explique que : "Le culte catholique reste financé car il y a un peu moins de 75% du financement qui va au culte catholique. Dans ces 75%, il faut être conscient qu'une partie vient des travaux à des bâtiments comme des cathédrales et des bâtiments classés, qu'on entretiendrait même s'ils n'étaient plus affectés au culte. On vient de 90% il y a quelques années, donc une tendance très nette à la baisse de ce côté-là"

Stéphanie Wattier rajoute : "Il y a encore une grosse part du gâteau qui continue à aller au culte catholique, et il faudrait peut-être se demander comment rendre les choses un peu plus égalitaires. Mais à nouveau il n'y a pas de critères qui soient formellement inscrits, donc on fait ça sur base de ce qu'on faisait à l'époque napoléonienne". 

Développement des autres cultes

Depuis le milieu des années 2000, il y a eu une augmentation du financement pour le culte islamique avec la reconnaissance des mosquées. Toutefois, une série de mosquées ne souhaitent pas que leurs Imams soient pris en charge par les pouvoirs publics belges, de plus ils ne remettent pas tous les documents comptables et budgétaires. C’est ce qui explique que ce culte reçoit moins d’argent que ce à quoi il pourrait avoir droit. Il y a également de grosses difficultés pour estimer la part de musulmans dans la population, on estime qu'il y a entre 5 et 10% de croyants musulmans dans toute la Belgique.

Jean-François Husson explique qu'il y a également des progrès constants au fil des années : "Ce sont des petites évolutions mais elles témoignent quand même du pluralisme de la société belge, c'est que du côté protestant-évangélique, du côté israélite et du côté anglican, il y a toute une série de petites avancées, avec des nouveaux postes qui ont été octroyés, des nouvelles communautés et des nouvelles paroisses qui ont été reconnues".

Mentionner sa confession dans la déclaration fiscale

En Allemagne, l'employé doit révéler sur sa fiche et donc à son employeur, la confession à laquelle il veut donner un financement

Et si on regardait ce qu'il se passe chez nos voisins ?

Du côté de la France, qui est un État complétement laïque, le système est donc totalement différent. Le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat est de mise et est consacré par la loi française. 

Stéphanie Wattier, professeure de droit constitutionnel à l’UNamur

Selon Stéphanie Wattier, rien ne sert de vouloir suivre cet exemple : "C'est un pays très séparatiste, qui ne reconnait aucune confession, donc ce serait un grand écart comparé à ce qu'on a chez nous". Les seules exceptions concernent les services d'aides à la personne et le financement des cultes qui s'exercent dans les établissements publics.

En Allemagne, le modèle de financement peut créer un malaise, comme l'explique Stéphanie Wattier : "L'employé doit révéler sur sa fiche et donc à son employeur, la confession à laquelle il veut donner un financement". Cela pose évidemment quelques problèmes au niveau de la protection de la vie privée.

Quant aux modèles espagnol et italien, avec des adaptations à la marge, ils seraient de bons systèmes, toujours selon Stéphanie Wattier : "Dans la déclaration fiscale où seulement le fisc à accès à ça, les croyants italiens doivent signer dans la case en face du culte auquel ils souhaitent que leurs impôts soient destinés."

Un modèle bien particulier, donc, qui laisserait aux citoyens le choix de se prononcer sur des enveloppes budgétaires. Est-ce cependant une forme de gouvernance qui serait adaptable à notre pays ? La question reste posée. D'autre part, l'élaboration d'une enveloppe fiscale basée sur les choix des contribuables risquerait de coûter plus cher que le système de financement actuel des cultes.

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