Les échanges sont hésitants et confus. La barrière de la langue en partie mais la jeune adolescente parle suffisamment bien le français pour compléter ce qu'essaye de formuler sa maman. La jeune fille sort visiblement d'une opération importante à la jambe. Des broches lui sortent de la cuisse et plusieurs pansements cachent des blessures multiples. "J'ai reçu une balle dans la jambe", explique-t-elle. "Des jeunes qui s'amusaient dans la rue et qui ont tiré comme ça pour rire." Évènement que les médias n'ont jamais relaté. D'habitude, une blessure par balle fait au moins l'objet de quelques lignes ou quelques secondes en radio. " Elle sort de l'hôpital Marie Curie et elle a besoin de changer ses pansements tous les jours." L'homme qui s'occupe de l'accueil essaye de résumer la situation à la médecin généraliste. "Mais elle n'a pas de papier, pas de carte santé, pas de mutuelle et elle ne peut pas changer ses pansements toute seule." La famille repartira avec quelques pansements en expliquant "qu'ils connaissent une copine de la sœur qui est infirmière, ça ira,..."
Irène Kremers reste sereine. Cette médecin généraliste a le regard de celle qui a déjà tout vu. Elle sait que cette famille va revenir dans les prochains jours. Elle les connaît. "Voilà typiquement des gens qui n'ont pas de papier en règle et qui doivent trouver des solutions comme ils peuvent. Nous donnons tous les soins que nous pouvons. Nous avons même une petite réserve de médicaments mais ça ne suffit pas dans des cas plus graves. Ici, la jeune fille a besoin qu'un professionnel s'occupe de ses pansements. Soit elles vont s'en occuper elles-mêmes, soit elles vont devoir payer chers les soins infirmiers. C'est parfois frustrant de devoir constater cette débrouille de notre côté comme du leur." Pour obtenir le remboursement des soins, les sans-papiers doivent remplir et obtenir le feu vert de l'aide médicale urgente. Démarche compliquée qui ne sourit pas à tout le monde. Notamment parce qu'il faut un domicile et au moins un document d'identité, un passeport en règle. Je me rassure en constatant que l'hôpital a bien pris en charge la jeune fille quand elle s'est présentée avec une balle dans la jambe. Mais qui payera la facture?
600 patients chaque année dont la moitié de sans-papiers
A l'origine, en 2007, le relais santé s'est donné comme mission de donner les soins minimum aux sans-abris. Grâce à cette consultation sociale à la Ville Haute de Charleroi mais aussi grâce à leur présence dans les abris de nuit. Force est de constater que sur 600 patients différents chaque année, la moitié n'a pas de papier en règle. Ce ne sont pas tout à fait des sans-abris, pas tous. Mais ils vivent dans une extrême précarité face aux soins médicaux. Du coup, le relais santé ne ressemble pas tout à fait à une consultation chez le généraliste. L'accent est mis sur l'accueil. Café, biscuits, chocolats sur la table et du temps pour parler. La médecin généraliste est accompagnée d'une infirmière et d'une travailleuse sociale. Le relais santé collabore avec le CPAS de Charleroi qui apporte aussi des solutions dans certains cas désespérés. Mais malgré les efforts, le filet de protection n'est pas infaillible.