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Le rotifère, la plus petite bête du monde, livre deux secrets bluffants

© Marc Guérineau

Par Johanne Montay

Connaissez-vous les rotifères ? Non ? Et si vous faisiez connaissance et sympathisiez avec ces animaux, les plus petits au monde, d’à peine 1 millimètre tout au plus ? Ils sont microscopiques et intriguent les scientifiques depuis belle lurette, à tel point qu’on en a même envoyé dans l’espace. Il faudra bien mourir un jour, oui, mais pas sans connaître les rotifères. On est d’accord ?

Le rotifère possède un système digestif complet, avec une bouche et un anus – oui, comme nous – , un système excréteur, un système nerveux et un système très particulier de reproduction. Ce dernier point constitue une partie essentielle du mystère, percé par une équipe de l’ULB. La biologiste Karine Van Doninck (ULB-UNamur), en collaboration avec Bernard Hallet (UCLouvain) a fait avec son équipe une double découverte qui va nécessiter de réécrire les chapitres de tous les livres de biologie évolutive consacrés à nos fameux rotifères. Ça s’appelle faire couler beaucoup d’encre, au sens propre.

© Cristian Abarca (infographie) et photo @Marc Guérineau

Un scandale évolutif

Les rotifères bdelloïdes sont toujours des femelles. Dans cette société 100% féminine, la reproduction a toujours constitué un mystère… Ce matriarcat sans mâle est, dit-on, un "scandale évolutif" car ce ne sont que des femelles qui se clonent. "Or, la base de l’évolution, est de créer de la variabilité", explique la biologiste Karine Van Doninck, "et que la variabilité la mieux adaptée à l’environnement à un moment précis soit sélectionnée". La sélection naturelle, en d’autres termes.

Darwin, ça vous rappelle quelque chose ? Pour évoluer, il faut changer. C’est la base. "Mais si on se clone, si ces femelles font des femelles identiques et des femelles identiques, comment arrivent-elles à évoluer et changer ?" La question se pose d’autant plus que ces rotifères bdelloïdes se sont diversifiés en plus de 400 espèces, qu’elles existent depuis au moins 10 millions d’années et qu’elles se sont adaptées à des environnements extrêmes.

© Cristian Abarca (infographie) et photo @Marc Guérineau

Une superwoman indestructible

L’autre mystère qui entoure les rotifères bdelloïdes, c’est leur côté "superwoman". Ce sont des indestructibles, en quelque sorte. Le rotifère résiste au dessèchement total. Vivant dans des lichens et des mousses, il se retrouve parfois totalement desséché, pendant des mois, puis parfois, dans de l’eau. Or, le rotifère a besoin d’eau pour vivre et se reproduire. Alors, quand il n’y a pas d’eau, ces femelles se mettent en boule pendant des mois ou des années si nécessaire. On peut même les congeler à -80 degrés °C et les ressortir, leur ajouter de l’eau et leur faire continuer leur vie tranquille, comme si de rien n’était.

© Cristian Abarca (infographie) et photo @Marc Guérineau

Deux mystères de ces rotifères, toutes femelles, viennent d’être percés par Karine Van Doninck et son équipe. Le premier, je vous le résume à ma façon :

Comment font-elles pour faire la nique à Darwin en se clonant ?

Les scientifiques ont découvert, oh surprise, que nos rotifères 100% féminines qui se clonent ont gardé, malgré tout, quelques aspects de la reproduction sexuée, tel que décrit dans l’article publié ce 30 novembre 2022 dans le journal scientifique Science Advances.

Restez avec nous, malgré le terme que vous allez découvrir : la "méiose". Ça ne fait pas mal, c’est juste passionnant.

C’est le mécanisme universel de la reproduction sexuée qui permet la division cellulaire pour former les gamètes (les cellules reproductrices – chez l’humain, le spermatozoïde et l’ovule). Pendant ce processus de méiose, un brassage génétique est possible (la recombinaison) et crée donc de la variabilité. C’est ainsi que nous héritons chacun de caractéristiques génétiques de nos parents mais qu’il peut y avoir des variations au niveau de nos chromosomes.

Jusqu’à présent, et depuis les années 50, tous les manuels de biologie enseignaient que la reproduction de ces rotifères bdelloïdes se déroulait sans ce processus de méiose. Et c’est là que la découverte change tout ! L’équipe a observé l’ovulation des rotifères. Pendant cette période, les scientifiques ont étudié la dynamique des chromosomes. Et oui, il y avait bien une méiose, mais au lieu de se séparer, les chromosomes recombinés entre eux retournent gentiment à la niche, dans la même cellule. Voilà un résultat qui bouscule !

© Cristian Abarca (infographie)

Et en plus, des gènes de l’environnement

L’équipe avait aussi démontré, en séquençant tous leurs chromosomes bout à bout dans une autre étude publiée fin 2021, que les chromosomes sont organisés en paire, permettant cette fameuse méiose, mais que les rotifères intègrent aussi des gènes de leur environnement. "Elles ont des gènes de bactéries, de champignons, de plantes dans leurs chromosomes qu’elles expriment", explique la biologiste. Notre magique rotifère a donc tout de même trouvé, tout en se clonant, une manière d’avoir de la variabilité génétique et de changer pour s’adapter à l’environnement.

Et voici le deuxième mystère.

Comment font-ils pour survivre à des conditions aussi extrêmes que la dessiccation ou la congélation ?

Pour répondre à cette question, Matthieu Terwagne de l’équipe de recherche de Karine Van Doninck a irradié des rotifères à des radiations proton 100 fois supérieures à ce que l’on utilise pour irradier des cellules cancéreuses. Une petite bombe qui casse tout. Or, les rotifères sont capables de tout réparer. Et ça se passe différemment au niveau de leurs ovules que dans les autres cellules de leur corps. Encore une histoire de "superwoman" rotifère.

"Ce qu’on a démontré dans un 2e article", précise Karine Van Doninck, "c’est que les rotifères attendent le moment de la méiose, un moment où les chromosomes homologues s’apparient, pour utiliser une copie intacte, pour réparer correctement la copie endommagée." Cette méiose, découverte par l’équipe chez les rotifères, est le seul moment où les chromosomes s’apparient pour mettre des copies l’une en face de l’autre. "Une copie endommagée peut donc profiter de la copie intacte pour se réparer".

Elle n’est pas magique, la vie de rotifère ? L’animal attend soigneusement le moment de la maturation de l’ovule pour utiliser ce moment "photocopieuse" où la copie est disponible pour réparer le matériel génétique dans les ovules et faire en sorte que les descendantes soient génétiquement intactes.

C’est probablement pour cela que les rotifères ont gardé une partie de cette reproduction sexuée qui est essentielle à réparer correctement leurs dommages dans leur environnement instable qui se dessèche fréquemment.

Changer les livres de bio

Avec cette double découverte, il va falloir réécrire les chapitres sur les rotifères dans les livres de biologie et d’évolution et Karine Van Doninck n’en est pas peu fière : "Dans tous mes livres d’évolution, on peut tout réécrire sur les rotifères bdelloïdes."

Il reste bien des mystères à nos rotifères sur lesquels l’équipe continue à travailler. Par exemple : Quels sont les acteurs moléculaires de leur extrême résistance ? Les rotifères font-ils des échanges génétiques entre eux ? Si oui, comment ?

Quand ces femelles dessèchent, elles se mettent en boule. Karine Van Doninck poursuit : "Mon collègue Bernard Hallet avait appelé ça dans un de nos articles précédents la "sapphomixis", du nom de la poétesse lesbienne grecque "Sappho" et du mot grec "mixis" signifiant mélange, car il s’agit d’échanges d’ADN entre femelles. C’est une hypothèse pour expliquer la possibilité d’échanges génétiques sans mâles. Un nouveau mystère spécial rotifère à percer.

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