Environnement

Le sable, pilier de notre civilisation bétonnée, en voie de disparition

© Getty

Par Adeline Louvigny

Le sable, une matière première très peu reconnue à sa juste valeur… Pourtant à la base de notre civilisation moderne. Sans sable, pas de béton, pas d’asphalte, pas de verre : aucune construction moderne possible.

Après l’eau, c’est la ressource la plus exploitée par l’humain : on estime qu’il est extrait, chaque année, entre 30 et 50 milliards de tonnes de granulats (un mélange de sable, de graviers et fragments de roches). Sa disponibilité semble inépuisable : il y aurait 120 millions de milliards de tonnes de sable sur Terre, précise le professeur de géologie marine Eric Chaumillon dans Les Echos. Mais tous les sables ne se valent pas, et ne sont pas facilement exploitables, à tel point que les experts alertent depuis plusieurs années d’une pénurie de sable d’ici la fin du siècle, et des impacts environnementaux et sociétaux de son extraction, largement sous-réglementée.

Pas de Sahara dans le béton

Dubaï est certainement l’une des villes qui a connu une des plus fortes expansions ces dernières décennies. Située au cœur du golfe Persique, la ville est passée de 200.000 à plus de deux millions d’habitants en à peine vingt ans, poussée par une croissance économique basée sur les revenus pétroliers.

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Point d’orgue de cette croissance urbaine spectaculaire, la construction d’îles artificielles, afin de gagner du terrain sur la mer. Les “Palm island” sont nées, début des années 2010, grâce à l’apport de 150 millions de tonnes de sable. Pour une ville entourée du désert, quoi de plus facile, pourrait-on se dire. Sauf que le sable des déserts n’est pas le sable que l’on trouve sur nos plages, dans nos rivières ou dans le fond de nos océans. C’est un sable dit “éolien”, usé par le vent, très lisse, très rond… Et inutilisable pour la construction, car ne présentant pas assez d’aspérités pour en faire du béton assez solide. C’est donc du sable… d’Australie qui constitue les fondations de ces îles artificielles de l’océan Indien.

"Palm Island" aux Emirats Arabes unis, le long du golfe persique.
"Palm Island" aux Emirats Arabes unis, le long du golfe persique. © Getty Images et Wikimédia

Cette pression urbanistique se fait ressentir partout sur la planète, et tout particulièrement en Chine, qui utilise 60% du sable extrait chaque année pour ses constructions. Ainsi, de 2016 à 2020, la Chine a consommé autant de sable que les États-Unis en un siècle. Autre grande consommatrice de sable : Singapour, qui a augmenté sa superficie de 20% en 40 ans, principalement en gagnant du terrain sur la mer, en important près de 517 millions de tonnes de sable, principalement depuis l’Indonésie.

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Projets immobiliers en pagaille et poldérisation (création de terres artificielles sur la mer) ont fait que la demande de sable a triplé durant ces vingt dernières années.

Plus assez de sédimentation naturelle

Le sable est issu d’un long processus (centaines, milliers d’années) d’érosion, de transport et de dépôt de sédiments. Certaines périodes sont plus propices que d’autres à la constitution de grands stocks de sable : ainsi, les époques glaciaires permettent beaucoup plus d’apports sédimentaires. Le recul des mers, suite à la glaciation, allonge le parcours des rivières, favorisant ainsi l’accumulation sédimentaire.

La dernière époque glaciaire a eu lieu il y a 18.000 ans, et depuis, le niveau des mers ne fait que monter, limitant ainsi le renouvellement des stocks de sable. Un autre élément, anthropique cette fois, influence ce processus naturel : la multiplication des barrages, qui retiennent le sable censé descendre vers les plages et la mer. Il est estimé que les quelque 60.000 grands barrages à travers le monde retiennent 25% du sable.

On se retrouve donc dans une situation où tandis que la demande explose, l’offre, elle, diminue. La communauté scientifique considère que l’on est arrivé à un point où “le taux d’extraction dépasse le taux de renouvellement naturel”, comme le souligne un rapport de l’ONU en 2019.

Les réserves terrestres se sont révélées incapables de suivre la demande, le sable a alors été extrait des littoraux et des fonds marins. Avec le souci majeur que l’extraction de cette ressource est très peu réglementée, engendrant des problèmes sociaux et environnementaux majeurs.

Des mafias du sable, et la vie le long des côtes menacée

Pour prendre du sable, il suffit de se pencher. Les extractions illégales sont donc légion dans les pays aux larges zones littorales.

Après la Chine, l’Inde est le deuxième plus gros consommateur de sable. Et sur les plages de l’État du Tamil Nadu, le sable contient aussi des minerais convoités. Les mafias ont donc pris le pouvoir sur cette ressource, développant un important réseau avec des entreprises, responsables politiques, policiers et fonctionnaires du gouvernement. Les journalistes enquêtant sur ce sujet font l’objet d’intimidations, certains sont mêmes morts dans des conditions très suspectes, comme l’explique cet article de France TV.

Au Maroc, c’est la moitié du sable utilisé pour la construction, soit 10 millions de m³ par an, provient d’extractions illégales le long des côtes du pays, certains exploitants recrutant des enfants. Au Cambodge, le commerce du sable ravage les écosystèmes locaux, notamment les mangroves, qui protègent des érosions des côtes, mettant en péril la faune, la flore, ainsi que les populations humaines vivant le long des côtes. "Le sable était ramassé au fond de l’eau à l’aide de grues, puis déversé sur des barges qui parcouraient les quelques kilomètres qui nous séparent de la mer afin de le transférer sur de gros navires d’où il était exporté vers d’autres pays", explique un militant de l’ONG Mother Nature en 2018. Leurs habitations, et leur travail, principalement la pêche de poissons et crustacés, sont menacés. Au niveau mondial, c’est près de 3 millions de personnes, vivant le long des côtes, qui sont affectées par l’exploitation du sable, selon cet article publié dans Nature.

Forêt de mangroves au Cambodge
Forêt de mangroves au Cambodge © Getty Images

Plus globalement, l’extraction du sable le long des côtes et dans les fonds marins a de profonds impacts sur les écosystèmes aquatiques. La morphologie des côtes, et le profil hydrologique des rivières peuvent être profondément affectés par le prélèvement de leurs sédiments. Les techniques pour aller chercher le sable au fond des mers font fi de la faune et de la flore qui y vivent : ils sont détruits, dragués et aspirés avec le sable prélevé.

En 2019, l’ONU sortait un rapport qui faisait le point sur la situation, mettant en lumière les nombreuses problématiques liées à la surexploitation du sable. Ce mardi 26 avril, un nouveau rapport propose "dix recommandations stratégiques" pour éviter une crise du sable.


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